mardi, novembre 24, 2020

L'appel

J’ai une amie qui se fait appeler tante Agathe, dont l’un des souhaits les plus ardents de toute sa vie est de faire ma fortune. Elle n’y est pas encore parvenue, mais en considération de cette louable intention, je n’avais pu refuser son invitation à passer quelques jours dans son château de Sologne.


C’est une immense bâtisse dont elle n’occupe qu’une dizaine de pièces en compagnie d’un majordome à grosse tête chauve et pâle, et de deux ou trois fantômes sans agressivité.


Ma chambre, aux allures de cathédrale, se situait côté parc, à l’extrémité d’un couloir aux dimensions olympiques. Elle était seulement meublée d’un lit à baldaquin, d’un coffre moyenâgeux et de quelques armures qui grinçaient la nuit lorsque les souris se mettaient à danser. La décoration se limitait à quelques tableaux d’ancêtres qui faisait penser à la famille Addams, et à quatre énormes trophées de chasse dont les ombres mouvantes donnaient l’impression de vouloir vous dévorer.


Il était minuit lorsque j’avais éteint ma lampe et regagné mon lit à tâtons. Puis, après avoir psalmodié à voix basse une prière dont le refrain est le numéro de ma police d’assurance, avait commencé une longue attente du marchand de sable dans un climat d’anxiété mêlée d’ennui.


Il est arrivé avec un retard si considérable que je ne l’attendais plus et qu’il a fini par me surprendre. J’ai alors pu entamer un nouvel épisode du cauchemar commencé en début de semaine, dans lequel toujours le même cadavre, drapé dans un grand drap de lit maculé de sang, me prévenait qu’une horde de loups sortie du parc allait bientôt venir me déchiqueter les chairs et m’énucléer les orbites.


Cet avertissement m'était signifié dans les éclats d'un orchestre uniquement composé des trompettes du Jugement Dernier qui me réveillèrent en nage.


En fait d’orchestre, il n’y avait que le tambour de mes tempes et la sonnerie d’un antique téléphone mural que j’avais cru en dérangement pour ne pas déranger.


La lune diffusait dans la pièce une lumière de fin du monde, épuisée par sa traversée des vitraux crasseux qui garnissaient mes fenêtres. Elle me permit cependant d’atteindre le combiné antédiluvien. J’ai toujours eu la plus grande méfiance pour les appels téléphoniques au milieu de la nuit. En général, ils ne sont pas annonciateurs de bonnes nouvelles. Celui-ci ne fit pas exception.


C'était tante Agathe qui, d'une voix mal lubrifiée, que l'on pourrait sans se tromper qualifier d'outre-tombe, m'annonçait qu'elle avait enfin reçu ses résultats.


Elle était positive.


J'étais devenu un « cas-contact » à risque, et devait sans délai rester en quarantaine dans ma chambre.


Elle me ferait porter des repas.


samedi, novembre 21, 2020

Rester ou partir


Le professeur Didier Raoult. — je précise illico qu’il s’agit d’un homonyme. — venait d’achever la conclusion d’une longue conférence sur les conditions d’existence à la fin d’une civilisation industrielle décadente.


Il restait encore dans la salle quelques survivants qui se débattaient dans le bourbier du découragement, et luttaient contre une irrésistible envie de suicide.


C’est alors qu’une jeune femme rousse qui semblait n’avoir rien écouté tant elle paraissait préoccupée par ce qu’elle voyait dans le miroir de son poudrier, posa LA question qui ferait plus tard l’objet d’un nombre considérable de débats et de multiples exercices d’écriture.


Alors, Professeur, lança-t-elle d’une voix aussi veloutée qu’une soupe aux pois chiches trop poivrée, faut-il rester ou partir ?


Le Professeur Raoult sursauta, rejeta en arrière son abondante chevelure blonde  — toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait purement fortuite —  et tout en triturant une maigre barbichette dartagnesque, rétorqua : Voilà une bonne question. Elle est fondamentale et je vous remercie de l'avoir posée.


En préambule, je voudrais vous faire remarquer que l'on n’a pas demandé à venir. Ça commence toujours mal. Ce n'est pas notre choix. On ne nous a pas demandé notre avis. À la fin de l'histoire, on sait déjà que l'on devra partir, que nous soyons d'accord ou non !


Alors, pourquoi voudriez-vous qu'entre ces deux extrémités, nous ayons le choix de rester ou partir ? Enfin ! Un peu de bon sens. Mais vous ne pouvez pas comprendre, vous n’évoluez pas dans le même écosystème.


Ha ! Je sais bien qu'il y en a qui passent leur temps à partir. Cela leur donne sans doute un sentiment, je devrais dire une illusion, de liberté. J’ai là des graphiques qui en attestent et j’ai diffusé sur la question plus d’études que beaucoup de mes confrères. Vous pouvez vérifier, c’est on line. Ces personnes mutent,  changent de conjoint, de domicile, de travail, de pays et que sais-je encore ? Est-ce vraiment un choix ? La plupart du temps, elles le font sous la contrainte, quand ce n'est pas dans l’urgence.


Personnellement, je serais plutôt partisan de rester. C'est moins fatiguant. Moins de déménagements, moins de frais, moins d'ambition, moins de progrès, moins de croissance. Tranquillou quoi ! (Je vous avais dit qu’il s’agissait d’un homonyme).


Enfin, je dis ça, je dis rien, poursuivit-il. Nous sommes tous condamnés à nous cogner les orteils sur la brique du Destin, et ensuite il vaut mieux attendre que la douleur s’apaise. Le Destin n'aime pas qu'on ait des certitudes, et c'est toujours le moment où nous pensons que le monde nous appartient qu'il choisit pour brandir sa matraque plombée.


Alors, rester ou partir, le hasard choisira pour nous. Et je vous le redis, on finira tous par partir. Tous !


jeudi, novembre 19, 2020

L'accident



Mon accident est survenu le jour même où j’avais fait l’acquisition de deux éthylotests pour bénéficier d’un prix promotionnel. Deux pour le prix d’un seul.

J’en ai évidemment profité pour tester celui qui était gratuit. En sortant du bistrot, j’ai embrassé par inadvertance un platane en bas d’une putain de ligne droite qui se terminait par un virage à angle droit.


Quand je me suis réveillé après plusieurs mois de coma, j’avais des tuyaux partout et je ressemblais au personnage principal dans Les maléfices de la momie, The Curse of the Mummy’s Tomb, de Michael Carreras. C’est un film dans lequel la momie ressuscite.


Je vivais.


Ma courbe de température faisait le grand huit et j’étais incapable d’articuler un mot ou de lever le petit doigt. Les toubibs étaient sans espoir et ma famille refusait de signer mon ticket de sortie. J’étais un calife au milieu d’un harem d’infirmières qui soignaient un légume dans un sarcophage.


J’étais plus mort que vivant, mais tant qu’il y a de la vie…


Puis vint le jour où j’ai pu appuyer sur le bouton de la télécommande pour appeler du secours, et commencer à parler comme une fuite de gaz.


Je vivais toujours et ma courbe de température s’était stabilisée.


Six mois plus tard, je pouvais m’asseoir dans le fauteuil de ma chambre avec l’aide de deux personnes. C’est à cette époque que deux flics sont venus me voir pour des explications sur les circonstances de l’accident. Ils insistaient avec des regards de hyènes au motif que j’avais terminé ma course en culbutant un vieillard qui sortait son chien, lequel attendait toujours son maître devant la porte du crématorium. Mes cabrioles m’ayant placé immédiatement en état de mort cérébrale, j’étais bien incapable d’avoir le moindre souvenir de ce qui s’était passé.


À partir de ce moment-là, ils ont placé un agent en faction devant ma porte et ma courbe de température a recommencé à grimper.


Ce n’était plus La momie, mais La malédiction du pharaon.


Comme la chance ne sourit qu’aux crapules pendant que les pauvres gens meurent aux pieds vermoulus de l’échelle sociale, ma santé s’est rétablie et mon jugement s’est tenu en présence d’un avocat stagiaire commis d’office.


J’ai quitté ma chambre et son harem pour une cellule et ses matons, ce qui m’a occasionné un peu de déprime, d’autant que ma famille qui n’avait pas voulu me faire sortir de l’hôpital ne cherchait pas davantage à me faire sortir de prison.


Mais enfin, je vivais toujours…


Comme il n’y a de chance que pour les salauds, je suis sorti plus tôt que prévu, quand une contre enquête finit par révéler à l’issue d’une bataille d’experts, que mon vieillard était mort d’une crise cardiaque.


Aujourd’hui, je me suis marié avec mon infirmière préférée. Peut-être parce que je viens de gagner au loto.


Enfin, la vie commence.

Entre deux eaux


Depuis le début de la pandémie, je nage en permanence entre deux eaux, l’anglais et le français, le français et l’anglais. Notre langue n’est plus sécure, elle aurait besoin de se faire relooker.


Faut dire qu’actuellement, avec nos énormes besoins de coping, de clapping, de fact cheking et de tracking, le burn-out nous guette.


Mais n’étant pas surbooké grâce au confinement, je vais pouvoir vous faire le Pitch.


Il est exact qu’avec toutes ces news et ces fake-news, il y a de quoi se crasher, mais ne vous inquiétez pas, je vais vous briefer et décrypter tout cela. C’est un vrai challenge, mais je vais vous mettre dans la loop, ainsi vous ne serez plus des loosers, vous ne serez plus has been.


Depuis quelques temps, on a l’impression de vivre en live une Adventure game. On ne sait plus quels smileys coller sur nos flyers. On fait du stop and go ou du click and collect. En fait, on est en stand bye. C’est pas un scoop si je vous dis qu’il ne faut pas attendre last minute pour sortir son airbag, sinon exit la task force, goodbye les likes et les followers.


Pour le shopping, ok pour le black friday, son discount et ses produits low cost, mais en open space, sinon gare aux clusters et aux super spreaders.


Pour vous détendre, j’ai le bon workout, un process qui fait le buzz, cool et complètement trendy. Il est au meilleur ranking. Si vous voulez glitter, je peux vous le forwarder, et si vous êtes borderline, il va vous booster. C’est du Number one au best of, vous en serez scotchés. Il est leader sur le marché et vous en deviendrez Addict.


Avec ça, je vous promets un monde plus green.


Je n’en dirai pas plus pour l’instant pour ne pas me faire blacklister, et n’aurai qu’une dernière pensée pour notre belle langue française.


LOL



lundi, novembre 16, 2020

La rencontre

 La vie du cosaque Victor Ivan Nikitarovitch lui semblait une longue route verglacée et sans espoir. Pour mieux en épouser les virages, il avait choisi de ne conduire que saoul. Aussi, ne prenait-il jamais le volant sans avoir bu au moins deux ou trois « sorcières ambrées » qu’il affectionnait particulièrement, et de préférence sans eau de Seltz.


Victor Ivan Nikitarovitch avait une tête excentrique aux joues allumées, au crâne nu et brillant qu’ont souvent les têtes de toqués. Il avait quelque chose du comédien, du fou et du distillateur-goûteur, avec une parole bizarre qui dramatise et s’arrête parfois au milieu de ricanements troublants.


Bien entendu, cela était du aux « coups de fouet » qu’il ingurgitait régulièrement, un cocktail de son invention que l’on servait aux lapins lorsqu’on les opposait à des grizzlis dans les arrières-salles des tripots du grand nord sibérien. Dans un seul cas, l’ours avait tenu trois rounds.


Plus d’une fois le cours de sa vie avait failli voler en éclats, mais il n’avait jamais eu d’accident, ayant toujours réussi à rattraper les zigs fortuits de sa Lada par des zags rapides et opportuns.


Son seul accident, son coup de malchance, ce fut lors d’un coup de foudre avec Ievguenia Alekssandrovna qui faisait du stop. 


C’était une splendide gaillarde, à la croupe avantageuse, aux yeux charbonnés, aux lèvres sanguinolentes et certainement titulaire de la plus belle devanture de Komsomolsk-sur-Amour. Le tout était véhiculé par une paire de jambes qui disparaissait dans des cuissardes moulantes aptes à provoquer les émotions les plus frétillantes.


Dès que Viktor Ivan Nikitarovitch la vit, son vit lança immédiatement un défi à Von Karajan.


Ievguenia tomba immédiatement amoureuse de Viktor. Bien décidée à plonger rapidement le cosaque dans le vertige de son corsage et les commissures de son intimité, elle lui offrit rapidement l’hospitalité de son hangar à fourrage.


Elle ne fut pas déçue.


Ses mains partirent en balade, glissèrent le long de la splendeur velue du torse de Viktor Ivan Nikitarovitch, s’attardèrent sur les épaules osseuses, descendirent le long des bras, touchèrent les hanches, le ventre plat et encore un peu plus bas.


Là, les mains s’arrêtèrent.


Ievguenia Alekssandrovna ouvrit grand les yeux et toucha encore une fois. Etait-ce vraiment possible ? Avec une précaution infinie elle souleva la couette pour confirmer de visu la découverte de sa main.


Ses ébats connurent alors un surcroît d’intensité dont le ressort lui échappait de temps en temps.


Hélas, Ievguenia ne supporta pas les « coups de fouet » de Viktor et les haltes quotidiennes au « Palais de la Vodka ». Un soir, elle trébucha dans l’Amour, juste à son confluent avec la Boureïa, et ne remonta pas d’une semaine. Une belle mort, en somme.



jeudi, novembre 12, 2020

Un art peut en cacher un autre

Charles n’aspirait qu’à mener une vie raisonnable et vertueuse. La pratique de l’art de la méditation et de la mémoire lui permettrait certainement de déterrer ses talents cachés et d’atteindre, en dépit de circonstances peu favorables, un bonheur serein. Il voulait s’en convaincre.

Il était peu séduisant et aurait eu besoin d’un nombre considérable de retouches pour être accepté dans le concours de beauté le plus modeste.  Aussi, s’était-il habitué progressivement aux râteaux et était-il passé maître en Hellénépiphanisation qui est l’art d’aller se faire voir chez les Grecs.


Il s’était exercé également à la pratique de la drague et du baratin, mais n’avait progressé que dans l’art de la luthomiction qui est, comme chacun le sait, l’art de pisser dans un violon.


Il avait conscience de tout cela et maîtrisait philosophiquement l’art de savourer les réminiscences. Il en était là de ses réflexions, assis à la terrasse d’un café parisien, au milieu d’une foule bruyante, lorsque lui apparut Clémence.


Elle passa devant lui en laissant dans son sillage une traînée de parfum à cinquante euros la giclée. Il n’y avait rien à redire à son enveloppe extérieure. Elle aurait pu être la vedette d’un harem de sultan. Ses rondeurs d’une volupté presque immoral s’offraient sans pudeur au feu du regard de Charles, dont la chaleur la fit se retourner.


La fille qui lui avait tapé dans l’œil était un de ces jeunes vampires tout en rouge à lèvres, dont le temps passé à la toilette et au maquillage ne laisse d’autre possibilité que celle d’exercer la pyropygie qui est l’art de mettre le feu aux fesses d’autrui.


Elle sourit, et ce fut comme si quelqu’un avait baissé le volume du reste du monde. Charles n'entendait plus le brouhaha dont il était enveloppé l’instant d’avant.


Le feu avait pénétré dans son cœur, mais il se garda bien de sourire en retour, affectant l’indifférence, car il savait bien que ses chances étaient très minces, pour ne pas dire squelettiques. Il était demeuré assis, jouant à placer bout-à-bout l’extrémité des doigts de ses deux mains, en regrettant de ne pas en avoir davantage.


Rien dans ses manières ne suggérait qu’il aurait aimé lui faire une déclaration d’amour enflammée. On lui aurait plutôt délivré un diplôme d’orchopercussion qui est l’art de s’en battre les couilles.


Ô combien il aurait aimé avoir sous la main un dragon à terrasser afin d’attirer davantage l’attention de la demoiselle !

mercredi, novembre 11, 2020

Seul

Il était seul. Absolument seul. Trop seul au monde pour qu'un prénom lui fût utile. Mais il aimait cela. Ceux qui l’avaient fréquenté étaient rapidement devenus allergiques à sa personne.

Il avait fait des retraites dans les monastères les plus isolés de la vallée de Katmandou, ainsi que dans les plus hautes météores de Thessalie. Il avait connu les hivernages du Spitzberg, était resté des mois bloqué dans les glaces de la baie de Qikiqtarjuaq en compagnie des ours, mais à présent il avait mis un terme à ces aventures solitaires.


Il se passait encore trop de choses autour de lui. Il voulait vivre intensément et seule l'oisiveté, la vraie, lui permettrait d'atteindre cette jouissance. Il privilégiait les richesses intimes de l'âme et méprisait l’argent.


Cela lui était facile. Fils unique d'un couple de bourgeois fortunés, il vivait à présent dans un château isolé au milieu de landes brumeuses et de marais infestés de sables mouvants. Il n’avait pour seul compagnon que les fantômes de chevaliers errants qui s'étaient entretués dans ce coin perdu vers la fin du XIIIe siècle. Un philodendron déprimé constituait l'unique présence ou palpitait un atome de vie dans son univers.


Alors, il restait là, immobile, vautré dans un fauteuil poussiéreux, comme la poupée d'un ventriloque après la fin du spectacle. Sa barbe de quatre jours, ses yeux cernés et fiévreux, ses doigts tachés de nicotine et son tricot de corps crasseux, racontaient la triste et sempiternelle histoire de l'homme qui n'a que le Misanthrope comme livre de chevet.


Sa seule joie fut d'apprendre par le facteur la décision de confinement.


mardi, novembre 10, 2020

La Krise

 Lorsque l'épouvanteur se présenta, le jour commençait à baisser.

Il était petit et frisé et il entama son discours destructeur par les mots suivants : « Quand tout est noir, que tout va mal, que les candidats aux élections présidentielles se présentent comme une petite lueur d'espoir dans l'obscurité d'une société en déroute, c'est bien que la crise est là ! »


Le petit homme frisé s’agitait en martelant son pupitre à chaque annonce d'une nouvelle catastrophe. Il les empilait comme les couches d'un millefeuille, crise sociale, crise économique, crise sanitaire. Ils alignait les chiffres du chômage, de la pandémie, de la dette, du terrorisme et des suicides. Il énumérait les manquements, les erreurs de gestion, les lois liberticides, les quatrième et cinquième vagues, les absences d'anticipation, les mensonges, les conflits d'intérêts, les batailles d'ego, les contradictions, les incohérences et autres déclarations plus confuses les unes que les autres qui nous rapprochaient insensiblement de la guerre civile.


Visiblement, c'était foutu. On ne s'en remettrait jamais. Nos enfants paieraient l'addition sur plusieurs générations. C'était la fin des libertés, de la démocratie, l'avènement de la surveillance généralisée, les confinements et déconfinement à répétition, les caméras dans toutes les rues, le traçage de chacun de nos déplacements, de chacune de nos dépenses, de chacune de nos conversations.


Le petit homme frisé voyait la peur enfler dans les rangs de son auditoire qui s'épongeait de plus en plus le visage. Les yeux se fendillaient, les genoux s’entrechoquaient, les slips se mouillaient. Les « gens », ce troupeau inconséquent, prenait-il enfin conscience du gouffre insondable qui s’ouvrait sous ses pieds ?


Ce n'est que lorsqu'il fut certain et satisfait de voir son auditoire totalement abattu, écrasé par une chape de plomb et de malheur qu'il venait de déverser sur lui, lorsqu'il fut bien assuré que la foule sentait le souffle des chevaux de l’apocalypse sur sa nuque, qu'il consentit enfin à faire savoir qu'il avait la solution.


Oui. Le petit homme frisé avait la solution. Il avait un programme pour régler tous ces problèmes. Une méthode qui avait déjà fait ses preuves dans le monde entier. On ne pouvait qu’être surpris qu’elle ne soit pas déjà appliquée en ces funèbres circonstances. Cette technique était connue depuis l’antiquité et lui, le petit homme frisé, allait la mettre en oeuvre.


Les romains l’appelaient « infectum digito technica ». Elle fut reprise dans les pays du Commonwealth sous l’appellation « wet finger technique », « Nassfingertechnik » chez les Allemands, « tecnica con le dit bagnate » en Italie, mais aussi de par le vaste Monde teknik Jari basah, technika mokrego palca, técnica de dedo mojado, blant fingentackni, etc. etc. C’est dire que cette technique est connue du monde entier et nous serions bien les derniers à la mettre en oeuvre, ce qui explique que nous soyons dans une situation pire que celle de nos voisins.


Mais ne soyons pas trop sévères avec nos dirigeants ajouta le petit homme frisé. Le côté aléatoire de cette méthode est parfaitement maitrisé et certains membres du Gouvernement ont commencé à appliquer cette « technique du doigt mouillé » avec le succès que l’on sait. Elle est pour l’instant en période de rodage et sera certainement généralisée compte tenu des premiers résultats prometteurs.


Il faisait tout à fait nuit lorsque le petit homme frisé termina son discours.



(Une suite à cette histoire ICI)