lundi, octobre 03, 2022

La décision


Dans son rocking-chair Jean-Paul s’énerve tout seul devant sa télévision. À présent on lui annonce la fin de l’abondance, les pénuries et la hausse des prix. C’est l’inflation. C’est la guerre. Tout ce qu’il consomme semble venir d’Ukraine, alors évidemment tout augmente, son essence, sa baguette de pain, sa moutarde, son huile et son papier hygiénique. Il doit faire attention à sa consommation d’eau, d’électricité et n’est pas sûr de pouvoir se chauffer cet hiver. D’autant moins que sa retraite est grignotée petit à petit par des dirigeants plus soucieux d’enrichir les plus riches que de s’attacher au bien-être de la population, et qui pratiquent l’aumône au coup par coup en espérant contenir ainsi les mécontentements. Triste sort que le sien ! Que manque-t-il à son malheur ? La huitième vague ?


On lui avait déjà pourri l’existence avec des confinements à répétition, des couvre-feux, l’interdiction de se déplacer, les masques, la chloroquine, le gel hydroalcoolique. On lui a interdit de visiter puis d’enterrer ses grands-parents. C’est vrai que lorsqu’il n’avait pas le droit de sortir, il dépensait moins, et il n’avait pas à se confronter avec des radars de plus en plus nombreux sur des routes limitées à 80 km/h. Il a l’impression que l’on s’acharne à lui gâcher l’existence et le faire vivre dans une peur permanente. La dernière en date : celle de la guerre nucléaire. Mais qu’ils la fasse péter la planète ! Tout de suite ! Ça gagnera du temps ! Et que les soit-disants privilégiés pourrissent dans leurs bunkers souterrains ! Il n’en veut pas. Il leur laisse.


Quand il pense aux progrès qu’il a connus. Paris se rapprocher de Marseille, les avions passer le mur du son, le Concorde, le France, les hommes aller sur la lune, la pilule, la légalisation de l’avortement, les greffes de coeur et de reins, le scanner et l’I.R.M., et même cette télévision devant laquelle il perd son temps à présent… Il a vu tout ça. Il a vécu tout ça. Il a connu son pays admiré par le reste du monde…


Aujourd’hui, ceux qui le dirigent sont mis en examen les uns après les autres. C’est plutôt un sentiment de déclassement qu’il ressent. Dans tous les domaines : la santé, la sécurité, l’enseignement… Il voit l’eau se troubler et le ciel se voiler. Les étés ont un goût de brûlé. Il a oublié l’odeur de la terre, le rythme des saisons. Il a vu disparaître les arbres et les espèces qui volent ou qui marchent. Il a vu le niveau de la glace descendre, celui des océans monter, il a vu les déserts avancer et les migrants se noyer.


Et surtout, il voit revenir les ombres effrayante du passé, les hommes perdre la mémoire, commettre les mêmes erreurs, encore et encore…


Jean-Paul a pris sa décision , il ne regardera plus jamais la télévision.



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