lundi, février 23, 2009

Un conte de Noël

Fais-moi la courte échelle avec tes chaines, ordonna La Rousse au p’tit Robert.
P’tit Robert s’exécuta sans moufter. Fallait pas discuter avec La Rousse. Il était complètement zinzin et on ne savait jamais c’qui pouvait lui passer par la tête.

P’tit Robert était un solide gaillard charpenté avec des traits gorillesques, mais un peu fragile du côté Q.I.

Le chef, c’était La Rousse. Tout le monde, à la tôle, l’appelait comme ça à cause de sa crinière de lion. Choisir la nuit de Noël pour faire la belle, c’était une idée de La Rousse.

Qu’est-ce que tu vois ?

C’est ben c’que j’pensais : un vrai conte de Noël. Tout y est : une belle demeure ensevelie sous un blanc manteau de neige. Reste plus qu’à aller s’inviter au réveillon de minuit. On va leur parler du p’tit Jésus, dit La Rousse de sa voix grinçante dont le timbre ressemblait au bruit d’une scie égoïne.

P’tit Robert partit d’un franc éclat de rire. Le genre conduite-de-gaz-qui-explose en faisant une dizaine de victimes. Des paquets de neige tombèrent des arbres et le crépi du mur se fendilla.

Tais-toi, s’pèce de con, l’interrompit La Rousse dès qu’il en eut terminé avec son premier éclat, et avant qu’il n’ait repris sa respiration pour une seconde explosion. Monte et suis-moi.

Forcément, les deux forçats forcèrent sans mal la porte de service derrière la maison. Ils se firent conduire dans la salle à manger par Ginette, la cuisinière, dont la peur bleue avait déjà viré à l’outremer lorsqu’ils firent irruption dans le cercle de famille.

Il y avait autour de la table tante Yvonne, oncle Roger et tonton Fernand, Ulysse et sa femme Marie-Louise. Tante Madeleine n’était pas encore née.

Ulysse se leva et toisa les deux furoncles qui venaient perturber leur fête, de ses yeux perçants dont il se servait d’ordinaire pour forer des trous dans les gens.

Toutefois, les deux charognards, dotés de la même sensibilité que des chiens de Terre-Neuve, ne s’en émurent pas outre mesure.

La Rousse, le regard torve et s’exprimant du côté bâbord de son orifice buccal, menaça de briser Ginette si l’on ne brisait pas ses chaines dans l’instant.

Les convives eurent un mouvement de recul, comme des escargots qu’on aurait voulu mettre à saler.

Où que vous jetiez les yeux autour de la table, vous ne pouviez voir que des patates sur lesquelles il y en avait gros.

C’est que la situation prenait en effet une de ces tournures délicates où il devient difficile de garder un calme patricien. Elle se corsa même au point de graver les profonds sillons que l’on peut toujours contempler sur les fronts de Roger et Fernand.

Il brillait dans les yeux du P’tit Robert une lueur glaciale qui dissuadait de vouloir faire le malin. Lorsqu’elle se posa sur le visage chevalin de tante Yvonne, celle-ci poussa un hennissement d’épouvante.

Heureusement, les deux imbéciles tournaient le dos à la cheminée et furent surpris par l’arrivée inopinée du Père Noël qui les assomma avec sa hotte.

2 commentaires:

Martine27 a dit…

Délicieusement imagé ! Et une chute parfaitement inattendue !

Solange a dit…

Un conte de Noël plutôt surprenant!