mercredi, mars 04, 2009

Le retour du prédateur

Alors que je venais de m’effondrer dans mon fauteuil à bascule pour regarder le journal de vingt heures, je reçus un coup de sonnette d’une violence telle que mes trompes d’Eustache exécutèrent un double salto arrière.

Outre la menace d’une terrible céphalée, j’en fus d’autant plus contrarié que l’annonce du retour d’un prédateur arrivait précisément sur le tapis de l’actualité ; or, c’est un sujet qui m’a toujours beaucoup intéressé.

Je dois indiquer ici, pour la bonne compréhension du récit, que, depuis ma plus tendre enfance, je collectionne tout ce qui a trait aux prédateurs, quoiqu’ils prédatent.

Après avoir exécuté deux pas de rock et quelques cabrioles pour m’extraire de mon rocking-chair, je courus ouvrir pour mettre fin au vacarme, tant ma porte risquait le dégondage par tous ces tambourinements et tambourinages.

Un Chinois borgne au visage vérolé et au sourire maléfique et stupide se dressait devant moi.

Sa silhouette se dessinait sur la campagne sombre et muette et il avait l’air d’un de ces monstres à la hache ou à la tronçonneuse qui se promènent partout en massacrant à tour de bras. Méduse en personne ne m’aurait pas mieux pétrifié.

L’atmosphère du vestibule se chargea d’un parfum d’inhumanité. Si ce n’était pas un prédateur que j’avais là sous les yeux à l’instant présent, c’est que je ne savais pas en reconnaître un quand on me le présentait sur un plateau.

Sous le choc j’avais un peu emmêlé ma langue dans mes amygdales et ne parvenais pas à émettre le moindre son, éprouvant comme une désagréable impression d’étouffement.

Le prédateur me toisa de haut en bas de son œil froid et chassieux.

Je suis Li Moon, dit-il d’un ton goujateux.

Qu’il ait un nom synonyme de citron et de boue ne m’étonna pas.

Parvenant à refaire surface au bout d’une courte éternité, je pus enfin lui répondre avec un filet de voix plus discret qu’une fuite de gaz.

Vous êtes donc de retour.

Il fit celui qui ne comprenait pas et ajouta :

Vous avez bien commandé une pizza ?