mardi, décembre 14, 2021

Un violent corps à corps

 

Me croirez-vous si je vous dis que j’ai eu un violent corps à corps sur la margelle d’une fontaine  avec un lutin édenté sous le regard indifférent de la lune bleue ?


Ne riez pas, esprits superficiels ! Si les quatre thèmes imposés du mois de décembre sont réunis dans ce terrible événement, cela est pure coïncidence et un coup du Destin qui nous attend toujours au coin de la rue, matraque à la main.


Ah ! Vous me croyez ? J’avoue que je m’attendais plutôt à une réponse négative de votre part.


Alors, bien sûr, vous souhaitez que je vous raconte les circonstances qui m’ont conduit jusqu’à cette fontaine, et amené à rencontrer un lutin édenté et à l’anus artificiel. Je vais donc vous narrer par le menu, service compris et sans supplément, ce qui s’est passé ce soir-là. Ce n’est pas que la chose comporte un intérêt excessif, je n’ai pas la vanité de penser que ma vie puisse offrir le moindre intérêt, ou le plus petit agrément à être racontée, mais ça tiendra de la place et je ne perds pas de vue que mon récit doit « viser les trois mille signes, espaces compris ».


Donc, cela s’est passé au terme d’un cycle de conférences du plus haut intérêt auquel je participais. Les premiers sujets traités concernèrent l’influence de l’hippopotame sur le niveau des fleuves, puis  celle des plissements alpins de l’ère tertiaire sur la fabrication des crèmes antirides.


Ma prestation fut d’autant plus enthousiasmante qu’elle intervenait après celle d’un orateur atteint de troubles psychotiques sévères qui parla des massages tantriques pour s’élever jusqu’à Vishnou pendant la période brahmanique post-shivaïque. Après une violente philippique, ce mythologue mythomane saoula son auditoire d’enveloppantes circonlocutions pleines d’anacoluthes et de pédantes tapinoses. Aussi, le public fut-il soulagé lorsque vint mon tour pour lui parler de la constipation, des occlusions intestinales et de la terrible apopathodiaphulatophobie. C’est un sujet que je maitrise bien et je peux me vanter de n’avoir jamais glissé dans la diarrhée verbale. Mon générateur d’effets waouh, wahou, whaou, ouaouh, ouahou, tournait à plein régime. La foule applaudissait à tout rompre. Je suis habitué aux hourras. Il suffit d’attendre que la poussière retombe. Lorsque le plâtre cessa de tomber du plafond, je pus entamer la dernière partie de mon propos concernant le grand projet de transit intestinal.


C’est à ce moment-là que cet affreux lutin, cet abominable homme de Noël, voulut m’apporter la contradiction. Il prétendait qu’il avait un anus artificiel Bluetooth, ce qui le dispensait de se déplacer pour faire ses besoins. 


Nous approchions du vingt-cinq décembre et il y avait des Pères Noël partout. Autant vous dire qu’ils n’étaient pas là par hasard. Avec tous ces Pères Noël dans la salle, j’ai vu rouge et je suis sorti m’expliquer dehors avec ce lutin morveux. J’ai pour principe de ne jamais laisser Pandore ouvrir sa boite pendant mes conférences.


Après un atterrissage forcé sur la margelle de la fontaine, il m’avoua qu’il avait été perturbé par sa jeunesse d’enfant sauvage élevé par un couple de crapauds.


Derrière le mur

 


— Alors, Simplicius, est-il exact que la terre bouge ?


— Taisez-vous, malheureux ! Evidemment pas ! 

Me croyez-vous assez obscurantiste, Salviati, et assez complotiste, pour imaginer comme ce fou de Giordano Bruno, que la terre n’est pas immobile ? Cet adepte du copernicanisme ne méritait que le bûcher qui l’a emporté en fumée. Figurez-vous qu’il étudiait depuis des années le De Revolutionibus Orbium Coelestium !


D’ailleurs, ce bon Galilée est revenu sur cette théorie dont il prétendait détenir des preuves. Sans mauvais jeu de mots, vous admettrez qu’affirmer que la terre bouge, c’est le monde à l’envers. Il s’est rétracté de justesse devant le Tribunal de l’Inquisition car cela sentait le roussi pour lui. Il s’est abjuré sur le fil ! Et quand je dis « sur le fil », c’était vraiment « sur le fil », in extrémis si vous préférez, et le Tribunal, dans sa grande bienveillance, s’est contenté de l’assigner à résidence.

Au demeurant, nous avons pu anéantir ces théories fantaisistes en apportant la preuve du contraire.


— Comment cela ?


— Un cousin de ma belle-soeur nous a rapporté qu’un mousse, ayant servi sur le Don de Dieu, ce navire de cent cinquante tonneaux parti à la découverte de nouveaux mondes, a raconté que le bateau avait du faire demi tour après avoir rencontré un mur en haute mer. Un mur impossible à contourner. Un mur infranchissable.


— Et qu’y avait-il derrière ce mur ?


— Qu’y avait-il derrière ce mur ? Vous en avez de bonnes, vous. Comment voulez-vous que je le sache ? Le vide, certainement. Suggérez-vous de l’abattre ? Nul ne souhaite que les océans se déversent dans l’abîme ! Enfin, Salviati, réfléchissez deux secondes !