Au volant de sa camionnette de livraison, Joseph était particulièrement de mauvaise humeur. Il ne cessait d’émettre des grognements borborygmiques de mécontentement. Tous ses efforts pour séduire Jacqueline avaient échoué. Cela était dû, sans doute, et une fois de plus, à son visage ingrat recouvert de boutons, son haleine de facture de gaz, ses épaules en carafe, son insoluble problème d'aisselles dégoulinantes, ses fesses plates et ses oreilles en portes de grange. À sa naissance, le médecin avait giflé sa mère, mais c’était trop tard, le mal et le mâle étaient faits.
L'essentiel de sa capillarité broussailleuse émergeait de ses oreilles et de son nez constamment agacé par les poils de sa moustache. Il soulageait ces horripilantes démangeaisons en frottant son nez couperosé comme un champignon vénéneux, avec le revers de sa main, ce qui provoquait de dangereuses embardées de son véhicule.
Il avait fait de nombreuses tentatives d’approche avec Paulette, mais lorsqu’on a le capital séduction de Quasimodo, l’entreprise est difficile. Avec Germaine, il n’avait pas eu davantage de succès et avait même eu l’impression que sa seule vue la faisait terriblement souffrir. Lucette, quant à elle, lui avait avoué qu’elle était incapable de discerner chez lui la plus légère trace de charme. Alors que faire ? On ne pouvait pas lui reprocher d’avoir été timide. Des premiers pas, il n’avait cessé d’en faire. Il avait droit à l’amour, lui aussi. Il se rendait bien compte que son aspect glaçait la bonne humeur de tout le monde.
Ceux qui osaient encore l’approcher prétendaient voir dans son œil l’éclat fiévreux d’une haine définitive vouée à l’humanité toute entière. Craignant une issue malheureuse, ils lui conseillèrent d’utiliser une application de rencontre, lui vantant des résultats garantis et spectaculaires. Joseph n’était pas un as du like ou du swip mais il avait essuyé tant d’échecs qu’il vit cela comme la tentative de la dernière chance. Il pénétrait un monde inconnu et n’était pas au bout de ses surprises.
Il découvrit une grande quantité de ces applications et ne savait laquelle choisir. Tinder, Happer, Grindr, OKCupid, Lovoo et tant d’autres. Toutes lui demandaient plus ou moins de créer son profil en des termes qui le déroutaient. Il ne savait dire s’il était demisexuel, cisgenre, genderfluid, transgenre ou queer. L’une des applications lui proposait pas moins d’une soixantaine d’identités de genre et d’orientations sexuelles à renseigner. Les questions auxquelles il devait répondre, s’il voulait rencontrer l’âme soeur, constituaient pour lui des énigmes : Etes-vous favorable aux toilettes unisexes ? Etes-vous bispirituel ? Seriez-vous prêt à danser le tango « queer » ? Il n’avait jamais dansé qu’une seule fois le tango, celui des employés de bureau, au mariage de sa soeur. Certains questionnaires contenaient même des formules totalement absconses telles que LGBTQIA2S+. Enfin, lorsqu’il fallait échanger avec une inconnue, il ne savait que dire.
Il décida, par conséquent, de confier ses déclarations d’amour à chatGPT. Elles ne lui permirent qu’une seule rencontre avec une Alphonsine laide à donner une indigestion. Lorsqu’il recevrait sur son téléphone le questionnaire de satisfaction, il saurait leur faire savoir qu’il n’était pas content du tout et qu’il n’était pas près de recommander leur satanée appli de rencontre !
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