lundi, janvier 09, 2023

Le sens de la fête

 Ça y est, ça recommence. On rentre dans la période des fêtes. Va falloir s’amuser. C’est la règle. Saint-Nicolas, Noël, Nouvel-An. Youpi ! Je voudrais bien. Pourquoi pas ? Mais je n’ai pas le sens de la fête. Je ne sais pas fêter. Ça me gave. Je ne peux pas faire la fête sur commande. Ça ne s’improvise pas.


Touchée par mon infortune, une âme charitable m’indiqua une baraque, une sorte de bazar situé au fond d’une impasse, qui s’appelait « Les sens de Thérèse Benthine ». C’était une vendeuse de sens, dont la boutique était un véritable capharnaüm labyrinthique dans lequel on était sensé trouver tous les sens que l’on désirait. Le moins que l’on puisse dire est que Thérèse Benthine avait le sens de l’accueil et de l’hospitalité.


— Cher client, si vous cherchez du sens, vous êtes au bon endroit. C’est pour offrir ? me demanda-t-elle, alors que je venais à peine de franchir le seuil de son échoppe.


Je ne comprenais pas bien le sens de sa question, mais je lui répondis cependant que je cherchais le sens de la fête.


— Ah, il doit bien m’en rester quelques-uns… Et bien, servez-vous. Le magasin est en libre service, et pour ne pas vous perdre, prenez un sens de l’orientation là, au bout du comptoir. Vous en aurez besoin car la boutique est vaste. Ils sont offerts par la maison. Je ne tiens pas à perdre ma clientèle, conclut-elle dans un rire argentin. Elle avait le sens de l’humour en plus du sens des affaires.


L’endroit était en effet constitué d’une multitude de hauts meubles aux multiples tiroirs, qui formaient des allées étroites à double-sens se croisant de temps en temps. Chaque tiroir renfermait un sens particulier. Il y en avait des centaines. Peut-être des milliers. Moi qui pensais que nous n’avions que cinq sens, j’étais très surpris.


Le début de mes recherches fut difficile. La vue de tous ces tiroirs m’excitait autant qu’elle m’intriguait. Je visai d’abord un tiroir sensé contenir le sens de l’histoire. En voulant l’attraper, je n’ai pas vu une marche et n’ayant pas le sens de l’équilibre, je suis tombé sous le sens. Je ne sais pas s’il vous est déjà arrivé de recevoir le sens de l’histoire dans la figure. Et bien je peux vous dire que c’est lourd de sens. Je n’étais pas encore à la fête !


Je ne vais pas vous énumérer tous les sens que j’ai découverts. Il y avait les sens corporels, les sens sociaux ; le sens de la parole, de la famille ; le sens d’autrui et le sens moral ; le sens pratique et le sens critique. Il y avait des sens propres, des sens figurés et aussi des sens contraires…


Parmi les originalités, il y avait des sens du détail, particulièrement minuscules, et des sens insaisissables. Il y avait aussi un sens unique très onéreux, la rareté en faisant le prix.


Je me suis étonné, auprès de Thérèse, de quelques tiroirs vides. C’est comme cela que j’ai appris qu’il existait des raffineries de sens et que certaines d’entre elles étaient en grève…


Tous ces sens me donnaient le tournis. Je finis cependant par trouver un tiroir au ras du sol étiqueté « Sens de la fête ». Je m’attendais, en le saisissant, à avoir des étoiles dans les yeux et des cotillons dans les cheveux. Rien ne se passa…


Je n’étais pas tout à fait convaincu mais je le pris tout de même. Thérèse Benthine me dit qu’elle était obligée d’ajouter un sens obligatoire. Une TVA sans doute. La note était salée !


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