L'autre
jour, je filais à vive allure sur le papier glacé et montais les vitesses,
enivré par une imagination en ébullition, lorsque je l'ai aperçu à la fin d'un
minuscule paragraphe. Il était posté dans la marge, derrière le rail de
sécurité, pour se protéger des excès des écrivains inspirés. Il paraîtrait que
l'espérance de vie moyenne de l'écrivain dans la marge ne dépasserait pas vingt
minutes mais cette affirmation n'a jamais été étayée par une étude vraiment sérieuse.
Influencé
depuis ma plus tendre enfance par monsieur Martin qui avait donné la moitié de
sa tunique à un mendiant sur le bord du chemin, je ne laisse jamais quelqu'un dans
un endroit qui ressemble de près ou de loin à un caniveau. Donc, je rétrograde
et je m'arrête dans un crissement de plume qui éclabousse la feuille de quelques points de
suspension. Je m'approche de la marge et demande
à l'inconnu s'il a besoin d'aide car j'ai beaucoup de nègres parmi mes
connaissances.
Je
suis en panne d'écriture, me lance-t-il sans se retourner, faisant mine
d'évaluer le niveau de son réservoir. Panne sèche ? Le questionnai-je le moins
sèchement possible.
Non,
non, il y a du carburant, la pompe fonctionne, la plume n'est pas cassée. Non,
c'est plus sérieux.
Je
vois ce que c'est, lui dis-je en connaisseur aguerri, c'est un problème de
démarrage. Quand il manque l'étincelle initiale, impossible d'aller plus loin. Je
crois bien que vous avez raison, admit-il. Cela fait des semaines qu'après
quelques essais ratés, je reste planté sur le bord de la page blanche et que je
n'ai rien envoyé aux Impromptus littéraires. Ils vont s'inquiéter. Il y en a
qui se sont déjà étonnés de mon silence et me l'ont fait savoir lors de
commentaires sur mon blog.
Ecoutez,
lui dis-je… Quand je ne sais pas quoi dire, je commence toujours mes phrases
par "écoutez", ce qui à la réflexion est parfaitement ridicule mais
m'offre quelques secondes supplémentaires de répit, et si elles ne me
paraissent pas suffisantes, je me racle la gorge et répète encore "écoutez".
C'est une opération qui ne peut pas se renouveler trop de fois car on est vite au
pied du mur, et il ne fait plus de doute alors que votre interlocuteur écoute,
et qu'il faut lui offrir quelque chose de consistant à écouter. Je lâche alors la première
idée qui me vient : Il vous reste bien quelques points sur votre permis
d'écrire ?
Il
me fixa, cent pour cent ahuri, puis chercha en vain une trace de plaisanterie
sur mon visage. Du coup, je n'étais plus certain, moi-même de la nécessité de
ce permis d'écrire. J'ai vite enchainé : Bon, ça n'a pas d'importance, allez à
la ligne et commencez votre phrase par "L'autre jour…".
Il
enjamba la marge avec les gestes fatigués du martyr qui en a jusque là des
lions mais qui n'a plus grand chose à perdre, et reprit son instrument
d'écriture. Vous croyez que ça va marcher ? Demanda-t-il, la mine profondément
marquée par les rides du scepticisme. Ca marche toujours lui affirmai-je, mais
je sentis en le disant qu'un important morceau de certitude se détachait du mur
de mon for intérieur.
Il
secoua son stylo et commença : "L'autre
jour… les habitants de l'île de Pâques furent très surpris en constatant que
toutes leurs statues avaient disparu." Il jeta vers moi le regard
implorant du doute et après un signe
d'encouragement de ma part, poursuivit. "Nous les avions déterrées durant la nuit. Une farce de carabins pendant
les bizutages". De loin, je lui fis comprendre par des gestes
appropriés, exercice difficile, qu'il devait ralentir son cerveau. Il arrive en
effet qu'après un trop long engourdissement, l'imagination s'emballe, mais ceci
n'est pas très grave, juste une question de réglage.
Son
visage s'illumina du sourire de la reconnaissance et je le vis disparaître vers
de nouvelles aventures alors qu'il entamait un nouveau paragraphe.
Je
m'attends, d'un jour à l'autre, à recevoir un chèque de gratitude.
4 commentaires:
Merci du conseil, je saurai quoi faire à la prochaine panne.
Ton texte est magnifique et l'idée est géniale. :D J'adore quand tu as une panne comme celle-là. :D Ton histoire est extravagante comme il faut et poétique à la fois. :D
L'effet est réussi. :D
Merci, mes lectrices !
(Il ne faut jamais être trop pressé d'avoir une réponse à ses commentaires !)
Salut Dan,
Je ne suis pas certain que j'ai trouvé LE remède à mes pannes, mais merci pour la lecture, c'est une belle histoire bien écrite :)
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