vendredi, septembre 29, 2006

La semaine infernale

1ère contribution à Littéméraire

La consigne : "La semaine infernale" : Dans la semaine, il y a immanquablement un jour qui nous chipote, qui nous taraude, qui nous gonfle. Racontez une histoire à partir de ce jour noir qui revient – inéluctablement – chaque semaine. Suspense, tragédie, embrouilles…

Anet G. compensait les centimètres qui lui manquaient par la terreur. Il avait également remplacé les quelques kilogrammes qui lui faisaient défaut par un poids identique de machiavélisme. Le cou décharné de ce héron étique, qui surgissait d’un col de chemise amidonné toujours trop large, lui donnait des allures de Triphon Tournesol. Nous le trouvions cependant beaucoup moins drôle et il nous faisait vivre dans la crainte permanente de la « petite récitance du vendredi ».

La « petite récitance du vendredi » était une courte interrogation écrite, impromptue, aléatoire et improvisée qui nous gâchait le reste de la semaine. Elle ne se faisait pas à main-levée mais au pied-levé.

Aussi, notre estomac se nouait lorsque la frêle silhouette se dessinait sur le chambranle de la porte, glissait le long du mur en montant les marches de l’estrade et disparaissait derrière le bureau dans un grincement d’os. Commençait alors une courte éternité d’anxiété.

Toute la classe attendait dans un silence polaire le verdict du vendredi.

-- "Ouvrez votre livre à la page 42" et c’était un soulagement général, quelque soit, d’ailleurs, le numéro de la page. L’air redevenait respirable. Dans notre cour de récréation, les oiseaux se remettaient à chanter, nous faisant déjà savourer la perspective d’un week-end serein.

-- "Une petite récitance" énoncé sur un air méphistophélique, en détachant chaque syllabe, nous figeait le sang et augmentait notre aversion du vendredi, du poisson et de Robinson Crusoé.

En tirant d’un classeur à anneaux une feuille à gros carreaux qui nous servirait de copie, nous avions le baromètre de l’humeur en chute libre. Les « petites récitances du vendredi ».étaient un condensé de pièges funèbres et de sinistres difficultés de la langue latine, plus morte que jamais. Anet G. avait fait de chacune de ces interrogations un instrument de torture, une dictée façon « Prosper Mérimée » qui nivelait la classe par le bas, rassurant le cancre et désespérant le bon élève.

Il avait les yeux cernés comme la maison d’un fou sanguinaire, et dictait ses questions en balayant la classe de ses félines pupilles qui, par la grâce de fentes palpébrales effilées comme des meurtrières, ne laissaient passer en guise de regard qu’une aveuglante intention de massacre.

La traduction de « La guerre des Gaules », oeuvre de notre ennemi César, n’était pas davantage un exercice de tout repos. Il ne mettait toutefois au supplice que trois ou quatre élèves par séance, et nous gardions toujours l’espoir, naturellement, de ne pas en faire partie.

Anet G. était malingre et maladif. Pâle, le visage crispé, il quittait parfois la classe, plié en deux, un poing serré sur le ventre. Nous recevions ces interruptions de cours comme des oasis de tranquillité. Rien d’étonnant, après tout, à ce qu’un professeur de langue morte ait mauvaise haleine.

Cela est parfaitement monstrueux, mais aucun de nous ne souhaitait une amélioration de l’état de santé du professeur de latin.

samedi, septembre 23, 2006

Le requiem

11ème contribution à Paroles plurielles

La consigne : Vous écrivez un texte court commençant par "Je ne l'aime pas, mais tant pis".
en vous inspirant de cette belle peinture (Guillemard)





Je ne l’aime pas, mais tant pis.

Les sentiments que je nourris à son égard - pour ce qui est de leur température - ne sauraient suffire à faire fondre un centigramme de suif.

Je ne supporte pas sa vie dissolue, ses fêtes incessantes où il s’agite comme un diable sur le piano. Croyez-moi, après une heure ou deux, ses aisselles perdent de leur charme et je ne vous parle pas des effluves de ses sudations pédestres.

J’abhorre surtout sa grossièreté et les propos scatologiques qu’il tient. Même avec sa mère.

Je déteste en particulier sa façon de rire. Il éclate d’un de ces rires exaspérants d’imbéciles bruyants et à pleine mâchoire dont il a le monopole.

Mais ce que je ne lui pardonne pas, c’est cette facilité qu’il a de composer, de jouer et de remporter des succès à répétition pendant que je peine, tendu corps et âme vers l’horizon sans cesse plus lointain de la réussite.

Qu’a-t-il donc de plus que moi ?

J’ai tout de même été compositeur de la cour puis directeur de l'opéra avant de devenir le Maître de chapelle de l'empereur.

Mais que peut valoir ma musique alors que l’on ne jure que par lui ? Que pèse ma carrière quand on répète à l’envi qu’il est génial, le plus grand de tous, l’incontournable, celui que tout le monde s’arrache ?

Allez ! Il est malade. A l’heure où je burine ces lignes lapidaires, il a besoin de moi pour écrire sous sa dictée les notes d’un requiem.

Non, je ne l’aime pas, mais tant pis. Je ne peux rien refuser à Mozart.

Antonio Salieri

jeudi, septembre 21, 2006

Les mauvais génies

42ème contribution à Coïtus Impromptus

Le thème : Les mauvais génies


A ce qu’on dit, il y aurait des mauvais génies partout : dans les cailloux pointus, les puces, les fraises de dentistes, les flatulences, les hémorroïdes et même la gomme à mâcher collée sous mes semelles.

L’important est de savoir leur parler.

Alfred savait.

Nous l’avions rencontré en Indonésie, au fin fonds du Pays Toraja dont il était originaire et il nous avait fasciné par sa double personnalité.

Alfred était notre guide, mais aussi le « Docteur Jekyll et Mister Hyde ».

Un jour, il nous dit sans préambule qu'il était parfaitement capable de provoquer des migraines à une femme qui lui manquerait de respect, et cela, grâce à ce don qu’il avait de savoir parler aux mauvais génies.

(Silence dans le minibus)

Vous me direz qu'en Europe aussi, nous somme tout à fait capables de donner des migraines à une femme qui nous manquerait de respect, une bonne gifle faisant parfaitement l'affaire.

Voilà bien notre côté rustre et sauvage.

Alfred, lui, agit à distance. Aucun contact ne s'impose. Il parle aux génies, pique une poupée ou fait brûler quelques herbes mystérieuses. Il ne reste plus à la malheureuse qu'à aller se coucher en se tenant la tête à deux mains.

Quand il nous a fait ces confidences, nous nous sommes dits qu'il valait mieux être très gentil avec Alfred. S’il nous arrivait de lui déplaire d'une quelconque manière, nous risquions de sérieux problèmes, pauvres touristes perdus au milieu de la forêt vierge et des cochons noirs.

D'ailleurs, nous avions en permanence sous nos yeux effarés un exemple de ce dont il était capable.

Un autre jour, Gana, notre chauffeur, n'avait pu éviter un nid-de-poule et avait brutalement réveillé Alfred. En représailles, celui-ci lui a fait pousser les lobes des oreilles jusqu'au milieu de la mâchoire, l’affligeant d’une laideur embarrassante et définitive.

(Silence dans le minibus)

A présent, j’ai mon idée sur les guides indonésiens.

Et mes idées, reconnaissez-le, sont bien souvent frappées au coin du génie.

samedi, septembre 16, 2006

Erreur d’aiguillage

10ème contribution à Paroles plurielles

La consigne : "Vous écrivez un texte érotique court dans lequel tout est suggéré par métaphores ou périphrases..."


Ievguenia était une splendide gaillarde, à la croupe avantageuse, au teint plâtré de fard, aux yeux charbonnés, aux lèvres sanguinolentes et certainement titulaire de la plus belle devanture de Moscou et de sa grande banlieue. Le tout était véhiculé par une paire de jambes à faire rougir un Père Blanc et capables de provoquer les émotions les plus frétillantes.

Dès que Viktor Ivan Nikitarovitch l’aperçut, l’endroit le plus secret de son anatomie lança immédiatement un défi à Von Karajan.

Il avait un visage rond, un gros nez rouge et des lèvres qui ressemblaient à du pâté de tête. Son crâne bosselé évoquait le capot d’une vieille Lada. et ses yeux bridés ne laissaient filtrer qu’un terrible appétit de vice.

Ievguenia Alekssandrovna qui aimait particulièrement ce genre là tomba immédiatement amoureuse de lui. Il lui plaisait d'avancer vers l'engrenage du hasard, pour être entraînée, malgré elle, aux conséquences les plus fatales.

Bien décidée à plonger rapidement le cosaque dans le vertige de son corsage et les commissures de son intimité, elle lui offrit peu de minutes plus tard l’hospitalité de son hangar à fourrage.

Elle ne fut pas déçue.

Ses mains partirent en balade, glissèrent le long de la splendeur velue du torse de Viktor Ivan Nikitarovitch, s’attardèrent sur les épaules osseuses, descendirent le long des bras, touchèrent les hanches, le ventre plat et encore un peu plus bas.

Là, les mains s’arrêtèrent.

Ievguenia Alekssandrovna ouvrit grand les yeux et toucha encore une fois. Etait-ce vraiment possible ? Avec une précaution infinie elle souleva la couette pour confirmer de visu la découverte de sa main.

Ses ébats connurent alors un surcroît d’intensité dont le ressort lui échappait de temps en temps.

Dans la tempête un port vaut le port voisin et une navigation rendue impétueuse peut inopinément conduire à passer de l’un à l’autre.

Ievguenia Alekssandrovna, à qui il était déjà arrivé d’offrir à quelques indiscrétions viriles le porche de ses excreta, ne s’en émut pas démesurément.

lundi, septembre 11, 2006

La dynamique des verres à pieds

41ème contribution à Coïtus Impromptus

Le thème : La dynamique des verres à pieds


Le vin pétillait dans les verres et dans les yeux, faisant disparaître le « méta » de nos esprits métaphysiques.

C’était un divin bourgogne, fruité, légèrement frais, qui éblouissait tant nos muqueuses que nous avions déjà rangé un certain nombre de flacons à la section des bouteilles vides.

Jean-Pierre, plus que les autres, buvait tel un abîme. Il appréciait le nectar, certes à petites gorgées, mais à des intervalles effroyablement rapprochés et à des doses sans rapport avec la doctrine homéopathique.

Bernard, que le béatifiant liquide lançait toujours sur la voie de la réflexion, lui demanda :

- Vos verres à pieds sont-ils dynamiques, mon cher Jean-Pierre ?

La question plongea Jean-Pierre dans le baquet du très vif étonnement.

- Si mes verres à pieds sont dynamiques ! ? Qu’entendez-vous par là, mon cher Bernard ?

- J’entends le glassharmonica de Benjamin Franklin, ou mieux, le mattauphone de Joseph Mattau.

- ……

- Ecoutez, c’est bien beau d’avoir des verres à pieds, mais encore faut-il les faire chanter de temps en temps…

- Que me chantez-vous là ?

- Vous semblez ignorer qu’il existe des verres à pieds ternes, mous, flasques et ennuyeux et d’autres, dynamiques. D’où la théorie bien connue de la dynamique des verres à pieds.

Jean-Pierre regarda Bernard comme un nombre premier qui s’afficherait tout d’un coup avec une virgule.

- J’ai beaucoup étudié ces derniers temps le chaudron du Dagda, le Saint Graal et le Ciboire, poursuivit Bernard qui était passé aux digestifs et que l’eau-de-vie rendait capable de trancher par troupeaux les nœuds gordiens les plus inextricables, et bien

- Et bien « rien du tout », coupa Jean-Pierre. Apprenez, jeune homme, que ce qui fait la dynamique du verre à pied est ce que l’on met dedans et qu’il vaut mieux prendre son pied avec un verre que de prendre un verre avec son pied…

Bernard glissa tout doucement sous la table, ce que les autres considérèrent comme une conduite, somme toute, normale. Bernard glissait toujours sous la table à un moment ou à un autre.

Jean-Pierre pencha la tête et regarda le dormeur.

- Ah oui ! Elle est belle la dynamique des verres à pieds, grinça-t-il.

mercredi, septembre 06, 2006

La vieille dame et le loup

9ème contribution à Paroles plurielles

La consigne : Terminer obligatoirement par "J'ai terriblement besoin de faire pipi"


Comment pourrais-je oublier cette vieille dame de l’hospice, recroquevillée sur son lit ?

Elle avait retiré ses dents et sa bouche était rentrée pour la nuit.

Ses paupières se soulevèrent péniblement à mon passage, libérant un regard de banquise.

Son visage cadavérique était vide de toute expression et je n’étais pas sûr qu’il se passait quelque chose dans son crâne de zombie comateux.

Le plus calmement du monde, elle sortit de son nez un loup qui aurait fait pâlir de jalousie le vieil homme et la mer.

D’interminables et angoissants points de suspension se glissèrent entre nous, envahissant l’espace de leur perfide silence.

Soudain, ses yeux s’accrochèrent à moi comme du fil de fer barbelé, comme à une bouée de sauvetage.

Je ne pus soutenir son regard implorant.

Tournant la tête, je remarquai sur le mur à la peinture écaillée, la photo d’un enfant jouant sur la plage…

Elle dit d’une voix algide, une voix pâle comme sa face et qu’elle essayait en vain de faire gazouillante : « J’ai terriblement besoin de faire pipi ».