jeudi, avril 30, 2020

Oumpah-Pah


Oumpah-Pah tenait jusqu’ici le rôle qui lui avait été confié par Son Altesse Sérénissime* à la perfection. Sa mission : éliminer l’amabié**. La tâche était rude et risquée. Aussi avait-il reçu en paiement une cassette pleine d’or et une vedette de harem de première classe, la belle Frida.

Dans son tipi face à la mer, il avait su garder une apparence d’ahuri tranquille, mais il était préoccupé par une question restée en suspens et qui le turlupinait : quand le monstre annonciateur de pandémie sortirait-il de l’eau ?

À côté de lui, Frida, dont il avait eu la chance d’obtenir les faveurs, dormait paisiblement. Elle avait bien essayé par de subtiles manigances de le soudoyer avec les violons de la séduction, mais en vain. Il lui avait parlé de l’amabié et par suite d’une confusion phonétique elle lui avait avoué qu’elle aussi l’aimait bien.

Les yeux rougis à force de scruter l’horizon, il eut alors comme une  révélation. Son Altesse Sérénissime pouvait se gratter. Il avait les jetons et allait partir dépenser son or avec la merveilleuse Frida à l’autre bout du monde. 


——————
* Emmanuel Ier
** L’amabié est un yokai*** anthropomorphe avec 3 jambes, qui sort de la mer et prophétise soit une abondante récolte, soit une épidémie.
*** Les yōkai sont un type de créatures surnaturelles dans le folklore japonais.


Les mots à placer :

Les petits cahiers d’Emilie sur le thème du Jeu : RÔLE, VIOLON, SUBTILE, AHURI, JETONS, CHANCE, DÉPENSER, MANIGANCE, GRATTER, SÉDUCTION, SUSPENS et SOUDOYER.

Collecte n°47 d’Olivia : TIPI, REVELATION, TURLUPINER, TRANQUILLE, AMABIÉ et DORMIR.





dimanche, avril 26, 2020

L'ours en peluche

Permettez-moi de me présenter. Je m’appelle Pierre Piteur, Pépé pour les intimes. Je suis journaliste d’investigation et je travaille pour une grande chaîne de télévision étrangère qui me paye très généreusement pour enquêter à travers le monde sur les phénomènes paranormaux. Nous sommes une cinquantaine de journalistes sur ce créneau, mais en ce qui me concerne, je suis spécialisé sur l’envahissement de notre planète par les extraterrestres.

Le sujet est énorme. On dénombre en effet cent soixante dix milliards de galaxies dans notre univers observable. Aussi, je ne m’intéresse qu’aux Aliens venus de la galaxie du cigare. Cela vient sans doute de mon côté fumiste.

La galaxie du cigare fait partie de la Grande Ourse. Certainement la raison pour laquelle Paul-Henry — c’est mon patron — m’a signalé la dépêche parue dans le numéro de France Soir de mardi dernier. Un ours en peluche avait semé la panique devant la porte de la gendarmerie de Champagnole !

Paul-Henry m’a donné carte blanche pour en savoir davantage. « Pépé, tu balances ton rasoir, tu files à Champagnole et tu me ramènes tout ce que tu peux au sujet de cette affaire » m’a-t-il dit d’une voix qui me fit songer à un véhicule chargé de bidons vides lancé à toute allure sur un chemin caillouteux. J’ai vu à sa moustache vibrante, ses yeux tendus d’anxiété et ses sourcils agités de tics nerveux, que l’affaire était importante. Par contre, je n’ai pas compris pourquoi je devais balancer mon rasoir alors qu’il était neuf et avait à peine servi. Bah ! Mon salaire à cinq chiffres m’interdit toute discussion sur ces points de détails.

Dès mon arrivée dans les locaux de la police, j’ai rencontré le capitaine Y dont je tairai le nom par bienveillance, les propos qui vont suivre ne me paraissant pas à son avantage.

J’ai demandé à voir l’objet du délit. Quelle ne fut pas ma surprise en apprenant qu’il était enfermé dans un tiroir du bureau de l’adjudant-chef W.

L’adjudant-chef W, que je nomme ainsi pour la même raison que le capitaine Y, s’étonna de mon étonnement. Il me regarda comme un chiffre premier qui s’afficherait tout d’un coup avec une virgule. Il ne voyait en effet rien d’anormal à placer un ours en peluche dans un tiroir. Il ne comprit pas davantage ma question lorsque je lui demandai s’il était bien sûr qu’il s’agissait d’un ours en peluche.

J’ai vite réalisé qu’il était nécessaire de projeter sur le radeau en perdition de sa compréhension, la lumière profuse de quelques éclaircissements.

J’ai commencé par lui dire que les extraterrestres étaient sur terre bien avant nous, comme prévu par les modèles statistiques, mais qu’ils étaient repartis en voyant ce que devenait notre planète. Ils avaient  détesté la mondialisation, l’odeur du patchouli et l’écriture inclusive. Ils avaient vomi, et après quelques ennuis mécaniques dans le désert de Roswell, avaient pris leurs podes à leur cou et n’étaient pas prêts de revenir.

Il accueillit ces explications par un rire moqueur.

Son ironie ne m’incommoda pas plus que ne l’aurait fait un bouchon de liège jeté par une petite fille sur la peau d’un hippopotame. Je voyais bien qu’il était un peu fragile du côté Q.I. Je lui ai donc précisé que l’on suspectait ces extraterrestres d’avoir laissé quelques observateurs sur place, pour rendre compte auprès des leurs de la rapidité de notre décadence, et que, parmi ceux-ci, on soupçonnait les ours en peluche.

Cette fois, l’adjudant-chef W éclata d’un énorme rire imbécile, en montrant impudemment ses dents gâtées.

Je ne cherche pas à être drôle, lui dis-je. Si je cherchais à être drôle, je vous aurais déjà fait attraper des convulsions depuis longtemps ! 

C’est à partir de ce moment-là, je crois, que sa jovialité affectée se coupa d’un fort doigt d’inquiétude, sans que je susse dire si c’était à mon sujet ou à celui des extraterrestres.

Réfléchissez un instant, poursuivi-je sans être certain que cela lui fût possible, on trouve des ours en peluche partout. On se confie à eux dès notre plus tendre enfance. Ils sont discrets et savent se faire oublier. ils ne font pas l’objet d’une surveillance particulière et on n’a jamais réussi à détecter les ondes qu’ils émettent. Voilà bien la preuve qu’ils sont plus forts que nous.

Le capitaine Y, rendu curieux par les éclats de rire de son subalterne, s’était approché. Il ajouta « C’est bien vrai, il y en a au moins trois ou quatre dans les chambres de mes enfants ».

Je renchéris : On croit se servir d’eux en y dissimulant drogues et bijoux pour passer la douane, mais c’est eux qui se servent de nous pour savoir ce qu’ils ne doivent pas faire. Ils nous épient, nous surveillent, nous scrutent, nous enregistrent. En un mot comme en cent, ils nous espionnent. Pas étonnant que l’on en trouve un devant la porte de votre gendarmerie. Vous avez immédiatement pensé à une bombe ou un explosif, et ne trouvant rien vous étiez rassurés. Voilà votre erreur ! Ils ont une mission à remplir et fouillent partout. Ils se déplacent sans que l’on s’en rende compte. D’ailleurs, les enfants passent leur temps à les chercher en croyant les avoir perdus.

Mais c’est exact ! opina l’adjudant-chef W qui commençait à être convulsionné des méninges. C’est ma foi vrai, c’est vrai, c’est bien vrai, ânonnait le capitaine Y. 

Et pour finir, ils communiquent le résultat de leurs observations à l’au-delà, conclus-je brutalement, car je sentais bien que je prenais l’avantage.

Ah ! Dit le capitaine Y. au bord de l’apoplexie. Un mot court qui en disait long.

Ah ! Mais cela ne va pas se passer comme ça ! se reprit-il. Nous le tenons. Mon adjudant-chef, allez chercher le prévenu. Nous allons l’interroger. Nous avons les moyens de le faire parler.

L’adjudant-chef W ouvrit le tiroir de son bureau.

Il était vide.


Quelques jours plus tard, je me trouvais dans le bureau de Paul-Henry  lorsque nous apprîmes que les ordinateurs de la gendarmerie de Champagnole avaient été piratés et que leurs données disparues étaient remplacées par l’image d’un ours en peluche.

Mais au fait, patron, pourquoi fallait-il que je balance mon rasoir pour mener cette enquête ?

Dans ta valise, Pépé, dans ta valise !

Bon Dieu ! Mais c’est bien sûr !



jeudi, avril 23, 2020

CEPAROU

Ah ouich ! Quel voyage ! On a connu l'enfer ! commença Fredy.

Notre long-courrier, La Pinailleuse, avait suivi un parallèle bien au-delà de l’équateur en direction d’un point cardinal peu catholique et de l’étoile d’un ami au beau-frère du berger.

L’équipage de La Pinailleuse n'était composé que de pirates qui avaient tout à oublier, même l'avenir. Il ne leur restait à conquérir que la liberté et ce putain de trésor que nous cherchions depuis bientôt deux ans. L’ambiance n’était pas très conviviale. Le pire d’entre eux était le cuistot. Une teigne à forme humaine qui pratiquait la politique de la pomme de terre brûlée. Quant au capitaine, il possédait certainement une dose de péché originel bien supérieure à la moyenne. Nous l'avions surnommé « CEPAROU ».

Fredy arrêta son récit et s'abîma dans la contemplation des volutes bleuâtres de sa pipe qui faisaient penser à des têtes de mort.

Lorsqu'il sentit l'atmosphère sur le point d'exploser, il fit semblant de réfléchir et lâcha enfin : comment vous décrire « CEPAROU » sans vous faire peur ?

Il mesurait près de deux mètres, n’avait qu’un œil et qu’une jambe, et même sa jambe de bois avait des varices. Il s’en servait pour frapper les p’tits mousses auxquels il menaçait d’arracher la tête pour la leur faire avaler.

Après plusieurs changements de direction et avoir essuyé la tempête du siècle dans la mer de Tantale, nous jetâmes l’ancre dans une vaste baie très poissonneuse que nous baptisâmes la baie Thonnière. 

Les hommes les moins malades partirent avec le capitaine à la recherche du trésor à partager. Nous étions lourdement chargés de pelles, de pioches et d’emballages divers. J’avais choisi de porter la boussole.

Nous pensions toucher au but lorsque nous tombâmes sur un panneau indicateur. Après des mois d’errance et d’abêtissement, ces imbéciles ignares applaudirent tous de joie et se tournèrent vers moi qui étais le seul à savoir lire.

C’est par où ? C’est par où ? Alors, Fredy, c’est par où ? ne cessait de répéter « CEPAROU » en me regardant de son œil chalumeau.

Les indications étaient écrites dans une langue dont j’ignorais jusqu’à l’existence, mais le capitaine, qui était sur le point de cracher son âme au diable et soignait son mal par de longues rasades de rhum frelaté, avait l’humeur chagrine. 

J’avais envie d’aller aux cabinets, mais il fallait rester positif et ne pas tergiverser. J’affirmai que c’était tout droit sur un ton de certitude granitique légèrement teintée de péremptoirité.

C’est ainsi que, peu après, nous tombâmes dans un guet-apens tendu par des snipers à la fléchette empoisonnée. D’horribles sauvages anthropophages.

Je fus le seul à pouvoir m’échapper de la marmite.




Les mots à placer :

Les petits cahiers d’Emilie sur le thème de la latitude : CHANGEMENT, VOYAGE, ÉTOILE, MESURER, ÉQUATEUR, POSITIF, VASTE, PARALLÈLE, LIBERTÉ, TRÉSOR, CARDINAL, COURRIER et CONQUÉRIR.


Collecte n°46 d’Olivia : TERGIVERSER, TANTALE, ABÊTISSEMENT, PINAILLEUSE, PARTAGER, CONVIVIAL, CABINET, EMBALLAGE et SNIPER.


mercredi, avril 15, 2020

Un élevage d'ornithorynques

Dodu et replet, Monsieur Durand était un homme extraordinairement ordinaire, mais cela ne présumait en rien de son destin hors du commun.

Taiseux de nature, il n’avait pas besoin de mots pour expliquer les raisons de son éclatante réussite. Sa dernière cravate et son plus beau chapeau témoignaient de celle-ci, chaque dimanche à la messe, auprès des paysans de la région.

Il avait commencé par être éleveur d’ornithorynques, dans l’espoir de vendre leur fourrure. Il avait construit des cabanes qui ressemblaient à des poulaillers et avait travaillé d’arrache-pied à la fabrication d’une machine qui distribuait automatiquement la nourriture aux animaux. Elle fonctionnait avec le moteur d’un vieux tracteur, couplé à la courroie d’une lessiveuse de récupération.

Mais bien qu’ils pondent des œufs, les ornithorynque ne sont pas des poules. Ils vivent dans des terriers et ne se plaisent qu’en Australie. Ils ne se nourrissent pas de graines mais d’écrevisses, de larves et de vers de terre.

Ce fut donc un cuisant échec et Monsieur Durand ne put continuer dans cette direction.

C’est à cette époque qu’il ouvrit une boutique de fleurs de pruniers. Contre toute attente, ce produit connut immédiatement un énorme succès, qui ne s’est jamais démenti.




Les mots à placer :

Sur le thème de la Ferme : TRACTEUR, POULE, PRODUIT, LESSIVEUSE, TRAVAILLER, OUVRIR, PAYSAN, DODU, POULAILLER, TERRE, PRUNIER, CONSTRUIRE, CONTINUER, COURROIE

MOTEUR, MOTS,TERRIER, ORNITHORYNQUE, CHAPEAU, CRAVATE, CABANE.



samedi, avril 11, 2020

Les ours en cage

Depuis que les ours sont confinés dans leurs grottes, l’atmosphère est délétère.

Ah ! Nous en avons entendu des vaticinations pompeuses et répétées sur l’inutilité du masque puis sur sa nécessité. Des arguments contradictoires extraits d’études avariées, des prolégomènes, prologues et préambules de solutions inadaptées.

Nous sommes marris et gros-jean comme devant.


Vivement l’arrivée des guérisseuses et sachons garder les pieds sur terre.


Contraintes :

Les mots imposés par « Des mots, une histoire » (44ème collecte d’Olivia Billington) sont :


DELETERE, TERRE, EXTRAIT, PROLOGUE, GROTTE, OURS, GUERISSEUSE, ATMOSPHERE, VATICINATION et MARRI. 

jeudi, avril 09, 2020

Le château du Comte Dragmzk

Epuisé par un voyage de plusieurs jours sur des chemins escarpés et mal entretenus,  au dessus de profonds ravins, j’étais heureux de pouvoir faire étape au château du comte Dragmzk.

Je l’avais rencontré par hasard, alors qu’il venait de faire une mauvaise chute de cheval qui lui avait fait perdre pratiquement toutes les voyelles de son nom. Je tenais à l’époque une officine, et dans ces cas-là, c’est toujours là qu’on sonne.

Perché au sommet de la montagne des sept échos qui vous renvoyait le moindre hoquet comme un boomerang, le château du comte Dragmzk était particulièrement isolé et lugubre et n’incitait pas à iodler.

Après un frugal repas devant une gigantesque cheminée qui dégorgeait plus de vent et de fumée que de chaleur, un gnome bossu et unijambiste me conduisit à la lumière d’un chandelier et à travers un dédale de corridors et de galeries jusqu’à ma chambre aux dimensions de cathédrale. Elle était glaciale et tapissée d’armures et de trophées de chasse qui semblaient me surveiller de leurs yeux morts.

Je ne sais pourquoi, mais je ne parvenais pas à trouver le sommeil dans ce lit à cinq places et à baldaquin, qui, d’après les ragots, avait déjà bercé les rêves de Barbe-Bleue et de quelques unes de ses femmes. J’essayais de rassembler mes esprits tout en surveillant les ombres mouvantes dessinées par les pâles clartés de la lune qui rendaient les objets vivants autour de moi.

Je n’ai pas honte d’avouer que bien qu’étant en mode confinement, je broyais déjà une quantité assez considérable de noir, lorsque mon radar interne m’alerta sur un bruit de pas dans le couloir.

J’avais la gorge plus sèche que le désert de Gobi et je me mis à trembler et chair-de-pouler de tous mes membres. Un homme marchait dans le couloir. Il s’arrêtait par intermittences puis repartait en trainant la jambe. La résonance de son pas s’éloignait et s’amplifiait à nouveau.

Un instant, il s’arrêta devant ma porte. Il s’agissait fort heureusement d’une porte massive renforcée de ferrures et munie d’énormes verrous que j’avais tirés avec soin comme me l’avait demandé Dragmzk. D’un air mystérieux, il m’avait d’ailleurs formellement interdit de quitter ma chambre.

Alors que j’étais moi-même en état d’apnée depuis plusieurs minutes, me parvenait distinctement le bruit d’un soufflet de forge ou d’une locomotive à vapeur qui devait être la respiration asthmatique du monstre.

Une bulle d’épouvante remonta les sables mouvants de mon estomac et vint crever au fond de ma gorge. Je me recroquevillai sous mes draps qui prenaient des allures de linceul.

Finalement, je ne sais si je me suis endormi ou évanoui.

Le lendemain, les yeux bouffis de mauvais sommeil et pochés de fatigue, je rapportai les faits au comte Dragmzk qui lisait son journal, un quotidien que lui apporte chaque matin un corbeau dressé par le service des Postes & Volatils.

Il partit d’un rire indélébile - sans doute un rire de Chine - qui me fit l’effet du crissement de la craie sur un tableau noir.

Je vais vous présenter l’homme qui marche, dit-il enfin, lorsque le tableau fut entièrement recouvert.

« Igor, ici immédiatement » hurla-t-il d’une voix noire stabilotée de jaune.

Igor surgit dans l’instant et dans un bruit de locomotive essoufflée.

Il y avait dans son regard quelque chose de l’hyène, du tigre, du cochon, du cobra, de la sole frite et de la limace qui faisait songer à Jack l’Eventreur mettant au point les détails de son prochain crime.

Il tenait au bout d’une chaine un chien de couleur jaune qui grondait en permanence. Sans doute un croisement entre la bête du Gévaudan et le chien des Baskerville.

Igor est chargé de la surveillance du château. Son chien se nourrit des voyageurs égarés.



samedi, avril 04, 2020

La lettre d'un héros

Chers parents bien-aimés,

Déjà trois semaines de confinement, mais ne vous inquiétez pas, tout va bien. Pour Pâques, même les lapins en chocolat ont un masque sur le museau, et les gens font leurs courses habillés avec des sacs poubelle, mais tout va bien. Hier, je suis allé à la banque après m’être délivré un billet de sortie, et avec un masque sur la figure, mais je le répète, tout va parfaitement bien.

Vous allez être très fiers de moi. Ce qui n’avait paru possible à aucun membre de la famille, est cependant arrivé : je suis un héros.

Tout ceux qui prétendaient que mon courage était équivalent à mon intelligence parce que je n’avais pas le moindre soupçon, ni de l’un, ni de l’autre, en seront pour leurs frais.

C’est officiel : je sauve des vies en restant chez moi. On m’a même délivré un badge qui l’atteste sur les réseaux sociaux.

Et je suis certain d’en sauver plus que d’autres ne sauraient le faire, car j’ai bien conscience que la paresse a toujours été mon point fort. Je n’en tire aucune gloire, c’est un don.

Moi qui ai toujours été partagé entre des aspirations de grandeur et cet incoercible besoin de ne rien faire, me voici comblé.

Votre fils, ce héros bienheureux.




PS : Je me demande si le gouvernement a prévu la remise de médailles ou le versement de fortes sommes d’argent.

jeudi, avril 02, 2020

Le crocodile et la vérité

Un crocodile démesuré, monstrueux, dévorait tous les voyageurs qui tentaient de franchir le petit fleuve Ououi qui rejoignait dès la première ondée la mangrove baptisée Ounon par les autochtones.

La vie aurait pu être heureuse et fluide dans ce coin de paradis, cette oasis de verdure, mais à cause du monstre tout allait à vau-l’eau. Le sort avait placé l’animal dès sa naissance tout près d'un gué, et il accomplissait avec application son travail de vrai crocodile, engloutissant dans un plouf létal les imprudents et les téméraires.

Cependant, il entendait parler avec amertume de la mauvaise réputation qu'on lui faisait dans les parages. Des oiseaux, des poissons, lui rapportaient tout le mal qu'on disait de lui. On disait en particulier du crocodile qu'il ne connaissait pas la vérité. Ces racontars le peinaient et lui posaient problème. Il réfléchissait longuement, presque totalement enfoui dans la vase, tandis que les passants se faisaient de plus en plus rares (ils préféraient, et on les comprend, traverser ailleurs).

Un jour, en plein midi, il vit une femme radieuse et spitante s'avancer sur la berge et s'apprêter à franchir le gué. Aussitôt le monstre jaillit, ruisselant de vase, et se jeta devant la femme, la gueule ouverte.

La voyageuse s'immobilisa et cria de frayeur.
  • Connais-tu la vérité ? demanda le crocodile.
  • Oui, dit-elle.
  • Eh bien, si tu me dis la vérité, je ne te dévorerai pas.

La femme lui répondit presque immédiatement.
  • La vérité, c'est que tu vas me dévorer.

Alors le crocodile écarquilla les yeux et ouvrit un moment sa longue tête plate. Car il est vrai que la vérité, quand on l'entend soudainement laisse un moment désarçonné, la bouche ouverte et les yeux ronds.

Cette scène est représentée sur une aquarelle que j’ai pu admirer là-bas, sur place, et c’est pourquoi je suis en mesure de la décrire avec autant de précisions.


Lorsque le crocodile secoua sa gueule et reprit ses esprits, bien entendu la femme était déjà sur l'autre rive. 

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Il s'agit d'un conte indien aménagé pour satisfaire les consignes d'écriture des Zentre-Nous.
Les mots imposés par « Les Zentre-Nous » sont les mots de la Francophonie 2020 "Dis-moi dix mots" :
AQUARELLE, À VAU L'EAU, ENGLOUTIR, FLUIDE, MANGROVE, OASIS, ONDÉE, PLOUF, RUISSELER et SPITANT.




Une liqueur explosive

Monsieur Fandenschtrüükensheim avait la taille d’un fusil de chasse et était à peu près aussi bruyant. Ses colères ressemblaient à un mélange de trompettes de Jéricho et d’orgues déchainées. Je ne tardai pas à attraper un mal de tête qui partait de la plante des pieds et remontait tout le long du corps en empirant.

On ne sait par quel caprice ou sortilège, un des membres du trio avait cru apporter un peu de douceur à cette satanée liqueur en ajoutant une espèce de sucre en poudre qui était un écoeurant mélange de cookies et pâtisseries à la fraise.

Il l’avait certainement fait avec tout l’amour de son métier, mais l’effet fut radicalement opposé.


Pour apprécier tout le sel de la situation, on pourra lire la véritable histoire de la famille Fandenschtrüükensheim en suivant ce lien.





Les mots à placer sur le thème du Délice étaient : PÂTISSERIE, AMOUR, SUCRE, ORGUE, SEL, FRAISE, SORTILÈGE, CAPRICE, TRIO, FAMILLE, COOKIE, DOUCEUR et ECOEURANT.

Frédo

Excusez ma vulgarité, mais en découvrant la collecte 43 d’Olivia, j’ai immédiatement pensé à Frédo, un joueur de ukulélé, hurluberlu et fantasque, faiseur de logorrhées et de purées verbales, qui s’enlise dans de mauvais pastiches et s’imagine qu’il va séduire les filles épilées en leur mettant la main au panier avant le coucher du soleil.


Mais je vous raconterai son histoire une autre fois.

Contraintes :

Les mots imposés par « Des mots, une histoire » (43ème collecte d’Olivia Billington) sont :

HURLUBERLU, PASTICHE, S'ENLISER, EPILER, LOGORRHÉE, FANTASQUE, PURÉE, SOLEIL, UKULÉLÉ et PANIER.