samedi, août 18, 2007

L'amante religieuse

(Le thème imposé est dans le titre)


Le chat noir a tout vu. De toute évidence, l’homme qui se hâte devant lui n’a pas la conscience tranquille. Sinon, pourquoi lancerait-il sans cesse de furtifs regards par dessus son épaule afin de s’assurer qu’il n’est pas suivi ?

Il contourne la calle dolera atorna al brusa, (la rue qui tourne autour de la maison brûlée) et se dirige prestement vers la calle del Sole mette in corte delle Scoazze (la rue du Soleil qui mène à la cour des Ordures).

L’homme s’engouffre enfin entre deux palais dans une ruelle qui s’ouvre comme une fente liquide entre les hautes maisons noires.

A Venise, tout communique avec tout. Chaque maison est reliée à dix autres. Ce ne sont que venelles, courettes, passages dérobés où glissent en hâte manteaux de soie et perruques pour se rendre, comme lui, en quelque lieu secret ou se conjuguent luxe et luxure, l’Église elle-même étant devenue un abri-refuge pour jouisseurs raffinés.

Enfin, il aperçoit le couvent. Après un dernier coup d’œil, il saisit le marteau de porte et frappe trois coups. Un judas grillagé glisse lentement. Père Version dit-il dans un souffle, d’une voix presque inaudible. Mère Veilleuse répond la concierge dont il ne distingue que la cornette blanche dans l’ombre du porche. Elle s’efface en entrouvrant la petite porte basse enchâssée dans le gigantesque portique.

Quelques instants, il suit les fondements de la religion vénitienne, le saint siège dans toute sa planétaire exubérance, épanoui et tendu comme une montgolfière. Puis Mère Veilleuse se retourne et lui indique le lieu de son rendez-vous.

Vous allez être satisfait, Monseigneur, notre Mère abbesse vous a réservé de divines surprises, dit-elle en tirant un rideau derrière lequel se dissimulait une entrée.

En franchissant le seuil, il a juste le temps de lire « Vampirella » gravé en lettres gothiques dans le bois de la porte.

lundi, août 06, 2007

Le Rouy de Ruy


La consigne : Le texte doit commencer par : "ce que je venais de dire à la vieille Marquise Guy de Ruy était l'exacte vérité" .

Le texte doit s'inspirer d'une photo représentant une place vide dans un compartiment de train avec un journal abandonné.

Ce que je venais de dire à la vieille Marquise Guy de Ruy était l'exacte vérité.

Elle puait !

A ma connaissance, le langage humain ne possède pas d’épithètes à la hauteur de la situation.
Pour vous faire une idée de l’odeur qui est entrée dans le compartiment en même temps qu’elle, il vous faudrait passer une semaine dans un égout, ce qui m’épargnerait une bien oiseuse et approximative description.

La marquise Guy de Ruy était à l’image de son manoir en ruines. Elle se consolait par l'absorption à doses massives de cochonnailles hypercaloriques qui l’avaient progressivement transformée en une sorte de Caterpillar suiffeux. J’avais devant moi une choucroute complète avec sa garniture : les saucisses, les jambonneaux, le lard... beaucoup de lard. Il n’y avait que le fumet qui ne correspondait pas à ce plat régional. De toute évidence, La marquise Guy de Ruy ne vivait pas dans la crainte de se charger l’estomac ou de se corrompre l’haleine, et devait éviter de se laver les dents et les pieds, de peur de les déchausser.

Grandeur et décadence.

On n’aurait su lui donner d’âge. Pour sûr, elle n’était pas très très vieille, mais elle n’était pas de la première fraîcheur non plus. Sa chevelure frisée, relevée en torsade sur le sommet de la tête dégageait sans grâce une nuque grasse. Un observateur appliqué et imaginatif, qui ne se laisserait pas distraire par les canons éphémères de la mode, pouvait trouver dans cet édifice capillaire babylonien la marque d’une recherche esthétique. Son impression aurait été confortée par le trait de rouge à lèvres qui soulignait la fine moustache.

Je l’observais derrière mon journal. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je la vis poser une vieille valise sur ses vieux genoux dont elle sortit une vieille bouteille de muscadet suivie bientôt d’un vieux fromage de Ruy (prononcez « Rouy »).

N’y tenant plus, je me levai et lui dis « Ah non, Marquise! Le Ruy: jamais avec du muscadet ». Et je quittai précipitamment le compartiment.