mardi, janvier 18, 2022

Les douze coups de minuit



Tous les soirs, c'était la même farce : Alors que j'étais sur le point de m'endormir après avoir avalé un demi tube de somnifères dans un grand verre de whisky, l'orchestre du Boucan sublime, un groupe de fêlés qui croyait jouer du jazz, partait faire du bruit dans la rue en quittant bruyamment la boite de nuit au dessus de laquelle j'habitais.


Je logeais à cette époque dans un petit hôtel sordide, en compagnie d'un régiment de cafards et de quelques souris neurasthéniques.


A la lueur incertaine d'un néon publicitaire qui saignait sporadiquement dans ma piaule, je saisis sur le tabouret qui me servait de table de nuit, une fiasque violette et déglutis quelques rasades d'un liquide noir propre à réveiller les morts et les pousser à faire justice au milieu de la nuit.


Après avoir dévalé sur mon postérieur un étroit escalier en colimaçon, je rattrapai la bande du Boucan sublime sur le trottoir et les gratifiai d'une volée d'épithètes traduisant des mois de contrariété et de rancœur accumulées, leur signifiant que leur comportement n'aurait pas été toléré sur le gaillard d'avant d'un bateau de pirates.


Le plus grand de la bande qui jouait de la clarinette, se retourna vers moi en me demandant si je ne me payais pas sa tête. Il avait un oeil au beurre noir et était habillé comme un bagnard avec un bonnet rouge. Je lui dis – j'étais encore sous l'effet du liquide noir – que rien au monde ne pouvait m'inciter à m'offrir sa tête répugnante. Il passa soudainement du beau fixe à tempête comme un baromètre détraqué et se mit à me parler comme s'il se trouvait à cinq cents mètres de moi.


J'admets que j'avais versé un seau d'eau froide sur son enthousiasme mais je trouvais exagéré qu'il se dise prêt à exposer mes entrailles au soleil.


Le plus laid de tous leva sur moi ses baguettes de tambour. Je les saisis avant qu'il ne s'en rende compte pour les lancer dans le caniveau. Il me regarda avec l'air d'un ours auquel on aurait pris son miel, passa sur son front une main de la taille d'un jambon et entreprit de me courir après, suivi de ses camarades de bruit.


Encombrés de leurs saxos, trompettes, violons et tambours, ils ne coururent pas longtemps. Hélas, moi non plus.


Alors que je me retournais pour surveiller leur progression, je me cognai brutalement contre un réverbère qui me fit voir trente-six aurores boréales en Technicolor. Lorsque je réussis à rassembler mes esprits qui avaient le plus grand besoin d’un traitement d’urgence, tout le groupe m’entourait sur le trottoir et j’avais l’impression de me trouver face à face avec toute l’horreur et la malédiction cachées de l’existence.


Le clarinettiste que j’avais insulté était penché sur moi et m’avait attrapé par le col. J’étais aussi calme et nonchalant qu’on peut l’être en face d’un type de trois mètres de haut avec un œil poché et l’autre qui vous regarde comme un chalumeau oxyacétylénique.


Il décida de m’enfoncer sa clarinette dans la gorge et les autres entamèrent un compte à rebours qui devait marquer le début de mon supplice. C’est à ce moment-là que je me suis réveillé au milieu de mes amis qui braillaient le décompte de la nouvelle année. Je leur avais pourtant bien dit que l’excès d’alcool me plongeait toujours dans d’affreux cauchemars !




(Ce texte pour répondre à l’un des thèmes d'écriture suggérés par Olivia Billington de l’Atelier – Des mots, une histoire.)

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