mercredi, décembre 02, 2009

La lettre

─ Jean-Paul ! La lettre que tu attendais est arrivée !

J’étais au fond du jardin en train de biner et j’eus tôt fait de planter là mon binage inutile. De toute manière, ce n’était pas la saison pour biner. Je lui avais dit : On ne bine pas en automne mais au printemps ou en été. C’est vrai, quoi, il est préférable de biner un jour de soleil quand la rosée s'est évaporée, et pas un jour de pluie, quand les feuilles se ramassent à la pelle. Mais allez lui faire comprendre ça !

J’ai vu la lettre immédiatement en pénétrant dans la cuisine.

─ Essuie tes bottes me dit ma mère, comme s’il n’y avait rien de plus important, même le jour où la lettre arrive enfin.

Elle était là sur la table, adossée à un pot de confiture de groseille et semblait m’appeler.
C’était bien celle que j’attendais. Je l’aurais reconnue entre mille. Elle utilisait toujours les mêmes enveloppes à fenêtre. Une coquetterie qui me la rendait si familière. C’était un peu comme si elle me guettait derrière les vitres et me disait : tu vois, je suis là. Je ne suis pas dans tes bras, hélas, mais ouvre l’enveloppe et cela nous rapprochera. Je t’aime tellement. Je ne peux rien faire sans toi.

Je saisis l’enveloppe mais ne l’ouvris pas tout de suite. Il est des instants dont il est si bon de suspendre le vol, comme dit le poète. Je la portai à mon visage, à la recherche de son parfum subtil que je reconnus immédiatement. Ah ! Comme c’est bon de recevoir une lettre. Tous ces e-mails qui inondent nos BAL électroniques nous privent d’un plaisir irremplaçable.

N’y tenant plus, j’ouvris délicatement l’enveloppe avec le couteau posé sur le pot de confiture.

Je le regrettai aussitôt car de la confiture de groseille encolla la belle missive – deux pages écrites recto-verso – Non, vraiment, elle ne s’était pas moquée de moi.

Je lus attentivement les parties sans confiture. C’était incroyable. Je n’en revenais pas. Je relus plusieurs fois pour m’assurer que je n’étais pas le jouet d’hallucinations. Tout semblait normal cependant.

Ma mère s’était rendu compte que j’avais les yeux sortis de la tête comme ceux d’un escargot.

─ Que t’arrive-t-il ? Me dit-elle. On dirait que tu as reçu un grand coup de chaussette remplie de sable mouillé dans la figure. Tu verrais ta binette !

─ Laisse ma binette au fond du jardin, répondis-je vertement. La taxe d’habitation a augmenté de huit pour cent !

mardi, novembre 24, 2009

Le scénario

Bien Cher William,

Au moment de la sortie du film RTT, je te propose, ainsi qu’à la vénérable institution des Impromptus, le scénario d’un court métrage intitulé GVV, avec possibilité d’une version longue et d’une série télévisée en 32 épisodes et demi. Echappe-toi une minute aux étreintes de la famille pour en prendre connaissance, toutes affaires cessantes.
oOo

GVV

L’histoire commence le vingt-trois novembre au trente deuxième étage d’un building new-yorkais. Comme chaque matin, William va répéter avec son ami pianiste et constate avec stupeur que son Stradivarius a disparu.

Il en avise son épouse Joan qui avait entendu parler d’une secte d’éradication des violons de la surface de la terre : le GVV, le Gang des Voleurs de Violons.
Joan se rend immédiatement chez le commissaire de Bavoir qui traque sans merci depuis plusieurs années le GVV. Celui-ci demande à son adjoint Sate de mener l’enquête. Sa fille Simone, amoureuse dingue de l’inspecteur, l’accompagne.

Pendant ce temps-là, dans un petit village du Mexique, un abbé quitte sa paroisse après la confession d’un de ses paroissiens. Les autorités vaticanes, interrogées par les journalistes, se réfugient dans le silence. Dans ce village, une fille a été assassinée d’un coup de violon derrière la nuque et les habitants font croire à l’autorité locale qu’il est le responsable alors qu’il est innocent.

A New-York, Joan apprend que dans un manoir de la Caroline du Nord, on a découvert quatre corps ensanglantés à côté de violons totalement détruits. Elle en informe l’inspecteur Sate et Simone de Bavoir qui se rendent compte qu’il ne s’agit pas là d’un cambriolage qui a mal tourné mais de l’œuvre d’un psychopathe qui est prêt à recommencer.

Heureusement, dans aucune des deux affaires, il ne s’agit du violon de William.

L’inspecteur Jean-Paul Sate décide tout de même de surveiller le manoir.

Après une semaine de planque, le portable de Jean-Paul vibre.

On a trouvé à l’abbaye Sainte Marie de la Pierre qui Vir, en France, au cœur de la Bourgogne, dans les forêts du Morvan, un violeur avec un archet planté dans la poitrine, lui dit le commissaire. A côté de lui se trouvait le cadavre d’un enfant de quatre ans qu’il venait de tuer et auquel on avait prélevé le cerveau. Vérifiez s’il existe un lien entre toutes ces affaires et trouvez le chirurgien hurle de Bavoir.

Jean-Paul se rend sur place, prend la sortie Bierre-les-Semur, suit Précy-sous-Thil, Rouvray et enfin Saint-Léger-Vauban avant de bifurquer sur La Pierre-Qui-Vir. Là il rencontre l’abbé Diego qui avait quitté le Mexique. Il arbore une magnifique casquette rouge.

L’abbé lui parle d’une série de morts mystérieuses apparemment provoquées par des piqûres d’abeilles mais qui seraient le fait de psychopathes, sociopathes, névropathes et marginaux à la dérive et aux motivations psycho-sexuelles, qui sévissent dans les HLM. Il affirme qu’il existe en effet des camps de concentration déguisés en cités de transit comme les HLM (Horizontaux Logements Mortels). Ces meurtriers seraient des créatures de l’espace qui étendent leurs ramifications destructrices jusque dans les plus hautes sphères de l’Etat. L’humanité ne serait qu’un échiquier servant de cadre à la lutte de pouvoirs que se livreraient des êtres supérieurement doués. Des compositeurs de ragtime.

Il invite Jean-Paul Sate à se couvrir le chef d’une casquette rouge, comme lui, afin de se protéger des rayonnements psychiques.

Jean-Paul se sent vidé. Il rejoint la chambre de son hôtel et constate qu’un violoniste a vidé ses armoires et ses tiroirs de tout ce qui s'y trouvait. Même le propriétaire de l’hôtel a été vidé de son sang.

Jean-Paul Sate et Simone de Bavoir informent le commissaire et Joan de leurs découvertes.

Le commissaire dit qu’il comprend.

L’inspecteur comprend pourquoi il n’est pas commissaire.

Simone avoue alors à Jean-Paul qu’elle a fait un rêve monotone à Manhattan. Elle voyait régulièrement dans son rêve une étrange maison où les femmes se faisaient massacrer à coup de Stradivarius. Cette maison était en Caroline du Nord.

Jean-Paul Sate et Simone de Bavoir rentrent à New York.

Le commissaire est affolé et crie aux revenants. Ils sont en effet censés être morts dans un accident d’avion depuis plus d’un an.

Jean-Paul achète deux casquettes rouges pour le commissaire et lui-même.

Pendant ce temps-là, l’ami de William se plaint de la sonorité de son piano. L’accordeur arrive et découvre le Stradivarius à l’intérieur.

Depuis, ils jouent toujours avec les volets de l’appartement baissés et le commissaire ne quitte plus sa casquette rouge.

Jean-Paul Sate et Simone de Bavoir se marient. (Mais ça, tu le savais déjà !)

oOo

Voilà, cher William. J’espère que tu retiendras mon scénario. En attendant cette heure bénie, tends-moi ta main que je la serre avec une énergie pleine de reconnaissance anticipée.
PS : Ma femme t’embrasse pendant que j’ai le dos tourné.

jeudi, octobre 29, 2009

Le mot interdit

On lui avait interdit le mot
Correspondant à la chose
Et s’il voulait faire la chose
Il ne pouvait prononcer le mot.

Ne pouvant proposer la chose
Sans utiliser le mot,
Il devait trouver autre chose
Qui remplacerait le mot.

Pour vous dispenser du mot
Lui souffla un souffleur,
Dites-lui avec des fleurs,
N’ajoutez pas un mot.

Il ne fit pas à demi les choses.
A fleur de peau, à fleur de mots,
A force de faire la chose,
Il en conçut plusieurs marmots.

samedi, octobre 24, 2009

Au pays de l'imagination

La petite Sophie se pencha beaucoup trop au dessus du bastingage, tomba à la mer et se noya… poursuivit le capitaine Mouche pour faire monter la tension d’un cran supplémentaire et aiguiser, comme s’il en était besoin, l’intérêt de son auditoire.

Ils étaient tous suspendus à ses lèvres, fascinés et perplexes. Le vieux Fred ouvrit la bouche sans s’apercevoir que ses dents du haut, qu’il avait depuis maintenant presque deux ans, tombaient par terre avec un bruit sec.

Arthur, comme à l’accoutumée, souriait bêtement en ouvrant sa bouche édentée, au point que les autres pouvaient voir son sourire jusqu’à l’occiput.

Le timide Paulo restait coi, la bouche pleine des questions qu’il n’osait pas poser.

Ludvig, dont la curiosité était à deux doigts de la déflagration, tomba de son tabouret lorsque le balancier de l’horloge lâcha prise et rendit l’heure.

Tous attendirent avec anxiété qu’elle ait vomi ses douze coups de minuit.

Mais pourquoi François ne lui a-t-il pas lancé la bouée ? Finit-il par demander, en remontant sur son siège.

Le vieux loup de mer vers lequel tous les regards étaient tournés, se lécha la bouche pour enlever un peu de sauce égarée dans sa barbe, saisit son verre, but lentement, s’essuya méticuleusement, rota discrètement, leva non moins discrètement la fesse gauche pour exfiltrer un gaz intempestif puis contempla attentivement le bois de la table jusqu’au moment où il sentit l’atmosphère sur le point d’exploser.

Il n’y avait pas de bouée.

Pas de bouée sur un aussi beau bateau ! S’étonna en chœur l’auditoire sur un ton de reproche panaché d’incrédulité.

Le capitaine ralluma une fois de plus sa pipe en écume dont les volutes dessinaient des têtes de morts dans l’air surchauffé.

Non. C’était un magnifique voilier bleu dont les cinq voiles s’imbriquaient les unes dans les autres, mais il n’avait pas de bouée. Aucune bouée. François chercha cette bouée introuvable et pendant ce temps-là, Sophie se noya.

François venait de démontrer que l’obstination est le parent pauvre de la volonté.

Cette histoire paraissait totalement invraisemblable.

Le vieux Fred savait que le capitaine Mouche était un grand voyageur au pays de l’imagination.

Ce jour-là, il trouva sur la chaise qu’il venait de quitter un billet froissé sur lequel était écrit :

Qu’est-il arrivé à Sophie ? Elle est tombée à la mer
Pourquoi pareille mésaventure lui arrive-t-elle ? Parce qu'elle se penche trop au dessus du bastingage.
Quelles qualités lui manquent encore ? Aucune. Elle s’est noyée.
Comment nommer l’attitude de François ? Obstinée.
Que prouve la dernière phrase ? Qu'à force de chercher l’introuvable, on finit par rater l’essentiel.

lundi, septembre 14, 2009

L'heure la plus courte

C’était un dimanche. On sortait de boite. On était bourrés complets et on tirait à la courte paille celui qui allait prendre le volant. C’est Paul qu’avait tiré la paille la plus longue. Fallait qui s’y colle. René qui était le proprio de la caisse lui a lancé les clés.

Ben, vrai de vrai, René lui a lancé les clés à 2 heures et Paul les a attrapées à 3 heures. Bourré complet qu’il était.

Après, il a dit que c’était pas vrai ; qu’il n’avait bu que de l’eau ; qu’on était le dernier dimanche de mars et qu’on venait de passer à l’heure d’été.

Sur un banc

J’étais là, tranquille. Assis sur un banc.

Oui, c’est ça. J’étais assis sur un banc, dans un parc. Je ne me souviens plus du nom de ce parc, mais c’était un parc. Et j’ajouterai pour les inquiets, les soucieux, les tourmentés, les insatisfaits et les perfectionnistes que le nom du parc n’a absolument aucune importance pour la bonne compréhension de ce qui va suivre. Non, les causes de l’incompréhension seront beaucoup plus profondes. Croyez-moi sur parole. Mais, je n’en dis pas plus à ce stade (Je viens à peine de commencer) pour préserver le suspens de cette histoire qui, je l’avoue bien volontiers, est assez insoutenable. Le suspens, pas l’histoire.

Quoique.

Donc, j’étais là, assis tranquillement, en train de fumer, lorsque… Non, je ne fumais pas. Cette aventure (Car c’en est une. Hou ! La la, oui.), cette aventure, dis-je, m’est arrivée il y a un mois ou deux et voilà quinze ans que je ne fume plus. Donc, je ne fumais pas. C’est impossible. Des fois, je vous jure. Enfin, c’est ainsi et je n’y peux rien.

Où en étais-je ? Si vous cessiez de m’interrompre à tout moment, j’aurais plus de suite dans les idées. Ah, oui. Je ne fumais pas (évidemment), je lisais. Ou, plus exactement, je tenais un livre à la main. Non, ça, je ne lisais pas. C’est impossible. D’ailleurs je ne sais plus lire depuis quelques jours, mois, années. Enfin, depuis pas mal de temps. Je ne sais plus exactement. Et je me demande encore pourquoi je tenais ce putain de livre. Parce que pour un putain de livre, c’était vraiment un putain de livre. Incompréhensible. Enfin.

Donc, charmantes lectrices et lecteurs perspicaces, je pense qu’à présent, vous situez bien la scène, le banc, le parc, le (putain de) livre… Je vous ai brossé le décor, faute de mieux. Je continue.

Dans toute cette histoire, la seule chose absolument certaine (quand j’y repense), c’est que j’avais l’esprit ailleurs. La tête dans les étoiles, si vous préférez. Ce terme est plus approprié car je pensais précisément à ces astronautes que l’on entraîne actuellement en Russie et aux zussas pour voyager dans l’espace. Imaginez qu’on les entraîne pour vivre plusieurs années dans l’espace ! Si, si, il faudra plusieurs années pour aller sur Mars. Moi, j’y étais déjà.

Pour faire court – j’en vois qui baillent – mon cul était sur le banc mais ma tête était sur Mars. Et si quelqu’un me parle ici du champ de Mars, je le sors ! Faut suivre un minimum, car c’est là que l’inimaginable s’est produit. Tenez-vous bien.

Une personne est venue s’asseoir près de moi et m’a demandé qui j’étais.

Inouï. Je vous avais prévenu.

Evidemment, j’étais très absorbé. Contrairement aux apparences, j’étais très loin du banc. Je n’ai pas vu arriver cette personne. Elle m’a eu par surprise. Je ne sais pas non plus combien de fois elle m’a posé la question avant que je l’entende. J’étais vraiment très très loin. Toujours est-il qu’à un moment donné j’ai distinctement entendu « Qui êtes-vous ? ».

J’en vois plus d’un qui écarquille les yeux et n’en croit pas ses oreilles, mais je jure que je n’invente rien. Ca s’est passé exactement comme ça et je ne fais présentement que brandir la torche de la Vérité.

D’ailleurs, vous dire que cette personne, en me posant la dite question, me serra la main, serait demeurer bien en dessous de la Vérité. Il fit de ma main je ne sais quelle purée sanguinolente.
Bien qu’il fût un peu plié en zigzag sur le banc, je lui prêtai bien deux mètres avec les intérêts qui vont avec. Oui, certainement plus de deux mètres drapés dans une longue blouse blanche qui lui arrivait jusqu’aux pieds. Et encore, je ne suis pas sûr que vous appelleriez cela des pieds. On avait l’impression que la Nature avait eu l’intention de faire un gorille et avait changé d’avis au dernier moment.

Mais attention, en vous décrivant cette personne comme un gorille, vous allez peut-être penser à un gorille de taille normale. En fait, j’avais là, assis à côté de moi sur le banc, le modèle super-économique.

Il interrompit donc mes rêveries avec cette brutalité grossière qui est la caractéristique principale des gorilles humains.

Je dois également sacrifier sur l’autel de la Vérité que cette personne avait dans son regard un pouvoir hypnotique aux effets apaisants.

Je ne vous cacherai pas, en effet, que dans un premier temps (très bref) j’ai été pris d’une forte envie de lui faire passer la colonne vertébrale à travers son chapeau, mais j’ai senti dans son regard que mon tonnage était tout à fait insuffisant pour me permettre de le défier et que mes organes internes étaient susceptibles de se transformer rapidement en macédoine ou en hachis parmentier.

J’ai par conséquent décidé de lui répondre, d’autant plus que j’avais toute liberté pour lui répondre simplement ou philosophiquement. C’était au choix. J’ai immédiatement opté pour la simplicité et je lui ai dit « Qui êtes-vous vous-même ? ».

Il m’a dit qu’il était l’infirmier et qu’il me ramenait à l’asile.

Une contrée imaginaire

Monsieur Hyckss ne m’avait pas révélé son nom et m’avait affirmé au téléphone qu’il arriverait dans un instant.

Il me faut bien vous avouer que lorsque le l’ai vu me rejoindre dans son instant, c’était bien le premier instant que je voyais de ma vie. C’était un bel instant mais je ne saurais vous le décrire, et de toute façon il paraît qu’aucun instant ne ressemble à un autre.

Je l’ai vu me dire bonjour plus que je ne l’ai entendu. C’est qu’en effet, j’ai vu sortir de sa bouche la lettre B puis la lettre O, la N, la J ; encore une O, puis un U et enfin un R. Vous savez, c’était un peu comme ces personnes indélicates qui éternuent sans mettre leur visage dans leur coude. On voit des chiffres et des lettres qui partent dans tous les sens. Evidemment, on ne peut pas lire ce qu’ils disent puisque c’est un éternuement mais bien classés cela donnerait certainement le son de l’éternuement. Toujours est-il que j’ai distinctement vu le bonjour de Monsieur Hyckss. Les lettres sont sorties de sa bouche, bien rangées dans le bon ordre.

Ensuite, ça s’est un peu compliqué quand il a poursuivi : Je vous avais dit que j’arriverais dnas un itnasnt et vuos vyeoz cmome cet inatsnt est baeu, mias j’en canghe tout le tpems parce qu’il fuat pirofter de caqhue intsnat.

C’était de ma faute. J’avais soufflé la fumée de ma cigarette et les lettres étaient si légères qu’elles s’étaient un peu mélangées.

J’aurais bien aimé toucher son instant mais il avait disparu. On était déjà à l’instant d’après.

vendredi, juillet 03, 2009

La bête

Ils étaient venus avec un douze rames. On leur avait indiqué que la bête hantait de nouveau les abords du Borgarfjördr qu’elle dévastait dès le retour de l’été. Elle avait déjà provoqué de nombreuses morts et il fallait l’anéantir.

Il n’y avait donc sur ce bateau que des hommes forts et déterminés à en finir avec le monstre. Ketill la Vapeur avait juré la perte de l’immonde devant ses compagnons parmi lesquels on comptait Bardi le Meurtrier, Grimr le Chauve, Thordr le Braillard et Thorsteinn le Preneur de Morues.
Il y avait même Styrr qui avait commis beaucoup de meurtres sans payer de compensation pour aucun et voulait solder sa dette en tuant la bête.

L’expédition emportait aussi Eyjolfr, une sorte de guerrier-fauve, capable des plus invraisemblables exploits, qui avait la force d’un ours dont il portait la peau en guise d’armure.
Enfin, quelques esclaves choisis pour leur force extraordinaire complétaient l’équipage, dont Svartr le Fort et Thorsteinn Cap-des-Tempêtes haut de deux mètres. Ils habitaient en bas des Einbnabrekkur et s’étaient déjà distingués de nombreuses fois en abattant loups et taureaux enragés.

Ils remontèrent le Borgarfjördr, dépassant Lambastadir et Höfn, puis Thursstadir et Hvanneyrr. Ils dépassèrent aussi Ferjubakki et Grimarsstadir, et accostèrent en face à Ölvaldsstadur.

On fit tirer le bateau à terre dans la crique où Kveld-Ulfr avait échoué l’année précédente, et Thorolfr Caboche-de-Vessie, propriétaire du bateau, accompagné des onze hommes, demanda l’hospitalité à son neveu Bölverkr Pointe-de-Cheville, qui avait hérité là d’une grande ferme où il menait bon train de vie. Ils y furent accueillis joyeusement.

Thuridr, la maîtresse de maison, Geirmundr à la peau d’enfer et Gunnlangr Langue-de-Serpent les placèrent dans la grande salle commune et leur servirent de la bière dans des cornes qu’ils vidaient d’un trait.

Thorgeirr l’Endormi et Thorbjorn le Gros, des gens de la ferme, leur expliquèrent que la bête avait encore frappé et que la précédente expédition pour la détruire s’était soldée par huit morts, tous de vaillants hommes, et pas moins de dix blessés graves dont Gizurr le Blanc au courage légendaire dont il fallut amputer la jambe car elle était à moitié coupée en bas du genou.

Snorri Thorbraudsson avait perdu l’appétit jusqu’à ce que l’on découvre qu’il avait une pointe de flèche qui lui traversait la gorge à la racine de la langue. Thorleïfr le Gouailleur eut du mal à marcher avant qu’on lui ôte le fer de lance qui traversait sa jambe entre le tendon d’Achille et le cou-de-pied au point qu’il ne pouvait plus retirer ses braies.

Quant à Björn, il aurait certainement l’air penché le reste de ses jours, depuis qu’il avait reçu un coup de lame à la base du cou lors de la lutte incessante qu’il menait contre la bête avec ses compagnons.

On ne cita que pour mémoire le cas de Steinthorr qui fut coupé en deux par un coup d’épée au-dessus des hanches.

Pendant ce temps-là, la bête n’avait subi aucun dommage et continuait de les narguer.
Lorsqu’ils furent complètement ivres et pensèrent avoir de ce fait assez de courage pour l’affronter, ils se levèrent, et Thuridr, la maîtresse de maison, leur dit alors – où allez-vous ?

Nous finirons bien par vaincre le monstre, répondit Thordr le Braillard. Vikings, prenez vos armes et suivez-moi.

Thuridr les stoppa en disant que la bête était actuellement dans la pièce à côté de la grande salle commune. Cette affirmation fit perdre à Thorsteinn le Preneur de Morues, Grimr le Chauve, Bardi le Meurtrier et même Eyjolfr, le guerrier-fauve, une part importante de leur superbe.

Il fut décidé d’envoyer les esclaves Svartr le Fort et Thorsteinn Cap-des-Tempêtes en éclaireur en leur promettant l’affranchissement en recommandé, car bien qu’étant de vulgaires esclaves, ils n’en étaient pas moins très intelligents.

Cap-des-Tempêtes entra dans la chambre contiguë à la grande salle commune et en revint presque aussitôt en disant : « On ne dégaine pas une épée pour tuer un moustique ».

En entendant ces mots, Grimr-le-Chauve déclama le poème suivant :

Il m’est bien pénible
De mouvoir ma langue
Face à l’indestructible
Qui nous rend exsangues.

Nombre de guerriers
Ont acquis renommée
En frappant du glaive
Sans relâche ni trêve.

Tous s’attirèrent la fureur
De l’animal piqueur
Se jouant de nos armes
Nous plongeant dans les larmes.

Nous sombrons dans la désespérance
Car l’immonde a osé
Foudroyer à outrance
Nos valeureux guerriers.

Nous avons nourri
L’illusoire espoir
Qu’une épée rougie
Voulait dire victoire.

En voulant traiter
Rudement la bête
Nous avons tranché
Nos jambes et nos têtes.

Il convient de maintenir droit
Le char de la raison
Et de se demander pourquoi
Sont morts nos compagnons.

Cap-des-Tempêtes a bien parlé
Les faits sont authentiques
On ne dégaine pas une épée
Pour tuer un moustique.

mercredi, mars 04, 2009

Le retour du prédateur

Alors que je venais de m’effondrer dans mon fauteuil à bascule pour regarder le journal de vingt heures, je reçus un coup de sonnette d’une violence telle que mes trompes d’Eustache exécutèrent un double salto arrière.

Outre la menace d’une terrible céphalée, j’en fus d’autant plus contrarié que l’annonce du retour d’un prédateur arrivait précisément sur le tapis de l’actualité ; or, c’est un sujet qui m’a toujours beaucoup intéressé.

Je dois indiquer ici, pour la bonne compréhension du récit, que, depuis ma plus tendre enfance, je collectionne tout ce qui a trait aux prédateurs, quoiqu’ils prédatent.

Après avoir exécuté deux pas de rock et quelques cabrioles pour m’extraire de mon rocking-chair, je courus ouvrir pour mettre fin au vacarme, tant ma porte risquait le dégondage par tous ces tambourinements et tambourinages.

Un Chinois borgne au visage vérolé et au sourire maléfique et stupide se dressait devant moi.

Sa silhouette se dessinait sur la campagne sombre et muette et il avait l’air d’un de ces monstres à la hache ou à la tronçonneuse qui se promènent partout en massacrant à tour de bras. Méduse en personne ne m’aurait pas mieux pétrifié.

L’atmosphère du vestibule se chargea d’un parfum d’inhumanité. Si ce n’était pas un prédateur que j’avais là sous les yeux à l’instant présent, c’est que je ne savais pas en reconnaître un quand on me le présentait sur un plateau.

Sous le choc j’avais un peu emmêlé ma langue dans mes amygdales et ne parvenais pas à émettre le moindre son, éprouvant comme une désagréable impression d’étouffement.

Le prédateur me toisa de haut en bas de son œil froid et chassieux.

Je suis Li Moon, dit-il d’un ton goujateux.

Qu’il ait un nom synonyme de citron et de boue ne m’étonna pas.

Parvenant à refaire surface au bout d’une courte éternité, je pus enfin lui répondre avec un filet de voix plus discret qu’une fuite de gaz.

Vous êtes donc de retour.

Il fit celui qui ne comprenait pas et ajouta :

Vous avez bien commandé une pizza ?

lundi, février 23, 2009

Le silence de la bibliothèque

Bien qu’il soit d’or, il m’est difficile de mettre le silence et les bruits qui l’occupent au rang de mes meilleurs souvenirs.

Je somnolais sur un livre en ce jour de canicule.

Il régnait dans la bibliothèque du château un silence de sépulcre que seul troublait le bruit assourdissant des pages lues que l’on tourne.

Dehors, le même silence oppressant des arbres au feuillage immobile. Nous étions au cœur de l’été et il faisait une chaleur accablante sans le moindre souffle d’air.

Soudain, je perçus des effluves de sudations pédestres.

Je levai les yeux de mon livre.

Ils étaient devant moi, sortis de nulle part, en robe de bure, comme deux bénédictins aphasiques ayant fait vœux de silence. Le genre de silence qui vous glace les orteils et vous envoie des frissons le long de l’épine dorsale. En les voyant, ce fut comme si j’étais vautré sur une chaise électrique désaffectée que l’on aurait soudainement rebranchée.

Il y avait dans leur personnalité quelque chose qui paralysait les cordes vocales et transformait votre cerveau en fromage de tête.

Le plus petit des deux avait une tête à manger du verre pilé et à porter des fils de fer barbelés en guise de chemise. Maigre et blanc comme un vieil os, il y avait sur sa figure ridée comme une toile d’araignée une expression de dédain ironique.

L’autre avait l’air de quelqu’un qui, s’il n’avait pas vraiment l’écume aux lèvres, était sur le point d’écumer pour moins que rien. Il avait une grosse tête chauve et pâle, et ses yeux étaient froids, durs et sardoniques. Son aspect faisait penser à quelque esprit qui aurait erré des siècles dans les caves inhospitalières du château. Un rictus permanent de répulsion tordait l’expression horrifiée de son visage.

Dans une réunion de gens normaux, leur apparence aurait immédiatement suscité de nombreux commentaires.

L’entretien s’ouvrit sur l’un de ces longs silences pesant comme si tout le monde avait oublié sa première réplique. En fait, personne n’éprouvait le besoin de dire quelque chose et il ne paraissait pas utile de commencer.

Le mangeur de verre pilé posa devant moi le livre qu’il tenait sous son bras et l’ouvrit précautionneusement à la page cent vingt-trois avec la minutie d’un démineur.

Mes yeux se posèrent sur le livre ouvert avec l’application et la concentration d’un cueilleur de champignons.

La cinquième ligne et les cinq suivantes étaient soulignées à l’encre rouge.

De nouveaux points de suspension angoissants se glissèrent entre nous et meurtrirent mes oreilles d’un nouveau mutisme plus long et plus perfide que le précédent. Un silence lourd de pensées, de perplexité et d’incertitude.

J’esquissai cette sorte de faible sourire que les gladiateurs romains adressaient à l’empereur avant d’entrer dans l’arène, si le sourire des gladiateurs entrant dans l’arène était bien ce que je pense.

L’homme aux fils de fer barbelés me gratifia du regard suffisant et narquois de celui qui vous expédie sans état d’âme dans les ténèbres de l’au-delà, où tout n’est que lamentations et grincements de dents.

Quant à l’ectoplasme transpirant des pieds, il souleva seulement le sourcil droit d’un air de blâme, en ouvrant une bouche édentée et sans voix, libérant une vivifiante haleine de marée.

Après cette accumulation de silences successifs, je tombai dans une profonde rêverie durant laquelle les bénédictins aphasiques disparurent comme ils étaient venus.

L’ouvrage était toujours là, ouvert à la page cent vingt-trois.

Pas de doute possible : Je m’étais fait taguer.

Je ne retrouvai l’usage de la parole que beaucoup plus tard.

Le majordome

Personne n’ignorait au château que le majordome détestait l’officier porte-fanion. Il en nourrissait même une telle haine qu’il paraissait toujours se trouver au bord de l’apoplexie.

Il avait l’air de cette célèbre grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf ; mais sans doute plus intelligent qu’elle, il se contentait de ressembler à un mage sans âge, imbu de sa personne, et figé dans une dignité inerte qui le maintenait en équilibre entre caresse et violence.

Il savait que l’officier suivait toujours le même circuit, le long des fossés, lorsque c’était son tour de veille.

Un matin d’hiver, on les retrouva noyés dans une douve.

On ne sut jamais qui avait poussé l’autre.


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C'était un exercice d'écriture proposé par Ecriture ludique
Les mots imposés étaient les suivants : Caresse - Fanion - Age – Circuit - Veille - Imbue – Fossé - Mage - Violence - Ignorer
(Les noms peuvent être utilisés au singulier ou au pluriel, au masculin ou au féminin. Le verbe peut être conjugué).

Situation délicate

Diane effeuillait son truc en plume devant une palette de dinosaures consommant sans soif tord-boyaux et brûle-gueule.

Les choses auraient certainement mal tourné sans l'intervention appréciable de Zorro dont les facultés d'évaluation ne sont plus à démontrer.

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C'était un exercice d'écriture proposé par Ecriture ludique
Les mots à utiliser étaient les suivants : Diane, dinosaure, appréciable, évaluation, effeuiller, soif, plume, palette, brûle-gueule(Les noms peuvent être utilisés au singulier ou au pluriel, le verbe peut être conjugué. Tous les mots doivent être utilisés).

Par quel miracle

Je ne sais plus par quel miracle je n’ai pas raté ma correspondance, tant la jeune fille à mes côtés était d’une beauté surhumaine.

Je suis d’ailleurs effrayé de mon insuffisance à vous en décrire la sublimité.Le torrent sombre de ses cheveux magnifiait un visage à arrêter les pendules et jamais les vibrations d’une rame de métro ne firent trembler ses luminaires au fond de prunelles plus pures.

Fine, svelte, avec des rondeurs d’une volupté presque immorale, elle portait un pantalon si moulant que je pouvais à peine respirer.

J’essayais vainement de m’extraire de l’abîme de son décolleté lorsque l’individu extraordinairement quelconque assis en face d’elle entama un cortège de banalités propre à assommer d’un coup un essaim d’éléphanteaux.

La jeune fille à l’indicible beauté l’interrompit par un péremptoire : Ne perdez pas votre temps, monsieur, je suis sourde et muette.

L’individu formidablement quelconque se mit alors à ouvrir et fermer la bouche en silence, comme un poisson rouge tombé du bocal.

Quant à moi, je battis le record du saut en hauteur, départ assis. Il me paraissait impossible d’avoir entendu ce que j’avais entendu.

La jeune fille, plus angélique qu’un ange et plus gracieuse qu’une déesse, se tourna vers moi et me confia : Je suis ventriloque et je lis sur les lèvres.

Pourtant, remarqua l’individu horriblement quelconque, vos lèvres bougent !

Pure coquetterie, précisa-t-elle.

En montant dans le train qui devait m’amener jusqu’au lac Baïkal, je me demandais quelles autres surprises me réservait ce voyage.

Un conte de Noël

Fais-moi la courte échelle avec tes chaines, ordonna La Rousse au p’tit Robert.
P’tit Robert s’exécuta sans moufter. Fallait pas discuter avec La Rousse. Il était complètement zinzin et on ne savait jamais c’qui pouvait lui passer par la tête.

P’tit Robert était un solide gaillard charpenté avec des traits gorillesques, mais un peu fragile du côté Q.I.

Le chef, c’était La Rousse. Tout le monde, à la tôle, l’appelait comme ça à cause de sa crinière de lion. Choisir la nuit de Noël pour faire la belle, c’était une idée de La Rousse.

Qu’est-ce que tu vois ?

C’est ben c’que j’pensais : un vrai conte de Noël. Tout y est : une belle demeure ensevelie sous un blanc manteau de neige. Reste plus qu’à aller s’inviter au réveillon de minuit. On va leur parler du p’tit Jésus, dit La Rousse de sa voix grinçante dont le timbre ressemblait au bruit d’une scie égoïne.

P’tit Robert partit d’un franc éclat de rire. Le genre conduite-de-gaz-qui-explose en faisant une dizaine de victimes. Des paquets de neige tombèrent des arbres et le crépi du mur se fendilla.

Tais-toi, s’pèce de con, l’interrompit La Rousse dès qu’il en eut terminé avec son premier éclat, et avant qu’il n’ait repris sa respiration pour une seconde explosion. Monte et suis-moi.

Forcément, les deux forçats forcèrent sans mal la porte de service derrière la maison. Ils se firent conduire dans la salle à manger par Ginette, la cuisinière, dont la peur bleue avait déjà viré à l’outremer lorsqu’ils firent irruption dans le cercle de famille.

Il y avait autour de la table tante Yvonne, oncle Roger et tonton Fernand, Ulysse et sa femme Marie-Louise. Tante Madeleine n’était pas encore née.

Ulysse se leva et toisa les deux furoncles qui venaient perturber leur fête, de ses yeux perçants dont il se servait d’ordinaire pour forer des trous dans les gens.

Toutefois, les deux charognards, dotés de la même sensibilité que des chiens de Terre-Neuve, ne s’en émurent pas outre mesure.

La Rousse, le regard torve et s’exprimant du côté bâbord de son orifice buccal, menaça de briser Ginette si l’on ne brisait pas ses chaines dans l’instant.

Les convives eurent un mouvement de recul, comme des escargots qu’on aurait voulu mettre à saler.

Où que vous jetiez les yeux autour de la table, vous ne pouviez voir que des patates sur lesquelles il y en avait gros.

C’est que la situation prenait en effet une de ces tournures délicates où il devient difficile de garder un calme patricien. Elle se corsa même au point de graver les profonds sillons que l’on peut toujours contempler sur les fronts de Roger et Fernand.

Il brillait dans les yeux du P’tit Robert une lueur glaciale qui dissuadait de vouloir faire le malin. Lorsqu’elle se posa sur le visage chevalin de tante Yvonne, celle-ci poussa un hennissement d’épouvante.

Heureusement, les deux imbéciles tournaient le dos à la cheminée et furent surpris par l’arrivée inopinée du Père Noël qui les assomma avec sa hotte.