jeudi, juillet 01, 2021

À la belle étoile


Toujours prêt à rendre service, Norbert conduisait Églantine chez une amie qui l’avait invitée à passer l’été dans sa gentilhommière. La décapotable roulait à vive allure sous un océan de ciel bleu. À droite et à gauche, la campagne semblait emportée dans une course folle, et avec elle, les laboureurs qui travaillaient aux champs.


Pourquoi dites-vous, Norbert, que notre génération sera la dernière à avoir connu les joues posées sur des oeufs ?


Je ne dis pas cela, Églantine. Je dis : « les jougs posés sur des boeufs ». Aujourd’hui, il n’y a plus que des tracteurs qui tirent les charrues.


Ah ! Vous aimez la campagne, Norbert ! Cela se voit. Allons dormir à la belle étoile et je vous montrerai mon hangar à fourrage.


Norbert fut ébranlé comme s’il était tombé d’un train d’ébahissement sur les rails de sa stupéfaction. Il connaissait Églantine comme une fille simple et directe, mais il avait aperçu dans son regard de merlan frit marié à une vache qui rumine, une étincelle de salacité qui révélait chez la donzelle une libido en fusion. Elle avait des yeux ronds, une bouche lippue et un triple menton qui s’épanouissait sur sa poitrine surabondante. De longues effluves musquées montaient des profondeurs de son corsage chaque fois qu’elle poussait de languissants soupirs accompagnés d’oeillades appuyées dans sa direction.


La stupeur s’effaçant rapidement pour laisser place à la terreur, Norbert était comme tous ces gens qui habitent à côté d’un volcan entrant en éruption et qui doivent trouver immédiatement une solution. Son cerveau cliquetait plus rapidement qu’un ordinateur. Un bref instant, lui vint à la tête une montée de cette lubricité fangeuse qui hante les rêveries de certains très jeunes hommes et de quelques vieux dégoûtants. Il songea expédier prestement l’affaire comme on s’acquitte d’une incontournable épreuve.


Il eut préféré une issue plus poétique et ne pas désoler le silence de la nuit et les pudeurs de la lune par de hideuses amours, mais aucune solution de rechange ne lui venait à l’esprit. Il lui parut alors indispensable de commencer par s’anesthésier au moyen d’un béatifiant liquide apte à lui modifier radicalement sa vision du monde.


Le jour commençait à décliner lorsqu’il s’arrêta sur la place de l’un de ces innombrables villages qui peuplent nos campagnes et dont le seul commerce est un bar-tabac-presse-épicerie-droguerie-poste et dépôts divers.


Quelle que soit l’horreur des circonstances et si nombreuses soient les flèches de la mauvaise fortune, Norbert pouvait toujours compter sur une chance insolente qui lui évitait de souffrir des pièges tendus par le Destin. Il aperçut de l’autre côté de la place, juste derrière une statue qui accueillait les merdes des pigeons avec une sérénité de bronze, l’unique auberge de l’endroit, dont l’enseigne affichait en toute simplicité : « À la belle étoile ».


Il semblait que la Providence essayait de mettre un peu de vaseline sur une situation scabreuse, mais dès l’approche du bâtiment il fut évident que l’étoile de son enseigne était la seule que l’établissement pouvait s’offrir, sans espoir du plus petit label touristique.


Suivi d’Églantine, une bouteille de whisky dans une poche, et de mort-aux-rats dans l’autre, Norbert pénétra dans ce qui lui parut être un bouge rivalisant en senteurs fauves avec les urinoirs. Un monstre surgi de nulle part lui hurla au visage, dans une haleine de soupe aux choux mêlée à des relents de vinaigre : « C’EST FERMÉ !!! ».



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