mardi, mai 06, 2008

Une tache de vin bien marquée

L’expression ahurie du maçon Marcello, lorsqu’il entra dans le bureau du patron, restera à jamais gravée dans les tablettes de ma mémoire.

Il avait une grosse tête chauve arborant une jolie couleur verdâtre, à l’exception d’un nez rouge qui avait légèrement dévié du droit chemin.

Il fut immédiatement accueilli par une impressionnante série d’orgasmes gutturaux. Des mots comme « pignouf », « hurluberlu » et « crétin » s’envolaient de la bouche du patron comme chauve-souris d’une grange.

D’émotion, le pied de Marcello butta sur le pas de la porte et il exécuta une série de figures acrobatiques dignes de Bambi faisant ses premiers pas.

Lorsqu’il eu recouvré un semblant d’équilibre, ses yeux exophtalmés en groseilles à maquereau fixèrent intensément le patron comme s’ils cherchaient une trace de plaisanterie sur son visage.

Ce fut en vain.

Pourquoi as-tu fait un mur dans le champ du voisin ? Hurla-t-il avec la puissance d’une explosion dans un dépôt de munitions.

Je n’avais jamais vu Marcello prendre une teinte aussi riche. Il avait un regard où l’effarement tournait à plein rendement et on aurait dit une tomate essayant de s’exprimer.

Le patron leva une main pour étouffer dans l’œuf toute velléité de protestation, l’autre était serrée et déjà très occupée à taper rageusement sur son bureau.

Il a détruit deux poulaillers et une écurie, je vais étrangler cette crapule de mes mains et piétiner son cadavre avec des souliers à crampons me lança-t-il en jetant des flammes par les narines.

L’angoisse fut à son comble lorsqu’il assena sur son bureau un ultime coup de poing qui aboutit sur une agrafeuse renversée. La véhémence de ses propos monta d’un cran supplémentaire. C’était comme si les trompettes de Jericho s’étaient transformées en trompettes de Marcello pour lui annoncer un jugement Dernier d’une exceptionnelle rigueur.

Flanquez-moi ce bougre par la fenêtre que je voie jusqu’où il rebondit vociféra le patron, traitant le pauvre Marcello de méduse visqueuse, de crabe, de lézard, de larve rampante et autres termes composant le fameux répertoire des pires corps de garde qu’il m’est difficile de reproduire ici, ayant dû interrompre prématurément des études de blasphémologie.

Devant cette créature de Frankenstein au sommet de sa forme, Marcello émettait des bruits faisant songer à un buffle cherchant à se dégager d’un marécage. Il contemplait son patron d’un œil morne, comme un prisonnier dont le gardien vient de lui annoncer qu’il sera fusillé à l’aube.
J’ai suivi les indications du plan, réussit-il enfin à expulser avec l’élocution pâteuse d’un ivrogne de music-hall.

Ah ah ah, il a suivi les indications du plan ! Reprit le patron dans un rire creux et sans joie.
Il brandissait rageusement le document incriminé.

Cet imbécile a suivi les contours d’une tache de vin qu’il a faite sur le plan.

1 commentaire:

Solange a dit…

J'ai bien l'impression que le pauvre Marcello va avoir tout son temps pour le cuvé son vin.