mercredi, décembre 02, 2009

La lettre

─ Jean-Paul ! La lettre que tu attendais est arrivée !

J’étais au fond du jardin en train de biner et j’eus tôt fait de planter là mon binage inutile. De toute manière, ce n’était pas la saison pour biner. Je lui avais dit : On ne bine pas en automne mais au printemps ou en été. C’est vrai, quoi, il est préférable de biner un jour de soleil quand la rosée s'est évaporée, et pas un jour de pluie, quand les feuilles se ramassent à la pelle. Mais allez lui faire comprendre ça !

J’ai vu la lettre immédiatement en pénétrant dans la cuisine.

─ Essuie tes bottes me dit ma mère, comme s’il n’y avait rien de plus important, même le jour où la lettre arrive enfin.

Elle était là sur la table, adossée à un pot de confiture de groseille et semblait m’appeler.
C’était bien celle que j’attendais. Je l’aurais reconnue entre mille. Elle utilisait toujours les mêmes enveloppes à fenêtre. Une coquetterie qui me la rendait si familière. C’était un peu comme si elle me guettait derrière les vitres et me disait : tu vois, je suis là. Je ne suis pas dans tes bras, hélas, mais ouvre l’enveloppe et cela nous rapprochera. Je t’aime tellement. Je ne peux rien faire sans toi.

Je saisis l’enveloppe mais ne l’ouvris pas tout de suite. Il est des instants dont il est si bon de suspendre le vol, comme dit le poète. Je la portai à mon visage, à la recherche de son parfum subtil que je reconnus immédiatement. Ah ! Comme c’est bon de recevoir une lettre. Tous ces e-mails qui inondent nos BAL électroniques nous privent d’un plaisir irremplaçable.

N’y tenant plus, j’ouvris délicatement l’enveloppe avec le couteau posé sur le pot de confiture.

Je le regrettai aussitôt car de la confiture de groseille encolla la belle missive – deux pages écrites recto-verso – Non, vraiment, elle ne s’était pas moquée de moi.

Je lus attentivement les parties sans confiture. C’était incroyable. Je n’en revenais pas. Je relus plusieurs fois pour m’assurer que je n’étais pas le jouet d’hallucinations. Tout semblait normal cependant.

Ma mère s’était rendu compte que j’avais les yeux sortis de la tête comme ceux d’un escargot.

─ Que t’arrive-t-il ? Me dit-elle. On dirait que tu as reçu un grand coup de chaussette remplie de sable mouillé dans la figure. Tu verrais ta binette !

─ Laisse ma binette au fond du jardin, répondis-je vertement. La taxe d’habitation a augmenté de huit pour cent !