mercredi, juillet 27, 2022

Pourquoi ?


Ceux de mes lecteurs qui ne laissent pas tout filer vers l’égout de l’oubli, ceux à qui il reste un soupçon de mémoire, qui ont échappé au suicide, à l’AVC, la déprime et à Monsieur Alzheimer, se souviendront certainement de ce petit homme frisé qui avait fait un discours argumenté sur ce qu’il appelait « La Krise ». Nous étions en 2020. Il avait ratissé large, le bougre. Il semblait qu’il avait fait le tour de la question en évoquant la crise économique, la crise sanitaire, le chômage, la pandémie, la dette abyssale, le terrorisme, les suicides à la chaine, etc. etc. Il pavanait, enfonçait le moral des troupes et des bonnes volontés en dressant le bilan catastrophique de l’armée, de l’enseignement, de la sécurité, des hôpitaux et de bien d’autres choses encore. Mon Dieu, qu’étions-nous devenus ? Qu’allions-nous devenir ? Un pays en voie de développement ? Non; Pire que cela : un pays en régression, en décadence, en perdition…


Le petit frisé ménageait ses effet en pensant à la solution-miracle qu’il allait sortir de son chapeau. La mémoire vous revient peut-être ? Le petit homme frisé avait LA solution, une technique infaillible qui avait fait ses preuves. Il l’avait même déclinée dans toutes les langues et les idiomes, remontant à l’époque romaine au cours de laquelle on parlait d’infectum digito technica, la très fameuse « technique du doigt mouillé » ! Depuis ce temps-là et face à l’aggravation de la situation, il ne cessait de recevoir des courriers et des courriels qui lui posaient toujours la même question : Pourquoi ? 


Pourquoi la technique du doigt mouillée n’avait pas fonctionné ? Était-ce dû à la sécheresse ? Ah ! S’il avait su que le jour de sa conférence sur « la Krise », un homme au fond de la salle avait la réponse à ce pourquoi. Alors il aurait été plus prudent, moins catégorique, plus nuancé. Il aurait su que la liste de ses catastrophes annoncées n’était pas exhaustive et même très partielle malgré les horreurs qu’elle laissait déjà entrevoir.


En effet, ce jour-là, au fond de la salle, un petit homme rabougri, dont on apprendra plus tard, dans l’épisode quatre de la saison trois de cette saga infernale, qu’il s’appelait Nyalarpoupet, riait sous cape. Une cape noire, frangée, très ample et aux poches insondables dans lesquelles il dissimulait ses mains palmées. Les rares personnes qui se vantaient de connaître cet individu à l’allure inquiétante, prétendaient qu’il s’agissait d’un détective privé engagé par la femme du petit homme frisé, pour le suivre. Nyalarpoupet ne cherchait pas à les détromper. Ces prétentieux ignoraient que son chapeau anthracite aux larges bords relevés cachaient des oreilles pointues et que ses petits yeux rouges et brillants pénétraient le cerveau du faux prédicateur frisé, et analysaient la bouillie qui s’y trouvait et s’épanchait en logorrhée visqueuse.


Le petit homme frisé mentait. La technique du doigt mouillé ne fonctionnerait pas. Il mentait aussi par omission. Il n’avait pas parlé de la guerre, inéluctable, ni des régressions multiples comme le retour aux dictatures, l’interdiction de l’avortement, les famines et l’absence de moutarde dans les rayons de l’Intermarché.


Nyalarpoupet, dont les oreilles pointues et les doigts palmés pouvaient laisser croire au lecteur qu’il venait d’une galaxie lointaine, n’avait rien à voir avec les extra-terrestres des romans de gare. Il n’était pas arrivé là dans une soucoupe volante ou tout autre engin non identifié. Non, Nyalarpoupet venait tout simplement du futur.


mercredi, juillet 06, 2022

Journal d'un curé de campagne

 


Mercredi 7 mai 1958


Quand je pense que j’ai choisi la prêtrise parce que l’on m’avait expliqué en grec, en latin et en français, que l’homme était une bête méchante et stupide, et que l’amour était une cochonnerie. J’avais des organes et l’on m’a fait comprendre qu’il était honteux de s’en servir ! Je vivais dans la terreur du sexe. Ô femme, femme ! Je sentais que plus tôt on supprimerait ce sexe, mieux nous nous en porterions tous ! Et puis, j’ai toujours eu une attirance pour les silences troublés de chuchotements de sacristies et de confessionnaux. Sans doute ce côté voyeur refoulé au fin fonds de mon subconscient.


Je peux bien te l’avouer, cher journal, c’est lorsque l’évêque m’a lâché sur les âmes de ce petit village, que tout a basculé et que j’ai commencé à glisser du monde des innocents dans celui des initiés. Il est d’apparence coquet et on lui donnerait le Bon Dieu sans confession, mais il fait partie de ces villages sordides où grouille une humanité bestiale. Il regorge de paillardes hypocrites et chattemites, obsédées de préoccupations obscènes. Mmm… Ils ont tous « Ignis in ano » !



Jeudi 8


La Cathy est revenue se confesser. C’est une diablesse ! Comment vais-je résister longtemps ? Seigneur, je vous en supplie, aidez-moi !


Elle a l’œil d’un poisson mangeur d’hommes et maîtrise parfaitement l’art de la persuasion. C’est la créature la moins terrienne que je n’aie jamais rencontrée. Toutes les pénitences que je lui inflige n’obtiennent aucun résultat. Elle dort chaque nuit toutes fenêtres ouvertes, au cas où un cambrioleur lubrique aurait le bon goût de lui rendre les vertiges de ses seize ans. Elle prend un malin plaisir à me décrire ses cabrioles sans m’épargner le moindre détail. Je n’ai même pas à lui poser de questions comme je le fais avec mes autres ouailles afin d’ajuster au plus près la pénitence à effectuer.


Aujourd’hui, elle m’a dit avoir pratiqué la position du lapin frétillant dans la tanière de velours. Elle m’a révélé en outre, le secret de la toile d’araignée capturant le ver à soie, et comment rosée et pluie ruissellent au printemps. Elle m’a détaillé, la bougresse, le baiser foudroyant de la Licorne et l’ascension du pic des Dieux.


Elle voulait absolument m’expliquer la position du Hanneton soulevant une Citrouille, une variante plus téméraire du fameux Gecko accroché à la Poutre, mais je l’ai interrompue. Je n’en pouvais plus. J’ai crié grâce. Mon pouls jouait le boléro et j’étais dans un état de cire fondante, comme les cierges placés devant la statue de la soeur de Saint Vincent-de-Paul. Celle qui a les yeux morts et les bras glissés dans ses manches. La vue permanente de son décolleté affolant à travers le grillage du confessionnal m’a provoqué une quinte de toux qui m’a gonflé le cou à en faire sauter mon col blanc et m’a complètement embué les lunettes. Ah, la garce !



Vendredi 9 mai


Les temps sont mauvais… De toutes parts, la société craque, la religion s’effondre. Tout se désagrège et pourrit… Partout, la déroute, l’affolement, le vertige du sauve-qui-peut !… Des générations abominables se préparent.


Mon église est normande mais l’intelligence de la plupart des indigènes de mon village est paléolithique.



Samedi 10 mai 1958


Aujourd’hui, j’ai reçu en confession Henri-Théodule. C’est un homme d’une soixantaine d’années, vaniteux, solennel et stupide. Irréparablement, malgré les pénitences que je lui inflige. Il a décidé une fois pour toute qu’il consacrerait le reste de son existence à la belle vie et les plaisirs interdits. Et bien je peux t’affirmer, cher journal, que si dans un village il y a quelque chose de pire que le feu dans une vieille grange, c’est assurément l’amour chez un vieil homme.


Ah, je sais bien que s’il trouve des proies, c’est parce qu’il est châtelain. Ce n’est certes pas grâce à son physique. Il est petit, très laid, les yeux fourbes et la bouche dédaigneuse. Son visage est empâté sous l'influence d'une gloutonnerie permanente et lorsqu’il lève la tête, on dirait le dessous d’un poisson mort.


Certes, je suis le premier à comprendre qu’un homme, comme l’est Monsieur le duc, a besoin de temps en temps de placer quelque part le trop plein de ses affections à rien faire. Moi-même, de temps en temps, je suis heureux de retrouver la petite fille qui joue de l’orgue. Mais, nom de Dieu, je ne m’en vante pas !


Henri-Théodule ne cesse de bomber le torse parce qu’il fait son affaire à Carmen, la belle boulangère dont la boutique, grâce à ses yeux, à sa belle mine polissonne, et surtout à ses miches et sa peu farouche vertu, fut très promptement achalandée. Auprès de Carmen, la femme de Feu n’est qu’un pâle iceberg ! Lorsqu’elle présente au duc l’ardente fleur de sa beauté sexuelle, qu’elle s’offre, lascive, effrénée, aux curiosités et aux emportements de sa luxure, Henri-Théodule avoue que son membre indique midi pile.



Dimanche 11


Je leur ai fait un sermon à tout casser. J’ai abandonné les commentaires de l’évangile du jour quand j’ai entendu un énorme rire imbécile, à la fois hyénesque et sarcastique, qui me fit l’effet du grincement d’une craie sur un tableau noir, et faillit me fendre le tympan en deux. Ça m’a mis dans une colère noire (noire-corbeau évidemment). J’ai commencé par dire que ceux qui se permettent de rire en pleine messe ne pourront plus le faire au purgatoire ou en enfer, et je leur ai expliqué longuement ce que je pensais des gens qui ne savent pas tenir leurs pieds tranquilles et leur bouche cousue pendant le sermon.


Je leur ai dit que si le bon Dieu nous avait fait des genoux, c’était pour que nous nous prosternions et que les premiers rangs n’étaient pas réservés à quelques ladies jacassantes aux échines fléchies sous les effets conjugués de la foi et de l’arthrose. Ma remarque a un peu choqué les demoiselles Goncourt qui occupent toujours le premier rang, deux vieilles filles, riches et dévotes, grosses et puantes. Toutes deux sont vêtues de même façon, toutes deux sont pourvues d’un goître monstrueux. Je ne les supporte que parce qu’elles sont généreuses à la quête et participent largement à la réfection du clocher de l’église.


Kobold


Épuisés autant que nos chevaux par quatre jours de galop effréné, nous sommes arrivés au château de Baltimor à Moilneux, dans le Péril-gore gris pâle, le jour de la Saint Innocent.


Je tiens à rassurer ceux qui seraient chagrinés de n’avoir jamais vu le château de Baltimor à Moilneux. Ils sont chanceux car c’est un château qu’il est préférable de n’avoir jamais vu, tant il est lugubre, sombre et inhospitalier. Perdu au milieux de marécages infestés de serpents et de crapauds venimeux, on ne voit l’enchevêtrement de ses sinistres tourelles et donjons, reliés par d’improbables ponts suspendus, que lorsque les nappes de brouillard qui l’entourent s’effilochent quelques instants sous l’assaut de bourrasques de pluie ou de grêle.


Nous fûmes reçus par un majordome grincheux et irascible, sans doute aigri par une enfance difficile suivie d’une existence douloureuse, qui se servait du crochet de sa main gauche pour dompter sa jambe de bois qui avait tendance à glisser sur les pavés humides.


Après qu’il eut examiné très attentivement nos laisser-passer ainsi que nos multiples recommandations et états de services, à l’aide de bésicles en bois empruntées à un moine copiste borgne, il nous dit que Kobold allait nous conduire jusque’à l’instructeur chargé de nous transmettre les directives inhérentes à nos missions respectives.


Il appela Kobold avec une telle force que l’échos de son nom, bold, bold, bold, résonna dans les couloirs, corridors et galeries du château de longues minutes suivies de quelques secondes particulièrement brèves, juste le temps pour Kobold de nous rejoindre.


Kobold était un nain étrange, de forme rabougrie, avec des habits bariolés agrémentés de grelots, un bonnet rouge sur la tête. Honoré par les lingères, les servantes et les cuisinières du château, qu’il honorait en retour, il rendait de nombreux services, étrillait les chevaux, tenait les cuisines en bon ordre et veillait à tout. Très susceptible, il versait du poison ou du sang dans les plats de ceux qu’il soupçonnait de s’être moqué de lui ou lui avoir manqué de respect. S’il s’agissait d’une femme, il l’honorait doublement, mais sans ménagement.


Notre mission consistait à assurer la surveillance du château. Nous étions chargés d’écouter tout ce qui se disait ou murmurait dans les deux cents pièces et trente donjons, sans oublier les vingt-huit oubliettes. Nous devions remplacer les caméras de surveillance et les micros dissimulés derrière les tableaux avant l’invention de l’électricité. Tous les soirs Kobold attendait notre rapport, une fiole de poison ou de sang dans chaque poche.


De jour comme de nuit, nous errions dans les couloirs du château, toujours aux aguets, l’oreille tendue et le regard affuté, dans l’humidité et les courants d’air qui nous enrhumaient et éteignaient fréquemment nos torches et candélabres. Nous avions un code secret de reconnaissance qui était houuuu ! houuuu !


Les paysans de la région croyaient que le château était hanté. Mon Dieu, sont-ils bêtes !