mercredi, novembre 11, 2020

Seul

Il était seul. Absolument seul. Trop seul au monde pour qu'un prénom lui fût utile. Mais il aimait cela. Ceux qui l’avaient fréquenté étaient rapidement devenus allergiques à sa personne.

Il avait fait des retraites dans les monastères les plus isolés de la vallée de Katmandou, ainsi que dans les plus hautes météores de Thessalie. Il avait connu les hivernages du Spitzberg, était resté des mois bloqué dans les glaces de la baie de Qikiqtarjuaq en compagnie des ours, mais à présent il avait mis un terme à ces aventures solitaires.


Il se passait encore trop de choses autour de lui. Il voulait vivre intensément et seule l'oisiveté, la vraie, lui permettrait d'atteindre cette jouissance. Il privilégiait les richesses intimes de l'âme et méprisait l’argent.


Cela lui était facile. Fils unique d'un couple de bourgeois fortunés, il vivait à présent dans un château isolé au milieu de landes brumeuses et de marais infestés de sables mouvants. Il n’avait pour seul compagnon que les fantômes de chevaliers errants qui s'étaient entretués dans ce coin perdu vers la fin du XIIIe siècle. Un philodendron déprimé constituait l'unique présence ou palpitait un atome de vie dans son univers.


Alors, il restait là, immobile, vautré dans un fauteuil poussiéreux, comme la poupée d'un ventriloque après la fin du spectacle. Sa barbe de quatre jours, ses yeux cernés et fiévreux, ses doigts tachés de nicotine et son tricot de corps crasseux, racontaient la triste et sempiternelle histoire de l'homme qui n'a que le Misanthrope comme livre de chevet.


Sa seule joie fut d'apprendre par le facteur la décision de confinement.


Aucun commentaire: