mardi, mai 06, 2008

La nuit où j'ai volé sur le dos du dragon

La nuit où j'ai volé sur le dos du dragon, j’ai compris que l’humanité n’était qu’un échiquier servant de cadre à la lutte de pouvoirs que se livrent des êtres venus d’ailleurs.

Ces créatures de l’espace étendent leurs ramifications destructrices jusque dans les plus hautes sphères de l’Etat.

Leurs pions ne sont que des psychopathes, sociopathes, névropathes, marginaux à la dérive qui ne connaissent que la violence, la folie, la solitude, l’assassinat, le fascisme ordinaire, la brutalité, la corruption policière, la publicité et la consommation.

A chaque mot de cette triste énumération, le visage de Dexter se déformait davantage.

Lorsqu’il se tut, ce fut un soulagement général car il avait un coin de la bouche près de l’oreille gauche et l’autre extrémité vers le milieu du menton. C’était effrayant.

Remarquez bien : Dexter n’avait pas besoin de réciter les malheurs du monde pour paraître effrayant. Il l’était naturellement avec des cheveux dressés comme les plumes d’une poule effarouchée sur une tête faite de matériaux hétéroclites dont essayaient de s’échapper deux énormes yeux ronds, fendillés de veinules rougeâtres.

Sûr qu’il aurait pu rentrer directement à l’asile d’aliénés sans qu’on lui pose de questions.

Cependant, il se situait largement au-delà de l’orang-outan sur l’échelle de l’évolution et tous estimaient dans le comté qu’il était le seul à pouvoir être considéré comme savant, s’interrogeant même sur le poids du cerveau qui se cachait derrière ce front démesuré.

Tous les convives de la taverne de l’Ongle incarné faisaient cercle autour de lui, et, prenant conscience que le monde n’était pas la plaisanterie qu’on leur avait dite, tremblaient jusqu’à leurs vêtements les plus intimes.

Arthur, tapi sur sa chaise, avait les genoux en coton détrempé et commençait à prendre une teinte mauve. Quant à moi, j’allais certainement quitter l’auberge de l’Ongle incarné entièrement blanc de la racine à la pointe des cheveux.

Kevin, d’une voix mal assurée, voulut en savoir davantage sur le dragon volant.
Dexter partit alors d’un rire hyénesque en le gratifiant de quelques mots tirés du bas vocabulaire de la gynécologie triviale puis, avec la résignation de celui que le sort oblige à vivre au milieu d’une bande d’incurables idiots, précisa que le dragon était sa dernière invention, fabriquée de ses propres mains pour se déplacer dans la blogosphère.

Après l'amour...

Dès que j’ai eu pris connaissance du dernier thème d'écriture, je n’ai pas eu à tordre longtemps la serpillière des sentiments dans le seau des souvenirs pour que me revienne en mémoire cette rencontre insolite avec Peter à l’hôtel La princesse et le crapaud.

Je l’appelle Peter, en toute simplicité, son nom étant impossible à prononcer.

Je l’avais croisé au fumoir, après le dîner, et nous avions sympathisé le temps de quelques digestifs. Il était en compagnie d’une créature svelte, fine et équipée à profusion de cheveux dorés et de prunelles distinctement plus bleues que l’azur du ciel. Il nourrissait manifestement pour cette personne une passion qui ressemblait à de l’huile bouillante.

Lui, en revanche, faisait partie de ces personnages qui hantent vos cauchemars jusqu’à votre dernier souffle dès la première rencontre. On aurait dit qu’il avait été fabriqué par un taxidermiste incompétent et pressé qui l’aurait surdimensionné sauf en ce qui concernait la hauteur.

Ce soir-là, il faisait une chaleur à torréfier les graviers de la cour et je ne parvenais pas à trouver le sommeil. Je quittai ma chambre pour chercher un peu de fraîcheur nocturne sur le balcon. La nuit était tellement limpide et silencieuse que l’on aurait pu entendre un escargot se racler la gorge, s’il est exact que les escargots se raclent la gorge.

Le hasard nous avait octroyé des chambres contigües et lorsque je le vis sur le balcon à côté du mien, j’ai pensé qu’il couchait dehors en raison de son nom très compliqué.

Il était appuyé sur la rambarde, parfaitement immobile, une cigarette aux lèvres. L’ensemble était emballé dans une robe de chambre rose parsemée de nounours bleus.

─ Bonsoir Peter. Lui-dis-je depuis mon propre perchoir, supposant qu’il était d’usage entre insomniaques de tuer le temps.

Il bondit de quelques centimètres en direction des étoiles.

Quand il m’aperçut, il mit son doigt devant la bouche en signe de silence.

─ Chut ! Souffla-t-il. Vous allez réveiller Hélène.

─ On ne réveille pas un volcan qui sommeille, plaisantai-je, sans être tout à fait sûr s’il s’agissait ou non d’une plaisanterie.

─ Ah ! Mon ami ! Elle est l’étoile polaire de ma vie ; l’arbre où poussent les fruits de mon bonheur. Je n’en épouserais pas une autre, viendrait-elle à moi escortée de paons, d’esclaves chargés d’ivoire et de singes savants.

Puis, il ajouta avec un clin d’œil, en désignant la cigarette qui finissait de mourir au coin de ses lèvres : « Toujours, après l’amour ! ».

Une tache de vin bien marquée

L’expression ahurie du maçon Marcello, lorsqu’il entra dans le bureau du patron, restera à jamais gravée dans les tablettes de ma mémoire.

Il avait une grosse tête chauve arborant une jolie couleur verdâtre, à l’exception d’un nez rouge qui avait légèrement dévié du droit chemin.

Il fut immédiatement accueilli par une impressionnante série d’orgasmes gutturaux. Des mots comme « pignouf », « hurluberlu » et « crétin » s’envolaient de la bouche du patron comme chauve-souris d’une grange.

D’émotion, le pied de Marcello butta sur le pas de la porte et il exécuta une série de figures acrobatiques dignes de Bambi faisant ses premiers pas.

Lorsqu’il eu recouvré un semblant d’équilibre, ses yeux exophtalmés en groseilles à maquereau fixèrent intensément le patron comme s’ils cherchaient une trace de plaisanterie sur son visage.

Ce fut en vain.

Pourquoi as-tu fait un mur dans le champ du voisin ? Hurla-t-il avec la puissance d’une explosion dans un dépôt de munitions.

Je n’avais jamais vu Marcello prendre une teinte aussi riche. Il avait un regard où l’effarement tournait à plein rendement et on aurait dit une tomate essayant de s’exprimer.

Le patron leva une main pour étouffer dans l’œuf toute velléité de protestation, l’autre était serrée et déjà très occupée à taper rageusement sur son bureau.

Il a détruit deux poulaillers et une écurie, je vais étrangler cette crapule de mes mains et piétiner son cadavre avec des souliers à crampons me lança-t-il en jetant des flammes par les narines.

L’angoisse fut à son comble lorsqu’il assena sur son bureau un ultime coup de poing qui aboutit sur une agrafeuse renversée. La véhémence de ses propos monta d’un cran supplémentaire. C’était comme si les trompettes de Jericho s’étaient transformées en trompettes de Marcello pour lui annoncer un jugement Dernier d’une exceptionnelle rigueur.

Flanquez-moi ce bougre par la fenêtre que je voie jusqu’où il rebondit vociféra le patron, traitant le pauvre Marcello de méduse visqueuse, de crabe, de lézard, de larve rampante et autres termes composant le fameux répertoire des pires corps de garde qu’il m’est difficile de reproduire ici, ayant dû interrompre prématurément des études de blasphémologie.

Devant cette créature de Frankenstein au sommet de sa forme, Marcello émettait des bruits faisant songer à un buffle cherchant à se dégager d’un marécage. Il contemplait son patron d’un œil morne, comme un prisonnier dont le gardien vient de lui annoncer qu’il sera fusillé à l’aube.
J’ai suivi les indications du plan, réussit-il enfin à expulser avec l’élocution pâteuse d’un ivrogne de music-hall.

Ah ah ah, il a suivi les indications du plan ! Reprit le patron dans un rire creux et sans joie.
Il brandissait rageusement le document incriminé.

Cet imbécile a suivi les contours d’une tache de vin qu’il a faite sur le plan.

Le silence des diamants

On aurait pu croire que la petite dormait paisiblement mais sa tête faisait un angle mortel avec le reste de son corps.

Elle portait une robe de mariée.

Ses pieds disparaissaient au fonds de chaussures à talons aiguille et le renard bleu autour de son cou était plus grand qu’elle.

Eglantine, rieuse et curieuse, adorait se déguiser avec les vêtements trouvés au grenier.

-- Je vous le jure, commissaire, gémit la gouvernante. J’ai trouvé la petite exactement dans cette position, à côté de ce coffret que je n’avais jamais vu auparavant.

-- Que me contez-vous là ? bougonna le commissaire.

Il ruisselait de transpiration sans que l’on sache s’il devait son état à l’océan de perplexité dans lequel il était plongé ou à la chaleur suffocante des combles.

Le coffret avait été ouvert au moyen d’une petite clé en or. Sans doute par l’enfant.

Il ne contenait qu’un billet crasseux sur lequel était écrit à la plume d’oie dans une encre délavée par le temps « Malheur à qui libérera la rivière ».

Personne n’a jamais résolu cette énigme.

Le médecin légiste qui réalisa l’autopsie disparut du jour au lendemain.

Peut-être à cause de la rivière de diamants qui coula de la main d’Eglantine lorsqu’il ouvrit son petit poing serré.

Mais il est le seul à le savoir…

Petite esquisse de l'enfer

Ecriture ludique nous propose cette fois une liste de mots.Sur les 25 mots, il est demandé d'en utiliser au moins 15 pour construire son texte.
Assassin - Crime - Viol - Défoncer - Lacérer - Immoler - Dévastation - Poignard - Napalm - Hémoglobine - Tripes - Eventration - Egorger - Piétiner - Scalp - Génocide - Massacre - Baisers - Caresse - Tendresse - Caliner - Etreinte - Enlacer - Jouir - Symbiose



Ce lieu était le pandémonium de toutes les abjections de ce pauvre monde, et je me mis à regretter de n’avoir pas mené une vie plus vertueuse.

J’en avais la certitude : personne ne pouvait ressortir intact d’un tel endroit !

Il y avait ici plusieurs centaines de personnes. Peut-être s’agissait-il d’êtres virtuels ou de monstres de cauchemars. Je ne sais. Tout ce que les films d’horreurs et les contes destinés à faire peur aux enfants avaient pu imaginer depuis la nuit des temps était rassemblé ici.
Je me trouvais dans un condensé de l’imagination délirante des écrivains les plus dévoyés. Archimède, lui-même, n’aurait pas eurêké ça !

Pour des raisons trop longues à décrire, mais qui paraissaient tellement évidentes en cet instant, chacune des personnes présentes semblait disposer d’une dose de péché originel au moins quatre fois plus grande que n’importe quel criminel ici bas. Tous les assassins et amateurs de crimes, de viols, de génocides et de massacres se trouvaient rassemblés ici.

Une forte odeur de viande cuite attira mon attention. Mon sang ne fit qu'un tour et je fus littéralement cloué par l'horreur en apercevant un supplicié. Sa figure était verte, ses paupières violettes sur des yeux d'un bleu clair et froid. Des boutons entouraient sa bouche; des bras extraordinairement maigres, des bras de squelette, nus jusqu'aux coudes, sortaient de manches en haillons, tremblaient de fièvre, et ses cuisses décharnées grelottaient dans des bottes trop larges.

Le laisser vivre paraissait être la pire des punitions. Un groupe de gnomes dont la méchanceté rivalisait avec la laideur, s’amusaient à le torturer avec quelques compagnons de douleurs. Il y avait là une collection de corps rissolés sur des brasiers, de crânes décalottés avec des sabres, trépanés avec des clous, entaillés avec des scies et d’intestins dévidés. Les ongles du supplicié furent lentement arrachés avec des tenailles, ses belles prunelles bleu furent crevées et ses paupières violettes retournées avec des pointes. Ses membres disloqués furent cassés avec soin, les os mis à nu et longuement raclés avec des poignards.

Ici, on défonçait, lacérait, immolait, égorgeait, piétinait, éventrait. Tout n’était que dévastation. Le sol était jonché de tripes et de scalps baignant dans l’hémoglobine.

Les cris du malheureux étaient couverts par les chants des follets qui dansaient une ronde joyeuse autour de cette boucherie infernale, en s’enlaçant, se câlinant et se faisant des caresses avec beaucoup de tendresse.

J’étais en enfer ! Vous entendez ? J’étais en enfer.

Il y a quelque chose de terrible en moi

─ Il y a quelque chose de terrible en moi, Paul.

─ Arrête de te lamenter, je te prie. On a tous quelque chose de terrible en soi, et on ne s’en porte pas plus mal. Bien au contraire.

─ J’ai l’impression que mes rêves ne m’appartiennent plus.

─ Tu es classé catégorie « Moréno » par les assureurs. Tu ne peux pas espérer mieux. Tu bénéficies de la réduction maximale par rapport au tarif de base. Il n’y a que le Conseil Suprême qui puisse prétendre à la gratuité. Tu le sais bien.

─ Je sais tout cela, Paul, mais je ne m’appartiens plus. Il n’y a rien de moi qu’ils ne sachent dans l’instant. Ils reçoivent un térabit d’informations à la seconde. Ils savent où je suis, ce que je fais, mon état de santé, mon poids au milligramme près. C’est insupportable.

─ D’accord, mais tu bénéficies d’une sécurité totale. Tout le monde est conditionné et télécommandé, aujourd’hui. C’est le prix de la liberté.

─ Tu m’amuses avec ta liberté. Si, au moins, je savais où elle se trouve.

─ Quoi ? La liberté ?

─ Non ! Cette puce. Tu le fais exprès ou quoi ?

─ N’essaie pas de l’ôter, malheureux ! Ils la feraient immédiatement exploser.

La fragrance des mots

Les circonstances qui m’ont amené à faire la connaissance d’un gorille dans un compartiment de train en partance pour le lac Baïkal me paraissent suffisamment surprenantes, et correspondre extraordinairement au thème de cette semaine, pour qu’on puisse les relater ici sans crainte d’importuner le lecteur.

J’étais recroquevillé sur mon siège et me trouvais dans un état plus ou moins comparable à celui d’un python après son repas de midi, lorsqu’il entra et s’assit sur la banquette en face de moi.

Quand je compare ce moujik à un gorille, vous pensez sans doute à un gorille de taille normale, pas au paquet super-économique qui occupait deux places et dont le bonnet touchait le filet à bagages.

Il me paraissait bien évident que tout m’opposait à cette créature et que je ne pouvais avoir la moindre pensée en commun avec cet homme des neiges surgi des profondeurs de la steppe.

Je me tassai encore davantage dans mon coin tout en le surveillant discrètement. Il m’était impossible de le regarder en face car il avait, au-dessus d’une moustache qui dissimulait la moitié de son visage, cette sorte de regard capable d’ouvrir une huître à vingt mètres.

C’est alors que les haut-parleurs du compartiment diffusèrent un message dans un français parfait : « Connaissez-vous la fragrance des mots ? »

Quelle ne fut pas ma surprise en réalisant qu’il n’y avait aucun haut-parleur dans le compartiment et que cette question m’était personnellement adressée par le Yéti lui-même !

Saviez-vous, Monsieur, que les mots ont une odeur ? Me dit-il en posant sa valise sur ses genoux et en commençant à en extraire un assortiment de nourritures accompagné d’une bouteille de vodka.

Certainement ! Répondis-je après avoir repris mes esprits. Tout récemment, à la suite d’un repas trop riche, je peux vous assurer que mes maux savaient se faire sentir et …

Non ! Je vous arrête. Je veux parler des mots, M-O-T-S. Ces phonèmes que l’on trouve en plus ou moins grands nombres dans les dictionnaires que nos amis Robert et Larousse s’amusent à collectionner…

Ahhh ! Les mots. Oui, bien sûr ! Non. Pensez donc. C’est une plaisanterie. Si les mots avaient une odeur, cela se saurait depuis longtemps. Peut-être, à la rigueur, veut-on parler de cette mémoire olfactive qui nous fait associer une odeur avec le souvenir d’un bon plat. Ou alors, me parlez-vous de ces gens qui font valoir leurs arguments au moyen d’une haleine pestilentielle agrémentée d’une pluie de postillons.

Détrompez-vous, Monsieur. J’ai connu un arpenteur qui, lui-même, avait rencontré un vieil homme dont la boutique était pleine de meubles à tiroirs qui recélaient chacun un mot à l’odeur caractéristique.

Et vous avez cru une chose pareille ? M’étonnai-je. Sans doute à tort. Car, après tout, dans un pays où un gorille parlant français peut apparaître inopinément dans votre compartiment, il doit être possible que des vieillards aient des meubles à tiroirs au fond de leur boutique obscure avec des mots dedans.

Le moujik argumentait à n’en plus finir tout en dévorant le contenu de sa valise. Il mâchait et parlait à la fois, si bien que ses bacchantes semblaient un appareil perfectionné pour transformer les victuailles en considérations sur la fragrance des mots, ne s’interrompant que pour aspirer de longues rasades de vodka.

Je reçus en plein visage l’odeur des champs de seigle, l’odeur divine et russe de l’alcool non digéré. Je venais de comprendre l’odeur du mot vodka.

A cet instant, un contrôleur ouvrit la porte de notre compartiment.

Après une légère hésitation, il eut tôt fait de comprendre qu’il ne pourrait séjourner à l’intérieur sans s’exposer rapidement à un malaise et poursuivit ses contrôles plus loin.

L'abbé, la belle et la bête

Il était une fois, une belle poupée,
Qui était amoureuse d’un très très vieux curé.

Alors qu’ils jouaient, l’abbé dit à la belle
Que sa balle était pleine de sa tendre prunelle.

Mais non, l’abbé, c’est d’air, lui répondit Elise.
Mais quel abécédaire ? S’étonna l’homme d’Eglise.

Alors, l’enfant invita sous son toit le kiwi
Pour qu’il perce l’enveloppe de l’objet mystérieux.

Sans retard, l’oiseau fit ce qu’elle avait dit
Et il s’en échappa l’azur de ses beaux yeux.

Elle fut aveugle le lendemain,
Et l’abbé mourut de chagrin.