Epuisé par un voyage de plusieurs jours sur des chemins escarpés et mal entretenus, au dessus de profonds ravins, j’étais heureux de pouvoir faire étape au château du comte Dragmzk.
Je l’avais rencontré par hasard, alors qu’il venait de faire une mauvaise chute de cheval qui lui avait fait perdre pratiquement toutes les voyelles de son nom. Je tenais à l’époque une officine, et dans ces cas-là, c’est toujours là qu’on sonne.
Perché au sommet de la montagne des sept échos qui vous renvoyait le moindre hoquet comme un boomerang, le château du comte Dragmzk était particulièrement isolé et lugubre et n’incitait pas à iodler.
Après un frugal repas devant une gigantesque cheminée qui dégorgeait plus de vent et de fumée que de chaleur, un gnome bossu et unijambiste me conduisit à la lumière d’un chandelier et à travers un dédale de corridors et de galeries jusqu’à ma chambre aux dimensions de cathédrale. Elle était glaciale et tapissée d’armures et de trophées de chasse qui semblaient me surveiller de leurs yeux morts.
Je ne sais pourquoi, mais je ne parvenais pas à trouver le sommeil dans ce lit à cinq places et à baldaquin, qui, d’après les ragots, avait déjà bercé les rêves de Barbe-Bleue et de quelques unes de ses femmes. J’essayais de rassembler mes esprits tout en surveillant les ombres mouvantes dessinées par les pâles clartés de la lune qui rendaient les objets vivants autour de moi.
Je n’ai pas honte d’avouer que bien qu’étant en mode confinement, je broyais déjà une quantité assez considérable de noir, lorsque mon radar interne m’alerta sur un bruit de pas dans le couloir.
J’avais la gorge plus sèche que le désert de Gobi et je me mis à trembler et chair-de-pouler de tous mes membres. Un homme marchait dans le couloir. Il s’arrêtait par intermittences puis repartait en trainant la jambe. La résonance de son pas s’éloignait et s’amplifiait à nouveau.
Un instant, il s’arrêta devant ma porte. Il s’agissait fort heureusement d’une porte massive renforcée de ferrures et munie d’énormes verrous que j’avais tirés avec soin comme me l’avait demandé Dragmzk. D’un air mystérieux, il m’avait d’ailleurs formellement interdit de quitter ma chambre.
Alors que j’étais moi-même en état d’apnée depuis plusieurs minutes, me parvenait distinctement le bruit d’un soufflet de forge ou d’une locomotive à vapeur qui devait être la respiration asthmatique du monstre.
Une bulle d’épouvante remonta les sables mouvants de mon estomac et vint crever au fond de ma gorge. Je me recroquevillai sous mes draps qui prenaient des allures de linceul.
Finalement, je ne sais si je me suis endormi ou évanoui.
Le lendemain, les yeux bouffis de mauvais sommeil et pochés de fatigue, je rapportai les faits au comte Dragmzk qui lisait son journal, un quotidien que lui apporte chaque matin un corbeau dressé par le service des Postes & Volatils.
Il partit d’un rire indélébile - sans doute un rire de Chine - qui me fit l’effet du crissement de la craie sur un tableau noir.
Je vais vous présenter l’homme qui marche, dit-il enfin, lorsque le tableau fut entièrement recouvert.
« Igor, ici immédiatement » hurla-t-il d’une voix noire stabilotée de jaune.
Igor surgit dans l’instant et dans un bruit de locomotive essoufflée.
Il y avait dans son regard quelque chose de l’hyène, du tigre, du cochon, du cobra, de la sole frite et de la limace qui faisait songer à Jack l’Eventreur mettant au point les détails de son prochain crime.
Il tenait au bout d’une chaine un chien de couleur jaune qui grondait en permanence. Sans doute un croisement entre la bête du Gévaudan et le chien des Baskerville.
Igor est chargé de la surveillance du château. Son chien se nourrit des voyageurs égarés.
11 commentaires:
J'ai juste envie de me tenir à carreaux sans moufter ;-) mais c'est bien Oncle Dan ;-) j'aime mieux quand c'est juste un peu moins lugubre <3 Joyeuses Pâques quand même, bien qu'on soit proche de l'enfer et loin de la résurrection
faut-il être un désespéré pour aller demander un abri pour la nuit dans un endroit pareil ;-)
Mais Adrienne ! C'était une vieille connaissance qui valait bien le détour :-D
Fichtre !! Je n'y vais pas moi !! grrrrr trop la trouille !!!
Mais quelle super histoire ! Vraiment un beau texte mais a ne pas lire le soir !!!
Moi, je sais pourquoi tu avais du mal à trouver le sommeil !
Je m'attendais à voir arriver le comte de Dracula mais non, ce n'était QUE Igor qui n'est pas d'Hossegor, et son regard aux multiples facettes. Le regard de Igor qui n'avait rien à voir avec celui d'un merlan frit. Tu lui as préféré la sole, tu as les moyens, c'est sûr ! :D
, Je ne relirai pas ton texte ce soir, j'ai bien fait de le faire alors que le soleil inonde mon salon ! Ouf !
Brrr ! Quel château ! Je me demande comment le Comte arrive à prononcer son nom ! Quant à Igor, j'avoue que sa description m'a faite rire (surtout la sole frite) !
Oui, Lydia, c'est depuis cette satanée chute de cheval !
Mariejo, ne lis pas mes histoires le soir, mais reviens me voir quand même !
Brrr... C'est terrifiant...
Par contre "la mauvaise chute de cheval qui lui avait pratiquement fait perdre toutes les voyelles de son nom"
m'a bien fait rire !
Bon jour Dan,
Diantre, voilà qui ne me laisse pas de marbre devant un tel tableau entre le couloir et une chambre. Je peux dire dans une moindre mesure que j'aie connu ce genre de situation dans une grande abbaye lors d'une retraite il y a quelques décennies et c'est aussi de ces effets là qui laissent des souvenirs toujours gravés ... :)
Max-Louis
J'ai connu aussi les "grandes abbayes" lorsque à chacune de mes années de collège de jésuites nous allions faire une récollection de rentrée.
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