lundi, juin 26, 2006

Prémonition

39ème contribution à Coïtus Impromptus

Le thème : Prémonition

Ne me demandez pas pourquoi. Je serais bien incapable de vous apporter le moindre début d’explication. Pourtant, JE SAVAIS.

Je savais qu’il allait se passer des événements curieux dans ce petit chalet perché en haut de la montagne. Je sentais que nous avions rendez-vous avec l’insolite, l’inhabituel et l’inattendu.

Tout le monde était serré autour de l’effronté petit poêle en fonte qui ne cessait de siffler, péter et ronchonner, et qu’il fallait alimenter constamment en bûches bien calibrées.

Pour cela, il était nécessaire de déplacer les casseroles dans lesquelles fondait la neige pour alimenter évier et chasse d’eau. Puis retirer un à un, avec une tige en fer, les cercles de fonte. Pousser la bûche à l’intérieur du poêle en se brûlant. Se rendre compte que la bûche était trop grosse. La retirer. Oter un cercle supplémentaire avec beaucoup d’adresse pour qu’il ne tombe pas à côté du poêle ou ne brûle un des imbéciles autour, qui regardait sans lever le petit doigt. Remettre les cercles un à un en se brûlant à nouveau et replacer les casseroles à leurs emplacements initiaux et respectifs.

Personnellement je n’ai pas levé le petit doigt mais je n’ai jamais cherché à dissimuler mon admirations pour les courageuses personnes qui pratiquaient fréquemment ce périlleux exercice.

Je dois préciser à ma décharge que j’étais beaucoup trop occupé à boire du champagne et à grignoter, déguster et picorer les délicieux entremets qui circulaient abondamment.

Nous parlâmes de la vie de chalet, de ses habitudes rustiques, d’horizons dentelés et de décors à couper le souffle et donner le vertige, puis nous passâmes à table.

Nous fîmes alors un repas pantagruélique et fabuleusement bon au cours duquel les conversations continuèrent à rouler bon train sur des sujets où - le champagne et les bons vins aidant - je m’y connaissais mieux que personne au monde (je m’étonne moi-même quelquefois du nombre de ces choses).

Nous goûtâmes de très nombreux breuvages et les fîmes pleurer dans nos verres. Nous nous consultions ensuite du regard avec des coups d’œil interrogatifs qui commandaient l’admiration.

A la dixième bouteille nous commençâmes à refaire le monde et à trancher sans états d’âmes les nœuds gordiens les plus inextricables.

Ah, si cette nuit-là on avait été le gouvernement, la nouvelle année s’en serait trouvée transformée !

C’est alors que Jeanine a dit qu’elle avait quelque chose à dire.

Bien qu’elle l’eut dit d’une voix presque inaudible, le silence se fit instantanément. Jeanine n’avait pas encore dit grand chose, mais là elle avait quelque chose à dire et à la manière dont elle le disait, on sentait bien que c’était du sérieux.

On est tous tombés de haut lorsque ses lèvres, auxquelles nous étions suspendus, se sont mises à bouger pour dire ce qu’elle avait à dire.

Ce fut très bien dit et personne avant elle ne l’avait dit ce soir là et ce qu’elle disait était bien plus important que tout ce qui avait été dit jusque là. Il est vrai que Jeanine, dont l’esprit n’est pas immergé dans le formol, jouit d’une lynxesque clairvoyance, a étudié le Monde mieux que nous tous, possède une grande sagesse et connaît des tas de choses qu’on n’est même pas capable de prononcer.

Elle ménageait des silences étudiés pour permettre à chacun de s’adapter au sujet et laissa flotter librement sa dernière phrase dans l’air jusqu’à ce qu’elle pénètre nos esprits superficiels.

Elle nous regarda gravement, fixa les visages l’un après l’autre pour laisser à ses mots le temps de bien décanter.

On a tous approuvé et on l’a félicité de nous rappeler combien sont rares, parmi les hommes, ceux qui peuvent s’arracher aux marécages sans fond de l’ignorance.

Christian est sorti en grommelant quelque chose qui concernait le fait d’uriner et de prendre un bol d’air.

Ensuite les conversations normales ont repris jusqu’au moment du « trou savoyard ».

Le « trou savoyard » est une sorte de trou normand en plus profond et en plus fort, une boisson traîtresse qui coupe les jambes, même du plus aguerri.

Maryvonne avait préparé ces trous à l’avance et ils nous attendaient depuis si longtemps qu’il avaient pratiquement perforé le fond des verres.

Cet apéritif chauffa l’ambiance à blanc et alors que nous avions commencé la soirée en échangeant des propos à voix basse sur la vie en alpages et la climatologie, nous commençâmes à nous donner des grandes claques dans le dos.

Seule Maryvonne ne trouvait pas ça très fort. Pourtant ses lunettes se sont fendillées lorsqu’elle a fait cul sec.

Moi, je me suis mis à pleurer alors que je n’avais pas de chagrin particulier et lorsque j’ai voulu féliciter Maryvonne pour son courage, j’avoue que je n’ai pas reconnu ma voix.

C’est alors que tout a basculé.

Nous étions arrivés à ce moment de la soirée où les êtres humains, par distraction, perdent le contrôle d’eux-mêmes et tiennent des propos souvent distrayants et inattendus, mais qui rendent rarement hommage au raisonnable.

Christine qui, de notoriété publique, se laisse engourdir plus vite que les autres par le béatifiant liquide, tint des propos d’une ahurissante saugrenuité.

Elle fit savoir – comme si une telle information pouvait intéresser quiconque – qu’elle était particulièrement frileuse et appréhendait d’avoir à se coucher dans un lit glacé.

Elle fit cette annonce au moment où se produit ordinairement l’explosion des sentiments généreux. Catherine et Denis offrirent avec empressement d’échanger leur matelas situé à l’endroit le plus chaud du chalet avec notre lit réfrigéré.

Après les avoir outrageusement complimentés pour leur grande bonté d’âme, nous dûmes escalader acrobatiquement une échelle pour atteindre un lit niché sous la toiture.

Là, nous découvrîmes une impressionnante quantité de crottes de souris qui laissait à penser qu’une famille nombreuse avait récemment déserté la place, sans doute incommodée par notre vacarme et nos vociférations.

samedi, juin 24, 2006

La teutonne aux tétons titanesques

7ème contribution à Paroles plurielles

Le thème : Terminer obligatoirement par "m'offrir à celui qui ne me voyait pas"

Lorsque le téléphone sonna, Théo était en plein effort physique. C'était fou ce que les gens pouvaient être inconvenants pour oser vous déranger à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, au beau milieu de vos occupations !

Il n'aimait pas le téléphone, et se dit en cet instant précis que c'était l'objet le plus haïssable du monde.

Théo n'était pas extrêmement sportif, mais s'accordait épisodiquement une heure de sport en chambre.

Attention. Pas de méprise. Point d'échelle murale, ni d'haltères ou de vélo d'appartement. Non. Frida, tout simplement. Frida, la culturiste. Frida, la teutonne aux tétons titanesques. Gautier, l'autre Théophile, l'aurait certainement décrite en disant qu'elle avait une "gorge à faire descendre les dieux du ciel pour la baiser".

Théo n'était pas dieu et ne descendait que du singe. Il se sentait cependant capable de faire aussi bien qu'eux.

Sa culturiste, dont il s'occupait précisément de la première syllabe, ne semblait pas faire la différence.

Théo lui faisait l'amour divinement, et chaque inquisition dans la croupe généreuse arrachait à la teutonne des cris de satisfaction qui faisaient la joie des voisins de palier.

Le téléphone, objet totalement dénué de tact, continuait de lancer son appel strident. Il se mêlait à celui de Frida, au bouton bouté par le boutefeu de son boute-en-train.

A quoi tout cela allait-il aboutir ?

Excédé, sa main partit à tâtons vers le téléphone qui tomba en libérant un timide « allô » venu de l’autre bout du monde. Frida ôta le bandeau qu’elle avait mis sur les yeux de Théo.

« Scheise », dit-elle, « depuis le temps que je rêvais de m’offrir à celui qui ne me voyait pas ».

mercredi, juin 21, 2006

Dans les nuages

38ème contribution à Coïtus Impromptus

Le thème : Le texte doit se terminer par "... dans les nuages"

Anet G. compensait les centimètres qui lui manquaient par la terreur. Il avait également remplacé les quelques kilogrammes qui lui faisaient défaut par un poids identique de machiavélisme. Le cou décharné de ce héron étique, qui surgissait d’un col de chemise amidonné toujours trop large, lui donnait des allures de Triphon Tournesol. Nous le trouvions cependant beaucoup moins drôle et il nous faisait vivre dans la crainte permanente de la « petite récitance ».

La « petite récitance ».était une courte interrogation écrite, impromptue, aléatoire, improvisée et imprévue. Elle ne se faisait pas à main-levée mais au pied-levé.

Aussi, notre estomac se nouait lorsque la frêle silhouette se dessinait sur le chambranle de la porte, glissait le long du mur en montant les marches de l’estrade et disparaissait derrière le bureau dans un grincement d’os. Commençait alors une courte éternité d’anxiété.

Toute la classe attendait dans un silence polaire le verdict du jour.

-- « Ouvrez votre livre à la page 42 » et c’était un soulagement général, quelque soit, d’ailleurs, le numéro de la page. L’air redevenait respirable. Dans notre cour de récréation, les oiseaux se remettaient à chanter.

-- « Une petite récitance » énoncé sur un air méphistophélique, en détachant chaque syllabe, nous figeait le sang. Anet G. lâchait ces trois mots en balayant la classe de ses yeux vitreux qui, par la grâce de fentes palpébrales effilées comme des meurtrières, ne laissaient passer en guise de regard qu’une aveuglante intention de massacre.

En tirant d’un classeur à anneaux une feuille à gros carreaux qui nous servirait de copie, nous avions le baromètre de l’humeur en chute libre. Les « petites récitances » étaient un condensé de pièges funèbres et de sinistres difficultés de la langue latine, plus morte que jamais. Anet G. avait fait de chacune de ces interrogations un instrument de torture, une dictée façon « Prosper Mérimée » qui nivelait la classe par le bas, rassurant le cancre et désespérant le bon élève.

La traduction de « La guerre des Gaules », oeuvre de notre ennemi César, n’était pas davantage un exercice de tout repos. Il ne mettait toutefois au supplice que trois ou quatre élèves par séance, et nous gardions toujours l’espoir, naturellement, de ne pas en faire partie.

Anet G. était malingre et maladif. Pâle, le visage crispé, il quittait parfois la classe, plié en deux, un poing serré sur le ventre. Nous recevions ces interruptions de cours comme des oasis de tranquillité. Rien d’étonnant, après tout, à ce qu’un professeur de langue morte ait mauvaise haleine.

Cela est parfaitement monstrueux, mais aucun de nous ne souhaitait une amélioration de l’état de santé du professeur de latin et nous l’aurions tous envoyé dans les nuages.

mercredi, juin 14, 2006

Le jour où la lettre arriva

37ème contribution à Coïtus Impromptus

Le thème : Le texte doit commencer par "Le jour où la lettre arriva"


Le jour où la lettre arriva, au début du mois de mai, les services de la Poste entamaient une grève de plusieurs jours.
Elle ne fut pas distribuée.
Il y eu des manifestations dans les rues, des barricades, et les pavés volèrent.
Les employés de la Poste firent des réunions extraordinaires et occasionnèrent quelques dommages collatéraux tels que déplacements de meubles et de vertèbres. La lettre s’égara.

Elle fut retrouvée trente ans plus tard lors d’un déménagement nécessité par la mise en place d’une nouvelle charte graphique.

Chacun sait le point d’honneur que feu cette administration a toujours mis à distribuer les correspondances à leurs destinataires quelque soit la date d’expédition.

C’est ainsi qu’un petit commis postier, débutant mais ambitieux, se vit confier le soin de se rendre spécialement chez le père François, qui habitait une humble demeure à l’écart du village, pour lui remettre SA lettre.

Le jeune homme tendit l’enveloppe au Père François, la casquette à la main et des excuses plein les yeux.

Comme à l’accoutumée, le Père François offrit un canon de rouge au préposé et pendant que celui-ci apprenait les rudiments du métier, il tournait et retournait cette étrange lettre dans ses mains calleuses et usées par une vie de dur labeur.

C’était bien la première fois de sa vie qu’il recevait une semblable lettre.

L’enveloppe était une enveloppe spéciale pour les envois par avion et était couverte de jolis timbres étrangers.

Mais peu importe. Laissons-les aux collectionneurs.

C’est évidemment à son retard exceptionnel que cette lettre – reproduite ci-après - emprunte son intérêt, avec l’intention évidente de ne jamais le rembourser.

Mon cher oncle…

Et puis non. Tout compte fait, je ne vais pas la réécrire intégralement, d’autant qu’elle était tapée avec une antique machine à écrire dont le ruban exsangue lâchait des lettres pâles comme la mort, parfois très difficiles à deviner.

Elle débutait par des compliments que je passe sous silence, assez capables d’assommer un essaim de rhinocéros adultes, et disait en substance à peu près ceci : Je n’ai pas toujours été un bon garçon, loin de là. Tu m’as élevé à la mort de mes parents et je t’ai causé bien des soucis. Je n’ai jamais travaillé, préférant voler les honnêtes gens. Tu sais que dans les gares, je m’emparais parfois de la valise de certains voyageurs qui, pour des raisons qui leur étaient personnelles, ne tenaient pas à s’en dessaisir. Suivaient quelques explications oiseuses et illisibles. Je poursuis donc. Un jour, en ouvrant l’une d’elles, je tombai sur un énorme pactole. Sans doute de l’argent sale ou déjà volé. Peut-être les indemnités de départ d’un capitaine d’industrie remercié. Je ne l’ai jamais su. J’en ai peu utilisé, plusieurs vies n’y suffisant pas. L’argent ne fait pas le bonheur. Surtout quand on est petit, binoclard et grassouillet. Je te le donne, mon cher oncle, pour me faire pardonner les tracas que je t’ai occasionnés.
La lettre se terminait par une formule admirative et déférentielle à faire rougir une génération de langoustes, et y était joint un billet donnant les renseignements d’un compte numéroté en Suisse.

Le Père François s’écroula, foudroyé par une crise cardiaque, et l’on ne revit jamais le petit commis postier.

lundi, juin 12, 2006

La question

6ème contribution à Paroles plurielles

Le thème : Entre ciel et terre... tomber… ou m’envoler… ?

Entre ciel et terre… tomber… ou m’envoler… ? Interrogea Peter pour donner du relief à son récit et aiguiser, comme s’il en était encore besoin, l’intérêt de son auditoire.

Ils étaient tous suspendus à ses lèvres, fascinés et perplexes. Le vieux Fred ouvrit la bouche sans s’apercevoir que ses dents du haut, qu’il avait depuis maintenant presque deux ans, tombaient par terre avec un bruit sec.
Arthur, comme à l’accoutumée, souriait bêtement en ouvrant sa bouche édentée, au point que les autres pouvaient voir son sourire jusqu’à l’occiput.
Le timide Paulo restait coi, la bouche pleine des questions qu’il n’osait pas poser.
Ludvig, dont la curiosité était à deux doigts de la déflagration, tomba de son tabouret lorsque le balancier de l’horloge lâcha prise et rendit l’heure.
Tous attendirent avec anxiété qu’elle ait vomi ses douze coups de minuit.

Le capitaine qui, depuis quelques instants, hésitait au bord de la conversation, profita du silence qui s’en suivit pour y faire un plongeon péremptoire.

Cela dépend. Affirma-t-il.

Cela dépend, cela dépend… mais de quoi tonnerre ? demanda Ludvig avec circonspection.

Le vieux loup de mer vers lequel tous les regards étaient à présent tournés, se lécha la bouche pour enlever un peu de sauce égarée dans sa barbe, saisit son verre, but lentement, s’essuya méticuleusement, rota discrètement, leva non moins discrètement la fesse gauche pour exfiltrer un gaz intempestif puis contempla attentivement le bois de la table jusqu’au moment où il sentit l’atmosphère sur le point d’exploser.

De la vague… cela dépend de la vague !

Le godillot de Ludvig emporta sa casquette de vieux marinier.

Il ralluma sa pipe en écume et camoufla les soubresauts de son rire derrière la fumée.

samedi, juin 10, 2006

Les lumières dans la plaine

36 ème contribution à Coïtus Impromptus

Thème : Les lumières dans la plaine


Dame Cunégonde souleva la tête l’inconnu.

-- Comment vous sentez-vous beau troubadour ?

La flamme d’une torche faisait danser les ombres et rendait son visage énigmatique.

-- J’ai vu les lumières dans la plaine, réussit-il à articuler, en reprenant conscience.

Son cœur battait la chamade. Il revenait à la vie.

-- Je les avais tant attendues, tant espérées, dit-il d’une voix mieux assurée. Je les avais aperçues au loin. Elles étaient la récompense de moult jours de marche pour les atteindre. Les chemins abrupts. Les moustiques. Les sangsues. La faim. La soif. Surtout, la soif. La peur de la mort. Que s’est-il passé ?

-- Restez calme. Il n’y a pas de danger. Vous avez rejoint les lumières dans la plaine.

-- Je me vois courir à leur rencontre, dévaler la pente de plus en plus vite. Elles étaient mon alut, la vie. Elles faisaient tourner dans ma tête une ronde de fées joyeuses qui effaçaient toutes mes lassitudes et mes tourments. Mon corps retrouvait une énergie qu’il croyait à jamais perdue. Et puis plus rien. Le trou noir.

-- Mon Dieu, Petit Jean, pourquoi as-tu assommé le joli ménestrel avec sa viole de gambe ?

-- J’ai crié « Qui va là ?» … et personne n’a répondu Dame Cunégonde.

De temps en temps


écrire une petite anecdote, une tranche de vie, un épisode de voyage, la tête de mon voisin...