Une carte était déroulée sur la grande table du gaillard d’arrière. Elle paraissait avoir été abandonnée précipitamment. Les cartes ont toujours quelque chose à nous apprendre. Je pris la fille du capitaine qui était posée dessus et la jetai dans un coin de la salle. Je ne suis pas un monstre sanguinaire comme ceux qui continuaient de se battre sur le pont. Je ne vous parle pas de l’enfant du capitaine — Savait-il seulement s’il en avait eu de ses quatorze épouses ? — je vous parle du chat à neuf queues que l’on appelait ainsi. Ce fouet à neuf cordes qui servait à corriger les marins indisciplinés et les mutins.
Nous étions le 22 novembre 1718 au large du littoral de la Caroline du Nord, sur la côte atlantique. Plus précisément près de l’ile d’Ocracoke où se trouvait, disait-on, la fontaine de Jouvence. L’Adventure, le sloop de Barbe Noire armé de neuf canons, avait cru pouvoir nous aborder sans risques, se laissant duper par nos trente marins qui avaient fait semblant d’être morts ou s’étaient habilement cachés dans la cale du Ranger. Notre bateau ne disposait que de deux canons de petit calibre mais était commandé par le lieutenant Robert Meynard, un homme habile et rusé. La terreur des Caraïbes et de la Royal Navy se laissa piéger et en succomba. Il avait fallu pas moins de cinq coups de pistolets et vingt coups de sabres pour en venir à bout.
Barbe Noire mort, les seize survivants de son équipage de flibustiers eurent tôt fait de se rendre. Plutôt que de mourir tout de suite, ils espéraient certainement pouvoir s’évader avant d’être pendus et laissés accrochés aux gibets le long de la route du capitole de Williamsburg, en Virginie. Le cadavre décapité de Barbe Noire fut jeté en mer et sa tête à la barbe tressée suspendue au beaupré du Ranger.
Ensuite, nous nous installâmes quelques jours sur l’ile d’Ocracoke pour enterrer nos morts et réparer notre navire. Il avait en effet subi de gros dégâts par les tirs de canons de l’Adventure. Il fut procédé aussi à la vente aux enchères du butin de Barbe Noire. Il s’agissait surtout de sucre, de cacao et de coton. La récompense de quatre cents livres attribuée pour la capture du pirate fut répartie entre les équipages de la Royal Navy, même ceux qui n’avaient pas participé aux combats. Robert Meynard trouvait cela injuste.
Cela m’était égal car j’avais dissimulé sous ma chemise, à même la peau, la carte trouvée dans la cabine de Barbe Noire. Il y avait une croix dessinée sur cette carte indiquant certainement l’emplacement de son trésor. Tout le monde pensait qu’il se trouvait aux Antilles, mais la carte était précise. Elle indiquait une ile au large de Monterey au sud de San Francisco. En plein pacifique, entre San Francisco et Samoa.
Le pirate avait dit que « seul le diable et lui-même connaissaient sa cachette, et que le diable aurait tout ». Je comptais bien prendre la place du diable.
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