mercredi, juillet 06, 2022

Journal d'un curé de campagne

 


Mercredi 7 mai 1958


Quand je pense que j’ai choisi la prêtrise parce que l’on m’avait expliqué en grec, en latin et en français, que l’homme était une bête méchante et stupide, et que l’amour était une cochonnerie. J’avais des organes et l’on m’a fait comprendre qu’il était honteux de s’en servir ! Je vivais dans la terreur du sexe. Ô femme, femme ! Je sentais que plus tôt on supprimerait ce sexe, mieux nous nous en porterions tous ! Et puis, j’ai toujours eu une attirance pour les silences troublés de chuchotements de sacristies et de confessionnaux. Sans doute ce côté voyeur refoulé au fin fonds de mon subconscient.


Je peux bien te l’avouer, cher journal, c’est lorsque l’évêque m’a lâché sur les âmes de ce petit village, que tout a basculé et que j’ai commencé à glisser du monde des innocents dans celui des initiés. Il est d’apparence coquet et on lui donnerait le Bon Dieu sans confession, mais il fait partie de ces villages sordides où grouille une humanité bestiale. Il regorge de paillardes hypocrites et chattemites, obsédées de préoccupations obscènes. Mmm… Ils ont tous « Ignis in ano » !



Jeudi 8


La Cathy est revenue se confesser. C’est une diablesse ! Comment vais-je résister longtemps ? Seigneur, je vous en supplie, aidez-moi !


Elle a l’œil d’un poisson mangeur d’hommes et maîtrise parfaitement l’art de la persuasion. C’est la créature la moins terrienne que je n’aie jamais rencontrée. Toutes les pénitences que je lui inflige n’obtiennent aucun résultat. Elle dort chaque nuit toutes fenêtres ouvertes, au cas où un cambrioleur lubrique aurait le bon goût de lui rendre les vertiges de ses seize ans. Elle prend un malin plaisir à me décrire ses cabrioles sans m’épargner le moindre détail. Je n’ai même pas à lui poser de questions comme je le fais avec mes autres ouailles afin d’ajuster au plus près la pénitence à effectuer.


Aujourd’hui, elle m’a dit avoir pratiqué la position du lapin frétillant dans la tanière de velours. Elle m’a révélé en outre, le secret de la toile d’araignée capturant le ver à soie, et comment rosée et pluie ruissellent au printemps. Elle m’a détaillé, la bougresse, le baiser foudroyant de la Licorne et l’ascension du pic des Dieux.


Elle voulait absolument m’expliquer la position du Hanneton soulevant une Citrouille, une variante plus téméraire du fameux Gecko accroché à la Poutre, mais je l’ai interrompue. Je n’en pouvais plus. J’ai crié grâce. Mon pouls jouait le boléro et j’étais dans un état de cire fondante, comme les cierges placés devant la statue de la soeur de Saint Vincent-de-Paul. Celle qui a les yeux morts et les bras glissés dans ses manches. La vue permanente de son décolleté affolant à travers le grillage du confessionnal m’a provoqué une quinte de toux qui m’a gonflé le cou à en faire sauter mon col blanc et m’a complètement embué les lunettes. Ah, la garce !



Vendredi 9 mai


Les temps sont mauvais… De toutes parts, la société craque, la religion s’effondre. Tout se désagrège et pourrit… Partout, la déroute, l’affolement, le vertige du sauve-qui-peut !… Des générations abominables se préparent.


Mon église est normande mais l’intelligence de la plupart des indigènes de mon village est paléolithique.



Samedi 10 mai 1958


Aujourd’hui, j’ai reçu en confession Henri-Théodule. C’est un homme d’une soixantaine d’années, vaniteux, solennel et stupide. Irréparablement, malgré les pénitences que je lui inflige. Il a décidé une fois pour toute qu’il consacrerait le reste de son existence à la belle vie et les plaisirs interdits. Et bien je peux t’affirmer, cher journal, que si dans un village il y a quelque chose de pire que le feu dans une vieille grange, c’est assurément l’amour chez un vieil homme.


Ah, je sais bien que s’il trouve des proies, c’est parce qu’il est châtelain. Ce n’est certes pas grâce à son physique. Il est petit, très laid, les yeux fourbes et la bouche dédaigneuse. Son visage est empâté sous l'influence d'une gloutonnerie permanente et lorsqu’il lève la tête, on dirait le dessous d’un poisson mort.


Certes, je suis le premier à comprendre qu’un homme, comme l’est Monsieur le duc, a besoin de temps en temps de placer quelque part le trop plein de ses affections à rien faire. Moi-même, de temps en temps, je suis heureux de retrouver la petite fille qui joue de l’orgue. Mais, nom de Dieu, je ne m’en vante pas !


Henri-Théodule ne cesse de bomber le torse parce qu’il fait son affaire à Carmen, la belle boulangère dont la boutique, grâce à ses yeux, à sa belle mine polissonne, et surtout à ses miches et sa peu farouche vertu, fut très promptement achalandée. Auprès de Carmen, la femme de Feu n’est qu’un pâle iceberg ! Lorsqu’elle présente au duc l’ardente fleur de sa beauté sexuelle, qu’elle s’offre, lascive, effrénée, aux curiosités et aux emportements de sa luxure, Henri-Théodule avoue que son membre indique midi pile.



Dimanche 11


Je leur ai fait un sermon à tout casser. J’ai abandonné les commentaires de l’évangile du jour quand j’ai entendu un énorme rire imbécile, à la fois hyénesque et sarcastique, qui me fit l’effet du grincement d’une craie sur un tableau noir, et faillit me fendre le tympan en deux. Ça m’a mis dans une colère noire (noire-corbeau évidemment). J’ai commencé par dire que ceux qui se permettent de rire en pleine messe ne pourront plus le faire au purgatoire ou en enfer, et je leur ai expliqué longuement ce que je pensais des gens qui ne savent pas tenir leurs pieds tranquilles et leur bouche cousue pendant le sermon.


Je leur ai dit que si le bon Dieu nous avait fait des genoux, c’était pour que nous nous prosternions et que les premiers rangs n’étaient pas réservés à quelques ladies jacassantes aux échines fléchies sous les effets conjugués de la foi et de l’arthrose. Ma remarque a un peu choqué les demoiselles Goncourt qui occupent toujours le premier rang, deux vieilles filles, riches et dévotes, grosses et puantes. Toutes deux sont vêtues de même façon, toutes deux sont pourvues d’un goître monstrueux. Je ne les supporte que parce qu’elles sont généreuses à la quête et participent largement à la réfection du clocher de l’église.


Aucun commentaire: