mardi, septembre 11, 2007

Elémentaire

Thème : Le texte doit commencer par "L'horloge indique vingt deux heures trente, mais elle est en avance"


─ L'horloge indique vingt deux heures trente, mais elle est en avance... Le voleur s’est introduit par l’œil de bœuf. Elle le surprend la main dans le sac. Dans son affolement celui-ci vide son arme sur la malheureuse. Une balle atteint l’horloge qui s’immobilise sur vingt deux heures trente.

─ Pourtant, Holmes, des témoins affirment qu’ils ont vu l’homme en fuite sauter dans le tramway de vingt deux heures quinze.

─ C’est exact, Watson. L'horloge indique vingt deux heures trente, mais elle avance...

Le vieillard et la lanterne rouge

Je vous raconte cette histoire le 11 septembre, non pas parce qu’il s’agit d’une journée de triste mémoire, mais parce que c’est aujourd’hui sa fête. Il s’appelait Adelphe.

Sa vie ne fut qu’un long chemin de contrariétés et de moqueries car lorsqu’on s’appelle Ytlor, on ne prénomme pas son enfant Adelphe.

Vous ne serez pas étonné si j’ajoute qu’Adelphe Ytlor avait le capital séduction de Quasimodo et qu’il était fourbe et méchant.

Il tenait un bazar appelé « La lanterne rouge », un véritable capharnaüm, une caverne d’Ali Baba, un antre aux relents surannés auxquels se mêlaient des odeurs de transpiration, de crasse et d’humidité miasmatique.

Il ne conservait une certaine clientèle que par la certitude que celle-ci avait de trouver à La lanterne rouge, et nulle part ailleurs, ce qu’elle cherchait.

Philtres, onguents, mixtures, poudres et autres viagra et semences du diable lui laissaient une confortable marge bénéficiaire gardée par une sorte de progéniture de la bête du Gévaudan.
Il accueillait son client avec obséquiosité, le faisait asseoir sur un tabouret défoncé qu’il débarrassait prestement des objets qui l’encombraient et écoutait la commande spéciale avec recueillement, enfouissant sa face vérolée dans ses mains crasseuses aux ongles noirs et crochus.

Lorsque le client avait avoué ses plus intimes envies, il disparaissait dans une arrière boutique plus sombre que l’enfer où se réalisaient par on ne sait quelle magie ni avec la complicité de quelles démoniaques sorcières, les élixirs et les bouillons les plus illusoires qui soient.

Il résistait ainsi à une concurrence effrénée utilisant les dernières évolutions technologiques. Des officines lourdement informatisées qui harcelaient quotidiennement l’internaute à grands renforts de pourriels, diffusant des catalogues virtuels autour de la planète et pratiquant une vente à distance plus ou moins sécurisée.

Lorsqu’on proposait au vieillard un tel équipement, il partait d’un effroyable rire qui faisait tomber le plâtre du plafond et réveillait les vipères emprisonnées dans ses bocaux de formol.

Au grand soir de la cyber-catastrophe, lorsque les virus destructeurs eurent raison des réseaux informatiques, que tous les fichiers furent irrémédiablement détruits et que les écrans s’éteignirent définitivement, il ne resta plus sur le marché que La lanterne rouge.

Le rire d’Adelphe résonne encore dans nos mémoires.

samedi, août 18, 2007

L'amante religieuse

(Le thème imposé est dans le titre)


Le chat noir a tout vu. De toute évidence, l’homme qui se hâte devant lui n’a pas la conscience tranquille. Sinon, pourquoi lancerait-il sans cesse de furtifs regards par dessus son épaule afin de s’assurer qu’il n’est pas suivi ?

Il contourne la calle dolera atorna al brusa, (la rue qui tourne autour de la maison brûlée) et se dirige prestement vers la calle del Sole mette in corte delle Scoazze (la rue du Soleil qui mène à la cour des Ordures).

L’homme s’engouffre enfin entre deux palais dans une ruelle qui s’ouvre comme une fente liquide entre les hautes maisons noires.

A Venise, tout communique avec tout. Chaque maison est reliée à dix autres. Ce ne sont que venelles, courettes, passages dérobés où glissent en hâte manteaux de soie et perruques pour se rendre, comme lui, en quelque lieu secret ou se conjuguent luxe et luxure, l’Église elle-même étant devenue un abri-refuge pour jouisseurs raffinés.

Enfin, il aperçoit le couvent. Après un dernier coup d’œil, il saisit le marteau de porte et frappe trois coups. Un judas grillagé glisse lentement. Père Version dit-il dans un souffle, d’une voix presque inaudible. Mère Veilleuse répond la concierge dont il ne distingue que la cornette blanche dans l’ombre du porche. Elle s’efface en entrouvrant la petite porte basse enchâssée dans le gigantesque portique.

Quelques instants, il suit les fondements de la religion vénitienne, le saint siège dans toute sa planétaire exubérance, épanoui et tendu comme une montgolfière. Puis Mère Veilleuse se retourne et lui indique le lieu de son rendez-vous.

Vous allez être satisfait, Monseigneur, notre Mère abbesse vous a réservé de divines surprises, dit-elle en tirant un rideau derrière lequel se dissimulait une entrée.

En franchissant le seuil, il a juste le temps de lire « Vampirella » gravé en lettres gothiques dans le bois de la porte.

lundi, août 06, 2007

Le Rouy de Ruy


La consigne : Le texte doit commencer par : "ce que je venais de dire à la vieille Marquise Guy de Ruy était l'exacte vérité" .

Le texte doit s'inspirer d'une photo représentant une place vide dans un compartiment de train avec un journal abandonné.

Ce que je venais de dire à la vieille Marquise Guy de Ruy était l'exacte vérité.

Elle puait !

A ma connaissance, le langage humain ne possède pas d’épithètes à la hauteur de la situation.
Pour vous faire une idée de l’odeur qui est entrée dans le compartiment en même temps qu’elle, il vous faudrait passer une semaine dans un égout, ce qui m’épargnerait une bien oiseuse et approximative description.

La marquise Guy de Ruy était à l’image de son manoir en ruines. Elle se consolait par l'absorption à doses massives de cochonnailles hypercaloriques qui l’avaient progressivement transformée en une sorte de Caterpillar suiffeux. J’avais devant moi une choucroute complète avec sa garniture : les saucisses, les jambonneaux, le lard... beaucoup de lard. Il n’y avait que le fumet qui ne correspondait pas à ce plat régional. De toute évidence, La marquise Guy de Ruy ne vivait pas dans la crainte de se charger l’estomac ou de se corrompre l’haleine, et devait éviter de se laver les dents et les pieds, de peur de les déchausser.

Grandeur et décadence.

On n’aurait su lui donner d’âge. Pour sûr, elle n’était pas très très vieille, mais elle n’était pas de la première fraîcheur non plus. Sa chevelure frisée, relevée en torsade sur le sommet de la tête dégageait sans grâce une nuque grasse. Un observateur appliqué et imaginatif, qui ne se laisserait pas distraire par les canons éphémères de la mode, pouvait trouver dans cet édifice capillaire babylonien la marque d’une recherche esthétique. Son impression aurait été confortée par le trait de rouge à lèvres qui soulignait la fine moustache.

Je l’observais derrière mon journal. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je la vis poser une vieille valise sur ses vieux genoux dont elle sortit une vieille bouteille de muscadet suivie bientôt d’un vieux fromage de Ruy (prononcez « Rouy »).

N’y tenant plus, je me levai et lui dis « Ah non, Marquise! Le Ruy: jamais avec du muscadet ». Et je quittai précipitamment le compartiment.

mercredi, juin 13, 2007

Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts


La consigne : Le texte doit commencer par : "Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts" .

Ce texte est la suite du précédent.


Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis le jour où Igor a donné de l’argent à une mendiante au bord du chemin.

Oh oui ! Beaucoup de choses ont changé. On pourrait même dire : tout.

Non. Pas tout à fait. Il reste encore les cyclones, les épidémies et les bandits, ces derniers expliquant sans doute l’incessante prolifération de brigadiers au bord des grands chemins.

Un jour, l’un d’eux intima l’ordre à Igor de stopper sa pouliche sur une zone d’arrêt d’urgence.

Bien sûr, il ne s’agissait plus de cette rosse de Lezghinka qui n’en faisait qu’à sa tête, mais de Lezghin IV, un modèle sport qui bondissait comme un tigre.
La côte sur laquelle la première peinait autrefois, avec le dynamisme d’une jument décédée depuis moins de 24 heures, Lezghin IV la grimpait en un insignifiant nombre de minutes et presque pas de secondes.

Considérant la tête de brute, la voix éraillée et le ton goujateux de l’homme en uniforme, Igor résolut d’obtempérer.

-- Vous ne semblez pas connaître l’article 412-6 du code des grands chemins, lui postillonna au visage l’homme copieusement moustachu.

Son haleine trahissait un alcool frelaté achevant de dissoudre un goulash musclé en oignons.

Igor venait lui-même d’avoir une longue conversation avec une bouteille de vodka et préféra ne pas affronter le brigadier de face. Il marmonna quelques réponses flasques, inaudibles et mucilagineuses, en se cachant derrière la fumée de sa pipe.

-- Tout conducteur doit se tenir constamment en état et en position d’exécuter commodément et sans délai toutes les manœuvres qui lui incombent, ânonna le rouage administratif.

-- En conséquence de quoi, poursuivit-il, je dois verbaliser quand vous mangez, buvez ou fumez en tenant les rênes. Vous saisissez ? Conclut-il à la manière d’un huissier.

Vous pensez bien, lecteurs idolâtres, que je ne vais pas énumérer ici tout ce qu’il est interdit de faire en tenant les rênes, ne disposant ni du temps, ni de la place nécessaires. Plus l’eau coule sous les ponts, plus la liste s’allonge…

vendredi, juin 08, 2007

A condition que tu m'en donnes...

La consigne : Le texte doit se terminer par : "A condition que tu m'en donnes" .



J’étais encore enfant, mais je me souviens très bien.

Nous nous dirigions en direction de l’horizon. Un peu vers la droite.

Plus précisément vers cette bourgade dont l’orthographe hérissée de consonnes m’égratigne la mémoire.

Igor faisait claquer son fouet pour accélérer la cadence car le crépuscule allumait les premières étoiles et c’était surtout vers huit heures, à la tombée de la nuit, que les assassins, les cyclones et les épidémies de choléra faisaient rage dans ce paisible village.

La vieille rosse, somnambule et cagneuse, qu’il qualifiait parfois de cheval dans le feu de la conversation, restait insensible aux sollicitations et nous nous faisions dépasser par d’antiques paysans, courbés sous le poids d’immenses fagots.

Il en aurait fallu davantage pour contrarier Igor, dont l’éternel sourire était un site classé, de même que le chaos de mèches entremêlées qu’il avait sur la tête, et qui évoquait la lande bretonne après les marées d’équinoxe.

Lorsque Lezghinka - c’était le nom de sa jument - eut atteint le sommet de la colline, nous aperçûmes la mendiante au bord du chemin.

Sa main tendue, sèche et noire comme celle d’un singe, sortait d’un amas de peaux de bêtes haut de trois pieds et demi à peine. Je me souviendrai toute ma vie de sa petite figure plissée, ratatinée, rugueuse et basanée comme un cuir de bottes qui auraient survécu à toutes les guerres. Sous la capuche, deux yeux rouges brillaient comme un couteau suisse. Je ne saurais dire s’ils lançaient réellement des flammes, mais ils me parurent distinctement incandescents.

Lance-lui des pièces, me dit Igor, embarrassé.

Il faisait partie de ces généreux avares qui ont constamment la main à la poche mais n’en sortent jamais rien.

Je le ferai, lui dis-je, à condition que tu m’en donnes…

mardi, mai 29, 2007

Une coccinelle dans un champ de coquelicots

Un nouvel exercice d'écriture proposé par Les Impromptus Littéraires

Thème : "une coccinelle dans un champ de coquelicots"
Introduire dans le texte les mots suivants : "anacoluthe", "mais c'est pas vrai ça !", "un hélicoptère".

― Votre coccinelle a quitté la route et a atterri dans un champs de coquelicots ! Que voulez-vous que j’y fasse ?

― Rgnn bzz rheu bleb bleb bzzz

― Quoi ? Que je vienne la chercher avec un hélicoptère et Monsieur plaisante, je présume. Mais c’est pas vrai ça !

― Hubert, je crois bien que tu viens de faire une anacoluthe.

― Ah ! Ecoute, Berthe, c’est pas le moment !

2155

Le Thème : 2155

La première journée de travail de l’année avait été longue et difficile pour Jean-Paul Woerth. Il était 21h55 lorsqu’il arrêta son ordinateur.

Avant de s’éteindre, l’écran afficha furtivement un message d’anomalie qu’il eut à peine le temps de lire : « Erreur fatale : virus 2155 ».

Il n’avait pas le temps de s’occuper de cela. Il verrait demain. Il lui fallait encore passer chez le maroquinier. Il avait repéré un beau sac à main à 215,50 euros et comptait l’offrir à sa femme pour son anniversaire. Lui, ne pouvait oublier l’anniversaire d’Odile. Elle était née le 2/1/55 dans le département de la Côte d’Or. Ils avaient ensuite rejoint la Meuse pour des raisons professionnelles.

Il plaça le dossier 215-5 au coffre dont il brouilla la combinaison 5…2...1...5.

Les difficultés commencèrent lorsqu’il voulu entrer le code de l’alarme : 2.1.5.5. Après la troisième tentative infructueuse, l’alarme se déclencha et une sirène assourdissante raisonna dans l’immeuble. Il se demandait qui avait pu changer le code sans l’en avertir. Troublé et distrait, il ne su répondre à la question que lui posait au téléphone la centrale de surveillance. Dix minutes après, la police entrait dans l’immeuble.

Jean-Paul se disait qu’il était peut-être dangereux d’utiliser la date de naissance de sa femme pour tous ses codes et mots de passe, mais ce qui le fascinait le plus était le numéro matricule cousu sur la veste du policier qui l’interrogeait.

Vous m’écoutez Monsieur Woerth quand je vous parle ? lui demandait l’agent 2155.

lundi, mai 14, 2007

Tout ça, c’est des excuses

─ Ma voiture n’a pas démarré ce matin. Il a donc fallu que je retourne à la maison prendre un vieux billet qui me restait et courir jusqu’à l’arrêt de bus à trois cents mètres. Evidemment, le car est parti sous mon nez et j’ai dû attendre le suivant. J’étais en train d’oter un chewing-gum collé à mon talon en constatant que mes chaussettes étaient dépareillées quand la monnaie que j’avais dans la pochette de ma chemise est tombée dans l’allée. Il a fallu que je me mette à quatre pattes pour ramasser les pièces – regardez mes genoux de pantalons – quand le contrôleur m’a écrasé un doigt en me réclamant mon billet. En me relevant, j’ai été pris de vertige, d’une crampe et de fourmillements dans le pied. Ajoutez à cela que le bus ne manquait aucun nid-de-poule. C’est pour ça que j’ai pris une décharge électrique dans le coude sur le sac à main d’une grosse dame peinturlurée dont le parfum était plus entêtant qu’un munster de trois semaines. Visiblement, le contrôleur était mal dans sa peau. Faut dire qu’il avait un visage ingrat, des yeux surplombés de verres épais, un sourire constipé, des boutons, une haleine horrible, des oreilles en portes de grange et des épaules en carafe. Il parlait avec une patate chaude et je ne comprenais rien de ce qu’il me disait. Il m’a fait payer une amende parce que mon billet était soit disant périmé depuis plus de six mois. On était tellement serrés que j’avais le nez en plein sur l’aisselle moite et faisandée de mon voisin qui avait une odeur à couper au couteau de bovin diarrhéique.

Je n’ai pas pu vous prévenir. On m’a volé mon portable hier.

De toute manière, il était cassé.

─ Oui. Bon. Ça va. Rejoignez les autres. On reprend.

Les empaillés de La Ravoire

La consigne 46 : Pas d'incipit, mais une phrase à placer dans votre texte, à l'endroit choisi par vous:
"Seule l'écriture nous (me) sauvera de la gueule de bois"



« Seule l’écriture nous sauvera de la gueule de bois » avait dit Jean-Pierre en rédigeant une lettre de dénonciation.

Il avait assurément raison, car notre tour serait venu tôt ou tard.

En suivant les indications du billet anonyme, les gendarmes découvrirent les empaillés de La Ravoire.

Les journaux parlaient de cannibalisme. C’était faux. Nous étions une bande de copains et avions décidé que même la mort ne pourrait nous séparer.

Lorsque Petit Louis est mort, le reste de l’équipe l’a exhumé du cimetière puis taxedermisé.

Nous le retrouvions de temps en temps, dans notre chalet, perché en haut de la montagne, inaccessible. Il nous accompagnait toujours pendant nos fêtes et nos beuveries. Il était accordéoniste. Certes, il n’était pas très bavard et ne répondait plus à nos questions que par d’énigmatiques sourires que nous pouvions interpréter à notre guise, mais il était là. C’était l’essentiel. Il ne manquait personne.

Puis ce fut le tour de Jean, en 1997, emporté par une mauvaise grippe ; et de Paul, en 2002, qui dévissa de son rocher. Ils rejoignirent Petit Louis sur le banc en face de la cheminée.

Jean-Pierre a paniqué.

Pourtant, on ne faisait de mal à personne, monsieur l’inspecteur.

dimanche, avril 01, 2007

Le poisson était sur le dos

53ème contribution à Impromptus littéraires

Le thème : Le poisson était sur le dos.

Malgré une mémoire d’attrape mouches où viennent se coller toute une série de faits quelconques et inutiles, je me souviens très bien d’aujourd’hui.

Vous me direz que la difficulté n’est pas bien grande et que j’aurais beaucoup plus de mérite à creuser mon tunnel dans l’épaisse couche du passé.

Si vous cessiez un instant de m’interrompre, je vous expliquerais que je veux parler du MOT « aujourd’hui » et non pas d’aujourd’hui.

Car le fait quelconque que je vous rapporte aujourd’hui et qui a marqué mon esprit à tout jamais, se rapporte à aujourd’hui et s’est passé le vendredi 1er avril 1955, jour du poisson à plus d’un titre.

Alors que nous écoutions religieusement notre institutrice, l’instituteur de la classe d’à côté, l’œil sombre et le front plissé comme une jupe écossaise, entra brusquement et marmonna quelques mots à l’oreille de sa collègue.

Il venait à peine d’achever ses confidences que l’institutrice me désigna du doigt en me demandant de le suivre.

Je suivis l’instituteur bougon et grincheux dans sa classe plongée dans un silence de sépulcre.
Il me fit monter sur la chair, me donna une craie et me demanda d’écrire le mot « aujourd’hui ».

Je commençai à écrire d’une main tremblante aujourd’ puis, après avoir posé l’apostrophe, je marquai une seconde d’hésitation en me demandant s’il fallait mettre un « h » à hui.

Percevant sans doute mon embarras, l’instituteur m’interrompit en disant que c’était très bien, l’essentiel étant que je sache que le mot était coupé en deux par une apostrophe.

Prenant à témoin les sombres crétins de sa classe qui ne connaissaient pas cette règle élémentaire, il leur demanda s’ils n’avaient pas honte de se faire apprendre l’orthographe par un minot.

Le silence de sépulcre atteignit une qualité inouïe.

Echauffé certainement par son énervement, le coléreux ôta sa veste et la classe sous pression éclata d’un énorme éclat de rire.

Le traditionnel poisson de papier était épinglé sur le dos du ronchonneur.

samedi, mars 24, 2007

L'enquête

La consigne : Vous écrivez un texte dont l'incipit sera: "Alfred Jarry est mort." Le texte sera écrit en trois épisodes pour former une nouvelle...


-- Alfred Jarry est mort.

Elle déboutonna ses paupières et fit don au commissaire de deux beaux yeux gris clairs enveloppés de cils noirs qui trahissaient son indifférence totale à cette tragédie.

-- Si vous voulez bien me suivre, dit-elle d’une voix sirénéenne.

Elle n’était pas jolie-jolie, si vous voulez, mais tout simplement irrésistible pour ceux qui aiment ce genre là. Elle disposait en particulier d’une paire de seins suffisamment gros pour faire de l’ombre à ses pieds.

Il est des invitations auxquelles il n’avait jamais pu résister, et il emboîta le pas de la soubrette qui lui exposait à présent la face nord de son anatomie

Distrait par les ondulations de la croupe généreuse qui le précédait, il prêta peu d’attention aux salons richement décorés qu’il fallut traverser pour atteindre la piscine, de l’autre côté de la villa. C’est là que le rêve prit fin et qu’il fit connaissance avec Alfred.

Il était là, baignant dans son sang, sans avoir seulement pris la peine d’ôter ses vêtements, et regardait fixement le commissaire avec une insistance malsaine. Son regard fixe semblait dire : « Il me semble vous avoir déjà vu quelque part, mais je ne saurais dire où exactement ».

-- Vous avez fait très vite, commissaire, dit une femme à genoux au bord de la piscine, puis se ravisant,

-- Mais vous n’êtes pas le commissaire !

-- Absolument, chère madame, Commissaire Delfeuille, pour vous servir. Monsieur Jarry a téléphoné ce matin à neuf heures. Il craignait pour sa vie. J’ai fait au plus vite.

(à suivre)

Le conte du renard bleu

On aurait pu croire que la petite dormait paisiblement mais sa tête faisait un angle mortel avec le reste de son corps.

Elle portait une robe de mariée.Ses pieds disparaissaient au fonds de chaussures à talons aiguille et le renard bleu autour de son cou était plus grand qu’elle.

Eglantine, rieuse et curieuse, adorait se déguiser avec les vêtements trouvés au grenier.

-- Je vous le jure, commissaire, gémit la gouvernante. J’ai trouvé la petite exactement dans cette position, à côté de ce coffret que je n’avais jamais vu auparavant.

-- Que me contez-vous là ? Bougonna le commissaire.Il ruisselait de transpiration sans que l’on sache s’il devait son état à l’océan de perplexité dans lequel il était plongé ou à la chaleur suffocante des combles.

-- Dépêchons-nous, je vais être en retard. Je dois me rendre chez Monsieur Alfred Jarry.

Le coffret avait été ouvert au moyen d’une petite clé en or. Sans doute par l’enfant.

Il ne contenait qu’un billet crasseux sur lequel était écrit à la plume d’oie dans une encre délavée par le temps « Malheur à qui libérera la rivière ».

Personne n’a jamais résolu cette énigme.

Le médecin légiste qui réalisa l’autopsie disparut du jour au lendemain.

Peut-être à cause de la rivière de diamants qui coula de la main d’Eglantine lorsqu’il ouvrit son petit poing serré.

Mais il est le seul à le savoir…

La suite de l'histoire

18ème contribution à Paroles plurielles


La consigne 42 : Vous écrivez un texte dont l'incipit sera: "Il faut que je vous dise... j'ai menti !"
C'est la suite de cette histoire


Il faut que je vous dise... j'ai menti !

En fait, je n’ai pas inventé la machine à remonter le temps. Vous comprenez, il fallait bien trouver une idée. La consigne disait qu’il « devait » se passer quelque chose de secret dans la maison aux volets bleus. Quelque chose que personne ne savait. J’ai paniqué.

Et vous n’avez rien trouvé de mieux que de m’écrire une lettre disant que vous aviez une machine à remonter le temps dans votre salle de bains ? dit Monsieur Wells dont la déception se lisait sur le visage.

Ça, répondit le géant, c’est parce que quelques temps auparavant, j’ai poursuivi un gosse qui avait noyé une souris dans ma chope de bière. Il s’est enfermé une heure dans la salle de bains. C’est vrai, je choisis toujours la solution la plus compliquée.

L’écoutez pas, Monsieur Wells, crachouilla la baleine entre deux bananes. C’est lui, le gosse, renchérit-elle, en chassant de ses protubérances mamillaires quelques improbables miettes de croissant. S’rait capable de me noyer dans l’étang, rien que pour se rendre intéressant sur les blogs d’écritures !

La perte serait moins grosse que toi ! Hurla le colosse dans un bruyant éclat de rire qui accentua davantage son rictus d’apocalypse.

Quant à moi, il se peut qu’un jour, je puisse rire à nouveau quand je serai loin de cette maison de terreur, dit Wells d’une voix froide et sèche comme un œuf de pique-nique, mais il y a peu de chance que ce soit dans un proche avenir.


mercredi, mars 14, 2007

L'invention

17ème contribution à Paroles plurielles

La consigne 41 : Une jolie maison aux volets bleus, dans une rue tranquille, dans un quartier tranquille, quelque part où il fait bon vivre...Pourtant dans cette maison se passe quelque chose de "secret", que personne ne sait... Racontez... Avec comme incipit: "Ça fait huit jours exactement que... "



Ça fait huit jours exactement que Monsieur Wells est arrivé dans ce petit village d’apparence calme et paisible, avec une incroyable lettre dans la poche.

Huit jours que les habitants lui racontent les histoires les plus invraisemblables, peuplées de monstres et de phénomènes paranormaux sur la petite maison aux volets bleus. Il se passait des choses vraiment bizarres.

Chez lui, la curiosité l’emportait toujours. La seule maison avec une cible, disait le billet. Il ne pouvait pas la manquer !

Après tout ce qu’il avait entendu, sa tranquille assurance se coupait d’un fort doigt d’inquiétude en appuyant sur la sonnette de la maison aux volets bleus.

Ce ne fut pas un doigt, mais quelques uns, lorsqu’il entendit s’approcher un pas pachydermique derrière la porte qui s’ouvrit sur cent cinquante kilos de muscles briseurs de bascules publiques et d’intrus envahissants. Le colosse avait une grosse tête chauve et pâle, défigurée par un affreux rictus. Une tête à manger du verre pilé et à tuer les rats avec les dents.

Ses craintes s’amplifièrent à la vue de l’être étrange qui surgit derrière le gorille, et qui avait dû revêtir, dans un passé lointain, l'apparence d'une femme.

Elle bouscula l’énorme et lança les vagues de son triple menton dans la pleine mer de sa poitrine en ouvrant la bouche, mais les mots qu’elle voulut en extraire furent refoulés par la banane qu’elle engouffra dans le même temps avec une surprenante rapidité.

Pouvez-vous m’en dire davantage ? Demanda Monsieur Wells en extirpant la lettre de sa poche.

Le molosse tira l’écrivain à l’intérieur de la maison en explorant de son regard chalumeau les alentours pour s’assurer que nulle oreille ni oeil suspects ne les espionnait.

Suivez-moi. Je vais vous montrer ma machine à remonter le temps, dit-il.

Deux yeux verts me regardaient

52ème contribution à Impromptus littéraires

Le thème : Deux yeux verts me regardaient. Le texte doit commencer par cette phrase et le récit doit être à la première personne du singulier.

Deux yeux verts me regardaient.

Enfin !

Ces yeux étaient ma récompense. Les admirer me procurait déjà un immense bonheur après tant de souffrances et d’espérances. Après un si long chemin semé de mille embûches.

Ils me regardaient fixement au-dessus de l’énigmatique sourire de la déesse bien-aimée. Ils étaient plus beaux que je les avais imaginés dans mes rêves les plus fous.

Je ne pouvais pas encore les toucher. Je ne pouvais pas encore les embrasser, mais je les voyais briller plus que tout l’or du monde. Il ne me restait plus que cinquante mètres à franchir.

Il me fallait éviter le balancement des hachoirs, les jets de fléchettes au curare et la fosse aux scorpions. Il ne fallait pas déclencher l’abaissement de la herse ni l’ouverture du sol ou la chute des blocs de pierre…

Un jeu d’enfants.

Alors, les yeux de la déesse, les deux plus grosses émeraudes existant sur terre, seraient à moi.

samedi, février 24, 2007

Jardin d'hiver

50ème contribution à Impromptus littéraires

Le thème : Jardin d'hiver.

Il m’invita à rentrer dans son jardin d’hiver, une immense serre aux vitres dépolies. Il était vieux, laid et bien que je n’aie jamais pu le vérifier moi-même, devait certainement faire peur aux enfants.

J’hésitai un instant sur le seuil. Ca sentait la mousse, la moisissure et le pipi de chat.

Il voulait me montrer une orchidée noire rapportée d’un pays lointain et insista tant que je le suivis dans un de ces brouillards poisseux et moites que l’on ne rencontre habituellement que dans les romans où il est question de landes désertiques et de cimetières abandonnés.

Je fus immédiatement oppressé par cette odeur âcre qui me prit à la gorge. Il y avait çà et là des cages pleines d’oiseaux exotiques particulièrement bavards. Surgi de nulle part, un ara sans gêne, aux couleurs de perruque défraîchie, frôla le vieillard et renversa la sienne.

Le vieux brandit le poing et ses injures se perdirent avec celles de l’animal dans l’abondant feuillage de gigantesques plantes grasses que je voyais pour la première fois de ma vie.

La végétation était à ce point luxuriante que je m'attendais à tout moment à être happé par une plante carnivore, étranglé par une liane ou transpercé jusqu'à l'os par le dard d'un insecte géant assoiffé de sang frais.

Au fond de la serre, dans un pot de terre minable, se dressait l’orchidée noire, objet de tant de folies.

J’entendis alors un son semblable au râle d’un canard mourant. Le bruit venait d’une porte en bois au fond de la serre et j’aperçus, sortant d’une chatière percée au bas de celle-ci, une main de femme décharnée, aux ongles longs et crasseux, saisir dans une gamelle posée à proximité une tranche de pain humide et un morceau de sardine morte.

Un frisson me secoua de la semelle des chaussures à la pointe des cheveux, mais je me ressaisis rapidement et à part trembler comme une gelée et laisser pendre ma mâchoire inférieure d’environ vingt centimètres, je ne montrai aucun signe de décomposition.

Le vieux tourna vers moi son regard coagulé et vitreux de fou sanguinaire. Les coins de sa bouche tombaient plus que jamais et son front était plissé comme celui d’un client dans un restaurant qui, attaquant une douzaine d’huîtres, constate que la première est mauvaise.

Il ouvrit la bouche puis, comme s’il sentait qu’aucune parole n’était adéquate, la referma.

Un moment ou deux me furent nécessaires pour refaire surface.

Tout va bien, dis-je, tout va bien.

Je connaissais bien le patron

49ème contribution à Impromptus littéraires

La consigne : Le texte doit se terminer par "Je connaissais bien le patron".

Nous aimions ces veillées, loin des écrans plasma et autres divertissements virtuels. Lorsque Grand-père nous racontait ses souvenirs du XXIème siècle, nous l’écoutions bouche bée, tant ses récits étaient invraisemblables. Un soir, il s’assit dans un fauteuil, n’alluma pas un excellent cigare et commença cette incroyable histoire.

Ah ! Je me souviens de ce temps béni où il était encore permis de fumer et de boire.

Les interdictions s’étaient multipliées et les espaces de libertés s’étaient réduits comme peau de chagrin. Il ne nous était même plus possible d’en griller une ou de boire un petit coup pour se consoler. Les sanctions pleuvaient, de plus en plus sévères.

Ils avaient augmenté le prix du tabac, puis interdit de fumer dans les lieux publics, puis dans les cafés et enfin l’interdiction fut totale.

Afin de faire appliquer la loi, on posa des caméras partout. Les détecteurs de fumée et les webcams devinrent obligatoires dans les transports en commun, les voitures puis les appartements. A peine, allumait-on une cigarette que l’on recevait dans l’heure la notification d’une amende par courrier électronique.

La résistance s’organisa. On se serait cru revenu au temps de l’école où nous fumions dans les toilettes.

Nous allions dans les sous sols d’un ancien bistrot désaffecté et là, nous nous remémorions avec nostalgie nos meilleurs moments.

Il y avait Paulo, capable de parler très longtemps avec un petit bout de cigarette collé à la lèvre inférieure, Gino dont le sourire malicieux se dissimulait derrière la fumée de sa pipe et votre serviteur champion du monde du nombre de ronds de fumée.

Nous rentrions chez nous à une heure avancée de la nuit. Il faut dire que je connaissais bien le patron…

samedi, février 03, 2007

Mauvaise blague

16ème contribution à Paroles plurielles

La consigne 39 : Voici l'incipit: "Je suis resté(e) une heure environ dans la salle de bain..."


Je suis resté une heure environ dans la salle de bains. Mon cœur battait la chamade et je me recroquevillais comme une plume qui prend feu. Je n’avais jamais éprouvé avec autant d’acuité l’impression d’être sur le point de disparaître sans laisser de trace. Il me semblait que toutes les catastrophes imaginables pouvaient s’abattre sur moi et je broyais une quantité assez considérable de noir.

Je ne saurais dire si les yeux du colosse lançaient réellement des flammes lorsqu’il reposa son bock de bière, mais ils me parurent distinctement incandescents. J’ai senti mes chaussettes me lâcher d’un coup et les murs se sont mis à valser. Lorsqu’il m’a dit de sortir, j’ai immédiatement obéi à sa requête sans terminer mon Coca. Il avait une taille et un tonnage qui rendaient le volume de ses muscles très excessif par rapport au mien. Et puis, ce couteau qu’il tenait à la main…

Je me trouvais beaucoup trop jeune pour trépasser de cette façon et plus généralement de toute autre façon. J’ai couru dans la ruelle, slalomé entre les scooters et je me suis écorché les mains en tombant. J’ai cru qu’il allait me rattraper.

En voyant mon visage grimaçant et érubescent, la concierge a vite compris que je n’avais pas couru uniquement pour le sport.

L’horrible nuage d’angoisse qui m’étreignait s’est peu à peu dissipé.

Tout compte fait, peut-être survivrais-je.

Un rire nerveux et inextinguible me prit.

Ah ! La tête du mastard en découvrant une souris noyée au fond de sa chope !

dimanche, janvier 07, 2007

Psychanalyse

Contribution à Littéméraire

Le thème : Je vous donne une série de phrases extraites d’une nouvelle publiée et vous les intégrez dans votre récit en commençant par la première et en terminant par la dernière.
Pour cet exercice, emmenez-nous dans un univers érotique. Faites monter l’excitation et n’épargnez aucun de nos sens.
1. Il a une langue extraordinaire, Arthur. Très longue et très pointue. Et elle est chaude et humide. Je peux vous dire que ça ne me fait pas la moitié d’un drôle d’effet.
2. J’ai le corsage plutôt bien rempli. C’est drôle ce côté grosse poitrine – les mecs semblent penser qu’ils peuvent vous dire n’importe quoi.
3. Quand l’idée m’est venue, j’ai senti cette excitation au bas de la colonne vertébrale – une sorte de picotement électrique.
4. C’est dommage vraiment – oui, tout ça c’est bien dommage.

-- Il a une langue extraordinaire, Arthur. Très longue et très pointue. Et elle est chaude et humide. Je peux vous dire que ça ne me fait pas la moitié d’un drôle d’effet.

Madame Wolff ne saurait cacher qu’elle est une enfant de la capitale du choux. Elle en porte les stigmates sur toutes les parties de son corps volumineux. Il ne manque rien. J’ai devant moi une choucroute complète avec toute sa garniture : les saucisses, les jambonneaux, le lard, ... beaucoup de lard. Il n’y a que le fumet qui ne correspond pas à ce plat régional. De toute évidence, madame Wolff ne vit pas dans la crainte de se charger l’estomac ou de se corrompre l’haleine, et doit éviter de se laver les dents et les pieds, de peur de les déchausser.

Comme toutes les choucroutes, on ne saurait lui donner d’âge. Pour sûr, elle n’est pas très vieille, mais elle n’est pas de la première fraîcheur non plus. Sa chevelure frisée, relevée en torsade sur le sommet de la tête dégage sans grâce une nuque grasse. Un observateur appliqué et imaginatif, qui ne se laisserait pas distraire par les canons éphémères de la mode, pourrait trouver dans cet édifice capillaire babylonien la marque d’une recherche esthétique. Son impression serait confortée par le trait de rouge à lèvres qui souligne la moustache de la bergère.

Madame Wolff vient me voir régulièrement pour des séances de psychanalyse au grand dam de mon sens olfactif. J’écourte les séances autant qu’il est possible et les lui fais payer très chères. C’est qu’à ma connaissance, le langage humain ne possède pas d’épithètes assez vigoureux pour vous décrire la situation. Pour vous faire une idée de l’odeur qui investit mon cabinet en même temps que madame Wolff, il vous faudrait passer une semaine dans un égout, ce qui m’épargnerait une bien oiseuse et approximative description. Cette odeur m’envahit et me rend sourd. Je n’entends pas la moitié de ce qu’elle me dit.

-- J’ai le corsage plutôt bien rempli. C’est drôle ce côté grosse poitrine – les mecs semblent penser qu’ils peuvent vous dire n’importe quoi.

La vie de madame Wolff n’est qu’une forêt de gaffes. Pas étonnant que les mecs lui disent n’importe quoi. J’ai beaucoup de mérite de l’entendre réciter l’encyclopédie de ses malheurs et vicissitudes.

Tant que madame Wolff ne s’appelait pas madame Wolff, ça n’allait pas encore trop mal pour elle. Elle évoluait dans de chaudes moiteurs campagnardes et le soir, après le dur labeur des champs, de longues effluves musquées montaient des profondeurs de son corsage, dans lequel transpirait son corps sage, trop sage. Chaque fois que de languissant soupirs soulevaient son énorme poitrine (fumée), il se dégageait du sillon de ses mamelles sudoripares une senteur enivrante, qui la suivait dans ses déplacements, comme l’écume poursuit le navire.

Sa rencontre avec Monsieur Wolff marqua le début de son naufrage. Tant que l’animal se trouvait contre le vent, il ne prêta pas attention à la mamelue, mais un jour, par un brusque retour de brise qui lui décapa les sinus, il aperçut les protubérances mammaires et cela lui rappela sa mère. Un homme ne recherche t’il pas une mère en toute femme ? En rencontrant cet imposant rouleau de printemps, il sentit que sa destinée allait sortir de l’hiver, qu’il allait enfin connaître les authentique fragrances de l’humanité, les féroces odeurs de grasses vaisselles et d’aisselles grasses.

J’ai immédiatement compris, dès le début des séances, que cette femme de caractère, avec le poids de ses arguments mamillaires, n’avait pu débusquer qu’un fauve. Attiré par l’haleine de la brebis, l’“ homo lupus ” était sorti du bois. La bête du Gévaudan existe, elle s’appelle Arthur. Un jour qu’il vit la plantureuse fille s’approcher de lui, avec son corset trop serré qui rejetait jusque dans son double menton la masse fluctuante de sa poitrine surabondante, Arthur, qui avait hiberné fort longtemps, se dit que cette fille là pourrait faire une confortable moitié. Il se jura qu’elle n’appartiendrait jamais à un autre homme qu’à lui-même et qu’elle s’appellerait un jour Madame Wolff. Quand elle lui fit les honneurs de son corps et lui dévoila son hangar à fourrage, il n’hésita pas un instant à tomber son grand froc et à hisser son grand foc.

Puis les choses se compliquèrent. Elle voulut l’attacher sur le lit. En soufflant une haleine fétide que j’ai du mal à esquiver, elle précise, elle détaille, .elle souligne.

-- Quand l’idée m’est venue, j’ai senti cette excitation au bas de la colonne vertébrale – une sorte de picotement électrique.

La proximité permanente d’une choucroute nymphomane a probablement perturbé l’entendement d’Arthur et son rythme de travail. A vouloir trop entreprendre en même temps et sans trier sa clientèle, il a épuisé son crédit. C’est bien connu : les exploitants sont exploités. Sept longues années de liquidation judiciaire ont alors commencé.

-- C’est dommage vraiment – oui, tout ça c’est bien dommage.

Madame Wolf fait partie de ces gens dont il faudrait pouvoir éviter le contact. Vous ne pouvez rien pour elles. Elle est venue exposer ses problèmes. Ses problèmes sans solution. Toute esquisse de solution ne peut que débusquer un autre problème, un empêchement, une complication, un obstacle. Madame Wolff est l’incarnation de la contrariété, de l’objection et de l’embarras. Elle collectionne les pépins, les os et les épines comme d’autres, les timbres ou les épinglettes. Sa vie n’est qu’une erreur, et tout ce qu’elle a pu faire ou apprendre n’a pas fait progresser son bonheur d’un pouce. Elle se noie, se débat dans l’eau et se met à crier :

-- Help ! Help ! Help me ! Help me !

J’ai envie de lui dire qu’au lieu d’apprendre l’anglais, elle aurait mieux fait d’apprendre à nager.