mercredi, mars 02, 2022

Un coup de fil dans la nuit...


 Je déteste les coups de fil dans la nuit. Ils annoncent toujours des mauvaises nouvelles. Lorsque le téléphone me réveilla à quatre heures du matin, je peux vous dire que je n’avais pas l’allure guillerette de l’homme qui peut se mettre à faire des claquettes. J’étais d’une humeur exécrable, de celle qui pousse mon voisinage à grimper dans les arbres.

L’inconnu du téléphone m’annonçait une déclaration de guerre. J’en étais sûr ! Depuis le temps que des chars de combat s’agglutinaient à la frontière, cela devait arriver, et plus tôt qu’on ne le pensait. Il y avait bien quelques naïfs pour prétendre que cela n’arriverait pas, mais j’étais certain du contraire. On ne m’écoute jamais.


Mais pas du tout, reprit mon interlocuteur, tu n’y es pas ! Ce sont les Martiens qui attaquent. !


J’ai raccroché immédiatement. Qui osait me faire cette farce à quatre heures du matin ? Une blague de mauvais goût en ces temps plus que troublés. Si je parvenais à découvrir l’auteur.e de cette plaisanterie, iel allait m’entendre. Il n’était pas question que je me rendorme. Cette histoire m’avait mis les nerfs en boule. Que dis-je, je n’étais plus qu’une boule de nerfs, seule raison valable pour que j’utilise l’écriture inclusive.


Je me dirigeai vers la fenêtre de ma chambre. Ce n’est pas tant que je croyais une seconde à une attaque des Martiens, mais si cela était vrai. — et je ne sais même pas pourquoi j’évoquais cette supposition ridicule en mon for intérieur — si cela était vrai, me dis-je, ils devaient arriver par les airs. Naturellement il n’y avait rien dans le ciel. Il n’y avait même pas de ciel du tout, tant la nuit était noire. On ne pouvait voir dans la rue, sous la lumière blafarde des lampadaires, qu’une pervenche qui déposait avec persévérance des papillons sur les pare-brises des voitures stationnées le long du trottoir.


Que faisait cette pervenche zélée à distribuer des papillons à quatre heures du matin ? Touchait-elle une prime pour travail de nuit ? Avait-on modifié les horaires de stationnement payant dans ma rue ? Je trouvais bizarre d’avoir à me poser de telles questions. Je ne sais pas si vous avez remarqué comme nous vivons dans une drôle d’époque. J’ai la prétention d’être un des vieillards de ce début de siècle les moins faciles à épater, et pourtant, ma vie n’est qu’une longue stupeur, surtout depuis ces cinq dernières années. 


Nous vivons dans un monde où l’on peut vendre une carte Pokémon vingt cinq mille euros, une paire de baskets, deux millions, une guitare, six millions et même des oeuvres d’art virtuelles, plusieurs millions d’euros. Un monde où la musique peut être jugée raciste, les cours de musique classique, colonialistes, et où seul un noir peut traduire un livre écrit par un noir. Un monde où l’on peut vous interdire de vous embrasser ou de boire un verre debout à un bar. Un monde où l’on vend des jeux video consistant à frapper sans raison tous les gens croisés dans la rue. Un monde où l’on renonce à l’utilisation des chiffres romains et où je dois noter l’employé qui vient relever mon compteur Linky. J’arrête là mon énumération qui pourrait être beaucoup plus longue. Je suis triste.


J’observe la femme en bas, penchée sur les voitures. Je lui trouve mauvaise mine. Est-ce le reflet des réverbères qui lui donnent ce teint olivâtre ? Et si c’était une Martienne ? La guerre est à ma porte ! Je pense à Flaubert qui écrivait à George Sand en 1870 : « Mon chagrin ne vient pas tant de la guerre que de ses suites. Nous allons entrer dans une époque de ténèbres. On ne pensera plus qu’à l’art militaire. On sera très pauvre, très pratique et très borné. Les élégances de toutes sortes seront impossibles ! Il faudra se confiner chez soi et ne plus rien voir… Je suis convaincu que nous entrons dans un monde hideux, où les gens comme nous n’auront plus leur raison d’être ».


On n'avance plus !

 La civilisation n’avance plus. Elle dérape, glisse, patine. Que dis-je ? Elle recule. Affirmer que l’homme est un animal doué de raison devient une notion obsolète. Faire l’achat d’une cure aux thermes de Caracalla pour une crise d’urticaire en est une preuve. Manger du pain bis, faire du vélo d’appartement et patauger en cercle dans un nuage de vapeur pour ne plus se gratter n’est-il pas un signe de décadence ? Il faut les voir avec leur tunique blanche, courir boire leur dernier verre d’eau soufrée de la journée, avant la fermeture. Ah! Ben oui, il faut les voir. Je vous le dis. On n’avance plus !



(Les 13 mots à placer étaient thermes, fermeture, animal, raison, cercle, nuage, achat, bis, tunique, urticaire, vélo, obsolète, et le 13 ème pour le thème : avancer)