jeudi, mars 11, 2021

Trop tard

 

Lorsque la grande pandémie s’est propagée dans le monde, personne ne fût surpris. Tout le monde savait que cela arriverait un jour. C’est bien connu, il y a toujours des épidémies qui circulent périodiquement. On en avait vu d’autres. Il n’y avait donc rien d’étonnant à cela. On l’attendait. Ni plus, ni moins que les autres. 


D’ailleurs, des stocks de masques pour y faire face avaient été constitués et devaient être renouvelés. Ils le furent, et même plus que largement, mais avec un léger retard.


On était d’autant moins surpris qu’on l’avait vu arriver cette pandémie. Elle avait circulé dans différents pays avant de nous atteindre et on avait pu observer les mesures de confinement prises par les uns et les autres. Il était apparu que les pays qui n’appliquaient pas ces mesures de précaution étaient plus gravement atteints. Alors, après avoir longuement pesé le pour et le contre, on s’est décidé à confiner aussi. Un peu trop tard toutefois.


Heureusement, pour parvenir à circonscrire la pandémie il y avait les tests qui devaient permettre le traçage. Hélas, on les avait commandés tardivement, et quand on a pu les réaliser, le processus de traçage était devenu impossible car il y avait trop de personnes atteintes. 


Rien cependant n’était perdu puisque le vaccin avait été trouvé. C’était d’ailleurs des chercheurs du pays qui l’avaient mis au point, mais ils avaient quitté le pays depuis longtemps car on avait tardé à les retenir. À la réflexion on tardait beaucoup. C’était une marque de fabrique. 


Mais bon, il existait ce vaccin, et c’était bien là l’essentiel. Naturellement, on avait tardé à commander les doses pour des raisons financières et administratives, et les autres pays avaient été servis avant nous. 


Pour ne pas faillir à notre réputation, le mot d’ordre de la campagne de vaccination fut « Rien ne sert de courir, il faut partir à point ». Le bon La Fontaine dut-il se retourner dans sa tombe, cette fois la tortue ne rattraperait pas le lièvre.


Il semblait bien qu’à la longue, tous ces retards accumulés pouvaient être  préjudiciables. Certains affirmaient que si l’on continuait ainsi, on ne tarderait pas (pour une fois) à le regretter et à disparaître.


Le rassurant, dans cette affaire, était qu’il n’est jamais trop tard pour mourir. Et en matière de retard, le pays avait acquis beaucoup d’expérience.

mardi, mars 02, 2021

La pension Germaine


Je n’aime pas la soupe. Je n’ai jamais aimé la soupe. Trop de souvenirs sinistres s’y rattachent. Je me suis juré de ne jamais faire partie du royaume du velouté, du gaspacho ou du minestrone. Ne dit-on pas que tout est foutu lorsque les carottes sont cuites ? Je me suis rebellé. C’est dans ma nature.


Alors, ils ont décidé de m’envoyer en stage de soupe comme on envoie en maison de redressement. Ils ont choisi la maison de correction la plus dure, la plus sévère : la pension Germaine. Elle avait une solide réputation de férocité, à la limite de la cruauté. Tout y était rude et fruste. Son personnel n’était composé que de Germaine et de deux ou trois impitoyables garde-chiourmes particulièrement inflexibles et insensibles.


Ah, mes amis ! J’étais bien loin de l’auberge du cochon de lait et de la truite saumonée. Je me souviendrai toujours de mon arrivée là-bas. Quel retour en arrière ! J’avais l’impression d’avoir remonté le temps. Il y avait devant le portique deux chevaux qui étaient là comme deux chevaux sur la soupe. Je n’ai pas tardé à le comprendre…


Les locaux étaient sinistres et dépouillés. Les chambres sordides ne recevaient qu’une clarté barbare et insignifiante, et vous ne disposiez que de la cloison de vos paupières pour avoir un peu d’intimité. Dans ce qui tenait lieu de salle à manger, terme abusif j’en conviens pour une pièce miteuse qui donnait l’impression de ne pas avoir été balayée depuis sa construction, l’essentiel du mobilier était composé d’une table, de deux bancs, et d’une énorme soupière blanche et ébréchée accompagnée d’une louche désassortie et de quelques assiettes.


À la pension Germaine, l’annonce des repas ne se faisait pas avec une cloche comme je l’ai vu pratiquer dans certains établissements civilisés. Quel que soit le repas, on entendait crier depuis la cour centrale « à la soupe ! », et c’était ce qu’il y avait de mieux à dire car on vous servait de la soupe le matin, le midi et le soir. Rien d’autre. Il n’y avait pas de « menu » chez Germaine, il n’y avait que de la soupe. Une soupe à la couleur indéfinissable, dans laquelle vous aviez renoncé à trouver la trace d’un morceau de pomme de terre ou de tout autre légume. Un liquide improbable sur lequel stagnaient parfois les yeux immobiles de la graisse d’un cochon malheureux arraché subitement à l’affection des siens, et d’autres fois, des morceaux de pains durs qui semblaient cuits pour des becs de perroquet. Le seul luxe était le sel que Germaine tirait d’une poche en tissus accrochée à son tablier et qu’elle servait à volonté.


Malgré ce décor d’apocalypse, les occupants de la pension Germaine glissaient en silence vers la table comme des lions vers le point d’eau et commençaient à tendre leur assiette. C’étaient de pauvres bougres. Des taiseux avec lesquels toute conversation était impossible, même sur les phénomènes de météorologie les plus élémentaires. Des mouches s’envolaient de leur tignasse chaque fois qu’ils secouaient la tête.


Les seules lectures autorisées étaient les feuilles de choux de l’AAS (L’Association des Amateurs de Soupes) ou du CGG (Club du Gaspacho à Gogo). Je n’oublierai jamais la pension Germaine !