mercredi, septembre 28, 2011

L'auberge du sable rouge

L'homme était davantage poète que commerçant et sa petite auberge n'était plus seulement au bord de la mer mais aussi de la faillite. Son regard quitta le tumulus à la terre fraîchement retournée, franchit la ligne blanche des vagues qui venaient mourir sur la grève, contempla quelques secondes de gros nuages noirs et menaçants, et s'arrêta sur l'enseigne lumineuse qui ne luminosait plus depuis bien longtemps au-dessus du portail : "Le sab.e roug.".


Il n'avait pas l'argent nécessaire pour remplacer les lettres manquantes. Cette situation le rendait malade et son moral était au plus bas, mais s'il utilisait le "e" de "sable" pour remplacer celui de "rouge" qui avait reçu la foudre, il ferait une économie substantielle. Evidemment, l'auberge du sable rouge s'appellerait désormais "L'auberge rouge", une bien triste référence, mais cela n'avait pas trop d'importance.


-- Alors, c'est fait ? Lui lança Paulette avec sa voix de rogomme.


Sa femme Paulette était une dangereuse émanation de l'enfer à la lèvre vénéneuse. Le voisinage la surnommait pot de cyanure et Antoine qui était criblé de dettes l'était aussi de honte. La Providence, en la plaçant sur son chemin, l'avais soumis à rude épreuve.


Il allait répondre lorsqu'ils furent surpris par le bruit d'une voiture s'arrêtant devant la taverne. Un événement devenu beaucoup trop rare. Un homme gros, gras, rougeaud et précédé d'une épaisse moustache se présenta sur le seuil tel le rhinocéros au point d'eau. Il commanda une assiette anglaise avec l'intention de poursuivre sa route sans tarder, mais alors qu'il s'apprêtait à le faire, la nuit tomba prématurément et un orage d'une rare violence éclata.


La grêle succédant à la pluie, Paulette suggéra à l'obèse d'abriter sa luxueuse limousine anglaise au nom de mammifère carnivore des régions tropicales, dans un hangar contigu et de rester dîner en attendant la fin de la tempête.


Ainsi fut dit, ainsi fut fait. Un plantureux repas fut servi au molosse, dans lequel Pot de cyanure infiltra une dose de drogue capable d'assommer un troupeau d'hippopotames.


Pris d'une soudaine lassitude, l'énorme demanda une chambre où il s'endormit sans avoir eu le temps de se déchausser. Midi sonnait au clocher voisin lorsqu'il ouvrit un œil.


Le soleil était revenu mais il ne semblait pas dans les habitudes de ce client de sauter un repas. Il en était arrivé au trou normand lorsqu'entrèrent deux créatures aux cheveux jaunes, aux seins démesurément rebondis, à la croupe exagérée, au teint plâtré de fard, aux yeux charbonnés, aux lèvres sanguinolentes, cloutées de piercings et sanglées en des robes extravagantes. On comprenait très vite que leur manque de candeur allait de paire avec une dose de péché originel bien supérieure à la moyenne.


Elles ne furent pas longues à entreprendre le molosse qui de toute évidence n'était pas insensible à leurs charmes puisqu'il demanda à conserver sa chambre pour une nuit supplémentaire.


Paulette, songeuse, se demandait comment cette force de la nature avait pu résister à sa pharmacopée cependant qu'Antoine calculait mentalement le prix de deux nuits et trois repas et…


C'est à ce moment-là que tout a basculé.


Alors que le trio se dirigeait vers les chambres, les créatures sortirent chacune de leurs accoutrements vestimentaires une paire de menottes qu'elles passèrent prestement aux deux tenanciers. L'homme gros et gras n'était pas seulement rougeaud mais aussi commissaire et annonça une perquisition et des fouilles approfondies. Les méthodes policières avaient décidément bien changé.


Il y avait déjà six cadavres sous le tumulus.


3 commentaires:

trublion a dit…

et bien, te voilà écrivain !

Solange a dit…

Tel est pris qui croyait prendre.J'aime les histoires.

Oncle Dan a dit…

Il y en a plein dans ce blog !