mardi, novembre 10, 2020

La Krise

 Lorsque l'épouvanteur se présenta, le jour commençait à baisser.

Il était petit et frisé et il entama son discours destructeur par les mots suivants : « Quand tout est noir, que tout va mal, que les candidats aux élections présidentielles se présentent comme une petite lueur d'espoir dans l'obscurité d'une société en déroute, c'est bien que la crise est là ! »


Le petit homme frisé s’agitait en martelant son pupitre à chaque annonce d'une nouvelle catastrophe. Il les empilait comme les couches d'un millefeuille, crise sociale, crise économique, crise sanitaire. Ils alignait les chiffres du chômage, de la pandémie, de la dette, du terrorisme et des suicides. Il énumérait les manquements, les erreurs de gestion, les lois liberticides, les quatrième et cinquième vagues, les absences d'anticipation, les mensonges, les conflits d'intérêts, les batailles d'ego, les contradictions, les incohérences et autres déclarations plus confuses les unes que les autres qui nous rapprochaient insensiblement de la guerre civile.


Visiblement, c'était foutu. On ne s'en remettrait jamais. Nos enfants paieraient l'addition sur plusieurs générations. C'était la fin des libertés, de la démocratie, l'avènement de la surveillance généralisée, les confinements et déconfinement à répétition, les caméras dans toutes les rues, le traçage de chacun de nos déplacements, de chacune de nos dépenses, de chacune de nos conversations.


Le petit homme frisé voyait la peur enfler dans les rangs de son auditoire qui s'épongeait de plus en plus le visage. Les yeux se fendillaient, les genoux s’entrechoquaient, les slips se mouillaient. Les « gens », ce troupeau inconséquent, prenait-il enfin conscience du gouffre insondable qui s’ouvrait sous ses pieds ?


Ce n'est que lorsqu'il fut certain et satisfait de voir son auditoire totalement abattu, écrasé par une chape de plomb et de malheur qu'il venait de déverser sur lui, lorsqu'il fut bien assuré que la foule sentait le souffle des chevaux de l’apocalypse sur sa nuque, qu'il consentit enfin à faire savoir qu'il avait la solution.


Oui. Le petit homme frisé avait la solution. Il avait un programme pour régler tous ces problèmes. Une méthode qui avait déjà fait ses preuves dans le monde entier. On ne pouvait qu’être surpris qu’elle ne soit pas déjà appliquée en ces funèbres circonstances. Cette technique était connue depuis l’antiquité et lui, le petit homme frisé, allait la mettre en oeuvre.


Les romains l’appelaient « infectum digito technica ». Elle fut reprise dans les pays du Commonwealth sous l’appellation « wet finger technique », « Nassfingertechnik » chez les Allemands, « tecnica con le dit bagnate » en Italie, mais aussi de par le vaste Monde teknik Jari basah, technika mokrego palca, técnica de dedo mojado, blant fingentackni, etc. etc. C’est dire que cette technique est connue du monde entier et nous serions bien les derniers à la mettre en oeuvre, ce qui explique que nous soyons dans une situation pire que celle de nos voisins.


Mais ne soyons pas trop sévères avec nos dirigeants ajouta le petit homme frisé. Le côté aléatoire de cette méthode est parfaitement maitrisé et certains membres du Gouvernement ont commencé à appliquer cette « technique du doigt mouillé » avec le succès que l’on sait. Elle est pour l’instant en période de rodage et sera certainement généralisée compte tenu des premiers résultats prometteurs.


Il faisait tout à fait nuit lorsque le petit homme frisé termina son discours.



(Une suite à cette histoire ICI)

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