samedi, juillet 11, 2020

Le vendeur de temps

La précipitation est mauvaise conseillère et dans ce monde où tout doit être fait en un éclair, ou du moins à la minute, par souci de rentabilité, tout le monde fait diligence, court du matin au soir à pied, à cheval ou à vélo et risque l’infarctus ou perd les pédales dans la crainte perpétuelle de voir sa boite couler et licencier. Pourtant le remède est simple : ra-len-tir et prendre son temps !

Vous souvenez-vous de ce petit village perché sur les falaises du Temps, dont tous les habitants étaient joyeux, aimables et riches, alors que l’on n’entendait monter de la vallée que plaintes et gémissements ?

Cette curiosité attirait naturellement les foules et l’on voyait serpenter jusqu’à cette bourgade de longues colonnes de gens pressés et tourmentés qui se bousculaient pour rentrer et repartaient détendus et souriants.

Tout ces gens étaient passés chez le vendeur de temps, un homme sans âge qui habitait le village depuis la nuit des temps. Le bruit circulait qu’il était horloger mais avait vendu son âme au Diable avant de vendre du temps. Il semblait surfer sans la moindre éclaboussure sur l’invisible torrent des siècles et des jours qui entraîne le commun des mortels dans la tombe.

C’est que le torrent dont il s’agit passait dans sa mystérieuse boutique et il lui était donc facile d’en puiser à sa guise et de le vendre à un prix très raisonnable, puisque ces liquidités placées à quatre pour cent pouvaient encore fructifier et faire le bonheur de gens qui en manquaient.

Il y avait très peu de mécontents. Les sales quart d’heure étaient rares mais, bien sûr, il pouvait arriver de rentrer avec un temps pourri ou alors, de perdre son temps au retour.

Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’au jour où un poète vint au village et, tombant à genoux, s’exclama « Ô temps, suspends ton vol, respecte ma jeunesse ! » Il fut exaucé. On se demande encore pourquoi.

Le temps s’arrêta et le Diable vint chercher le soir même l’âme qui lui était due.

Le temps a repris son cours dès le lendemain matin, et aujourd’hui on annonce la 5G.




Les mots placés dans le premier paragraphe sont proposés par LES PETITS CAHIERS D'ÉMILIE

PRÉCIPITATION, PIED, VÉLO, ÉCLAIR, BOITE, COURIR, RISQUER, RALENTIR, TEMPS, REMÈDE, DILIGENCE, MINUTE et même le mot PÉDALE qui avait été perdu en route, sans doute celle du frein !

6 commentaires:

Adrienne a dit…

LOL! très drôle! et bien joué :-)

Lydia a dit…

Très chouette texte ! Je ne m'attendais pas à la fin !

Max-LouisM a dit…

Bon jour Dan,
Le premier paragraphe tel un prologue engloutit tous les mots tel un jeu de perle dont les couleurs s'harmonisent ...
Et de fil en aiguille il n'y a pas de perte de temps et la fluidité de la narration qui va à un temps de réponse à un temps partagé nous embobine dans le basculement du temps de l’horloge du Diable pour revenir au temps plein d'une réalité d'un réseau comme la bande des cinq ... :)
Max-Louis

Laurence a dit…

Le récit vire au conte pour finir sur une chute sarcastique que je n'ai pas vu venir. Bien joué ! :)

mariejo a dit…

mais quelle histoire ! J'en ai perdu le souffle un instant ! Mais Chronos veillait sur moi, j'ai pu arriver à la conclusion sans dommage.
Et vive Alphonse, le poète magicien.

Emilie a dit…

Oui, en effet, j'ai perdu les pédales...
Il m'a bien fait rire ton vendeur de temps! Le poète surtout!
Tu as été trop délicat! Je n'ai pas compris lorsque tu me l'as écrit en comm! ;)