mardi, janvier 11, 2022

Une Licorne ou un dragon ?

 

Alors que l’horizon est enflammé d’un glorieux Technicolor et que le soleil s’abîme doucement derrière une mer violette en tirant à lui toutes les couleurs de la côte, le silence n’est troublé que par le ressac des vagues contre la falaise et une rumeur persistante qui monte de l’auberge L’arquebuse.


La silhouette de la taverne, de sinistre réputation, se dessine sur la lande, dans les rubescences du soleil couchant, et il s’échappe de sa cheminée des éclats de voix mêlés à des lambeaux de fumée noirâtre.


À l’intérieur, le spectacle qu’elle offre est un croisement entre des scènes d’orgie et quelque basse forme de la vie des marécages. Ce ne sont que sauvages en délires, ivres, hébétés, hideux, qui crient et inspirent le dégoût plus que la pitié, des visages irradiés par l’alcool, des faces écarlates aux groins dilatés, de pitoyables reliquats humanoïdes qui s’étouffent dans la bière et le mauvais vin. On se donne de grandes claques dans le dos, on refait le monde et on tranche par troupeaux les noeuds gordiens les plus inextricables.


Ces gueux se font servir par quelques créatures émaciées aux yeux caves, à demi nues, chargées de chopes et de bijoux fantaisie aux formes extravagantes. Il monte de ces filles une odeur âcre et grisante, une odeur de fauve, une odeur de musc et de chair battue par le travail, une odeur de porcherie surmenée.


À un moment donné, dans ce temple de l’éthylisme, au milieu de ce brouhaha et de cette confusion indescriptibles, un homme hurla plus fort en tapant du poing sur la table : « Parfaitement, capitaine, j’ai tué une licorne ! ». 


Le silence se fît. Un silence tendu. Une bulle de silence pesant dont profita le perroquet qu’il avait sur l’épaule pour inviter l’assistance à écouter son maître. C’était un gros homme, court et tassé, très étrange. Il avait un ventre énorme, qui croulait en bourrelets flasques sur des cuisses presque maigres, une face toute rose et glabre, des cheveux verts qui lui plaquaient aux tempes.


En face de lui, un grand sécot, avec une touche de vieux brigand et une moustache qui lui cachait une partie de la figure, osait prétendre la chose impossible.


Espèce de freluquet, c’était à la bataille de Waterloo ! hurla le gros homme.


Éééééééécouteeeez ! Éééééééécouteeeez ! Répétait le perroquet.


Freluquet n’était sans doute pas le terme approprié. Ce capitaine, s’il était bien capitaine, devait faire ses deux mètres, avait une tête taillée à la serpe et des yeux durement brillants.


Un troisième larron, la bouche poisseuse et l’élocution pâteuse - il avait sans doute des marteaux-pilons dans le crâne et un sac de coton dans la bouche - voulut faire allusion à la mythologie celte, à moins qu’il ne s’agisse de la mythologie germanique ou grecque… ou bien encore romaine. Il se mit à chercher ses mots, dont la plupart étaient probablement connus, mais personne n’avait le temps d'attendre qu'il les retrouve, d’autant plus qu’il avait une haleine à faire avorter les mouches. Le capitaine le fit taire en lui décochant un formidable coup de poing, que le spécialiste en licornes para fort habilement d’ailleurs avec son oeil gauche avant de glisser doucement sous la table. Cette conduite était considérée, somme toute, normale à L’Arquebuse, où beaucoup de monde avait déjà l’allure et le maintien de cadavres découverts après un séjour prolongé sous l’eau.


Devant ce spectacle, une partie des ivrognes avaient allumé leur pipe pour se camoufler derrière la fumée, tandis que les autres survivants pour qui les murs avaient perdu la notion de ligne droite, cherchaient la sortie en titubant comme des chiens pris de nausée et en brassant l’air pour attraper d’invisibles mouches.


Il faisait partie du cinquième régiment. Celui du colonel Charles Albert Louis Alexandre Henri Van der Burch, martela le gros homme, le Lichte Dragonders ! Le cinquième régiment des dragons légers !


Éééééééécouteeeez ! Éééééééécouteeeez ! Répétait inlassablement le perroquet.


Ta gueule, le volatile ! Tu as tué un Dragon et non pas une Licorne riposta le capitaine en remuant excessivement les muscles de ses mâchoires. Tu es tellement saoul que tu ne fais plus la différence.


Il y a des Dragons-Licornes essaya de se justifier le gros homme qui avait perdu de son assurance dans des proportions assez considérables…



(Ce texte pour répondre à l’un des thèmes d'écriture suggérés par Olivia Billington de l’Atelier – Des mots, une histoire.)

1 commentaire:

Olivia a dit…

Je ne m'attendais pas à une histoire pareille avec ce titre :D