mercredi, juillet 06, 2022

Kobold


Épuisés autant que nos chevaux par quatre jours de galop effréné, nous sommes arrivés au château de Baltimor à Moilneux, dans le Péril-gore gris pâle, le jour de la Saint Innocent.


Je tiens à rassurer ceux qui seraient chagrinés de n’avoir jamais vu le château de Baltimor à Moilneux. Ils sont chanceux car c’est un château qu’il est préférable de n’avoir jamais vu, tant il est lugubre, sombre et inhospitalier. Perdu au milieux de marécages infestés de serpents et de crapauds venimeux, on ne voit l’enchevêtrement de ses sinistres tourelles et donjons, reliés par d’improbables ponts suspendus, que lorsque les nappes de brouillard qui l’entourent s’effilochent quelques instants sous l’assaut de bourrasques de pluie ou de grêle.


Nous fûmes reçus par un majordome grincheux et irascible, sans doute aigri par une enfance difficile suivie d’une existence douloureuse, qui se servait du crochet de sa main gauche pour dompter sa jambe de bois qui avait tendance à glisser sur les pavés humides.


Après qu’il eut examiné très attentivement nos laisser-passer ainsi que nos multiples recommandations et états de services, à l’aide de bésicles en bois empruntées à un moine copiste borgne, il nous dit que Kobold allait nous conduire jusque’à l’instructeur chargé de nous transmettre les directives inhérentes à nos missions respectives.


Il appela Kobold avec une telle force que l’échos de son nom, bold, bold, bold, résonna dans les couloirs, corridors et galeries du château de longues minutes suivies de quelques secondes particulièrement brèves, juste le temps pour Kobold de nous rejoindre.


Kobold était un nain étrange, de forme rabougrie, avec des habits bariolés agrémentés de grelots, un bonnet rouge sur la tête. Honoré par les lingères, les servantes et les cuisinières du château, qu’il honorait en retour, il rendait de nombreux services, étrillait les chevaux, tenait les cuisines en bon ordre et veillait à tout. Très susceptible, il versait du poison ou du sang dans les plats de ceux qu’il soupçonnait de s’être moqué de lui ou lui avoir manqué de respect. S’il s’agissait d’une femme, il l’honorait doublement, mais sans ménagement.


Notre mission consistait à assurer la surveillance du château. Nous étions chargés d’écouter tout ce qui se disait ou murmurait dans les deux cents pièces et trente donjons, sans oublier les vingt-huit oubliettes. Nous devions remplacer les caméras de surveillance et les micros dissimulés derrière les tableaux avant l’invention de l’électricité. Tous les soirs Kobold attendait notre rapport, une fiole de poison ou de sang dans chaque poche.


De jour comme de nuit, nous errions dans les couloirs du château, toujours aux aguets, l’oreille tendue et le regard affuté, dans l’humidité et les courants d’air qui nous enrhumaient et éteignaient fréquemment nos torches et candélabres. Nous avions un code secret de reconnaissance qui était houuuu ! houuuu !


Les paysans de la région croyaient que le château était hanté. Mon Dieu, sont-ils bêtes !


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