vendredi, décembre 22, 2006

Conte de Noël

Contribution à Littéméraire

Le thème : Un conte de Noël

Malgré la morosité ambiante, mille déceptions de toutes sortes et une pollution à faire fondre le pays du Père Noël, je veux bien vous dire un conte de Noël pour sacrifier à la tradition.

Dieu sait que je suis très méritant car mon emploi du temps est si chargé actuellement que je ne trouve plus un moment de la journée pour m’apitoyer sur mon sort.

Je ne puiserai pas dans le stock poussiéreux des vieux contes rabâchés à longueur d’hivers pour faire écarquiller les yeux des petits enfants.

Avez-vous remarqué comme l’écarquillement d’yeux est fréquent chez les enfants à cette époque de l’année ?

Non. Mon histoire – absolument véridique en tous points – ne date que de l’année dernière.

Plus d’un, parmi le public d’élite qui me fait l’honneur de me lire, se souviendra qu’il a reçu cette année-là ses cadeaux avec un certain retard.

Tout a commencé lorsque le Père Noël est arrivé au manoir de Portepleine, un vieux castel presque en ruines, dont le propriétaire, un ancien colon prénommé Ferdinand, broie une quantité assez considérable de noir en constatant quotidiennement les fuites de sa toiture et de sa vessie.

Il était attablé dans la grande salle des banquets, entouré de sa famille constituée de parasites et de pique-assiettes qui attendaient son trépas, ainsi que de sa domesticité composée des congolais Banania, Fetnat et Bienvenue.

Tout le monde avait triste mine devant l’énorme cheminée moyenâgeuse qui dégorgeait plus de vent et de fumée que de chaleur et dont la flamme projetait des ombres suspectes sur les murs suintants du château aux allures de cathédrale. On entendait résonner parfois sur les froides dalles des corridors l’écho lointain de pas qui se rapprochaient d’abord pour s’éteindre ensuite dans le lointain. Même les fantômes étaient tristes et c’était fantastiquement lugubre et désolant.

Aussi, pour que leur réveillon de Noël ne ressemble pas à un repas d’enterrement à l’île du Diable, ils diluaient leurs idées noires et cafardogènes dans le vin blanc qu’ils buvaient par petites gorgées mais à des intervalles effroyablement rapprochés et à des doses qui n’avaient rien à voir avec la doctrine homéopathique.

Lorsque le Père Noël enjamba la haute cheminée mal entretenue, l’atmosphère commençait à se détendre doucement quelques mètres plus bas avec l’énumération de proverbes d’inspiration très en-dessous de la ceinture : Pet d'argent, n'est pas mortel. Qui pisse loin, ménage ses pompes. Quéquette en décembre, layette en septembre. Gourdin du matin, pipi sans les mains etc.

Encore ébloui par les flashs des radars qui bordent actuellement tous les chemins français, le Père Noël glissa sur une pierre mal scellée et arriva en bas de la cheminée dans un nuage de poussières et de suie, bientôt suivi par le contenu de sa hotte.

Aucun ramoneur, même le plus dévoyé, ne fut jamais aussi noir que le Père Noël au moment de son atterrissage au château de Portepleine. Pour sûr qu’on l’avait déjà vu dans des situations plus avantageuses.

Les traits de Ferdinand arborèrent à l’entrée tumultueuse du Père Noël l’expression polie mais réservée de l’antilope en présence du gorille africain. Sous l’effet de la surprise, sa bouche s’ouvrait et se fermait comme celle d’un poisson rouge qui voit un autre poisson rouge lui choper l’œuf de fourmi qu’il s’était destiné.

Il est possible que quelques individus aient pu avoir un air plus idiot que Ferdinand de Portepleine à ce moment précis, mais aucune des personnes présentes n’en avait jamais vu.

Réalisant subitement que ce gorille-là était le Père Noël, il frémit comme un ventilateur électrique, se débattit un moment avec ses cordes vocales qui semblaient tout emmêlées et se précipita à la rencontre de l’animal en bafouillant quelques sirupeuses excuses, la face emmiellée de son plus obséquieux sourire.

C’est que l’on a déjà vu des Pères Noël remporter leurs cadeaux pour moins que cela.

Se sentant responsable de l’état dans lequel sa cheminée avait mis le Père Noël, il accompagna le gorille quelque peu groggy jusqu’à un siège et lui offrit un verre de « réveille-morts », boisson qu’il réservait habituellement aux personnes mortes depuis moins d’un quart d’heure et aux chevaux qui ne tiennent plus à la vie que par un fil.

Tout se passa dans la tête du Père Noël comme si les trompettes de la mort annonçaient un jugement Dernier d’une exceptionnelle rigueur. Des feux de joie s’allumèrent dans tous les coins de sa carcasse. Son abdomen s’emplit de lave brûlante et il lui sembla qu’un grand vent venu de la cheminée balayait le château. Ses oreilles bourdonnèrent violemment, ses yeux tournèrent dans leur orbite et ses épais sourcils furent agités de tics nerveux.

Je ne dirai pas qu’il devint instantanément noir puisqu’il l’était déjà mais il est certain que la distribution des cadeaux ne lui parût plus une priorité absolue.

Tout le monde voulut goûter le « réveille-morts ». Même Banania, Fetnat et Bienvenue.

Ce qui advint, vous le devinez, subtils lecteurs, et vous aussi, lectrices astucieuses.

La grande salle des banquets du château de Portepleine fut rapidement mis dans un état analogue à celui où devait être le monde avant sa création, durant le règne du chaos. Les fioles d’un liquide de plus en plus béatifiant se succédèrent. Les convives se transformèrent en pompes aspirantes et bientôt ils eurent tous les dents du fond baignant dans un détonant mélange d’alcools. On se donnait de grandes claques dans le dos et les explosions de rires et de sentiments généreux fusaient de toutes parts.

Naturellement, tout le monde voulut jouer au Père Noël. On essaya ses habits et on se mit à ouvrir les cadeaux éparpillés sur le sol. On chanta « Mon beau sapin » et « Petit papa Noël » avant de s’endormir brutalement.

Encore conscient de ses responsabilités, Ferdinand, aidé de quelques survivants qui n’avaient pas glissé sous la table, tira le Père Noël jusque sur son traîneau et fouetta les rennes qui le ramenèrent dans sa maison. Je me garderai bien ici de vous dire où se trouve cette maison, de nombreux pays en revendiquant la propriété.

Tard dans l’après midi du vingt-cinq, le Père Noël commença à émerger des vapeurs provoquées par le « réveille-morts » et autres spiritueux.

Il se dit qu’il était temps de finir sa tournée et entama un brin de toilette, ne pouvant rester dépenaillé et noir comme il était.

Mais il eut beau frotter et frotter encore, il restait toujours aussi noir.

Ferdinand s’était trompé de Père Noël.

vendredi, décembre 08, 2006

Les embouteillages

5 ème contribution à Obsolettres

Le thème : Ecrivez un texte où le ou les protagonistes se trouvent dans un embouteillage.

Paulo râlait tout seul dans sa voiture coincée au milieu du gigantesque embouteillage.

- Marre de ces grèves SNCF qui nous pourrissent la vie.

Il était loin d’imaginer à quel point il avait raison en prononçant ces paroles et ouvrit la radio pour passer le temps.
Clic – « … venez d’entendre la cinquième symphonie de… bizzzzz… criouïïïc… l’ouverture de France 24 que vous pouvez désormais visionner sur intern… tiouuuuiiiit… ise en examen par… chchchch… midables embouteillages qui paralysent toute la région … »
Paulo monta le son.

Après quelques mètres, la voiture fut à nouveau immobilisée.
Toc, toc, toc.
Une ombre noire tapait sur la vitre passager de son véhicule.
- Je vous prie de m’excuser. pourriez-vous m’emmener jusqu’à l’église du Christ Saint Sauveur ?
- Mais certainement, mon Père, montez seulement.
- Merci mon fils. Figurez vous que ma voiture est tombée en panne d’essence. Je pensais pouvoir me rendre jusqu’à la prochaine station service, mais avec ces embouteillages, j’ai vidé complètement le réservoir et j’ai du la laisser au bord de la route.
- Ah, ne m’en parlez pas ! Actuellement, c’est tous les jours comme ça. A cause des grèves de la SNCF.

Paulo jeta un rapide coup d’œil à la dérobée sur l’homme en soutane. Ce curé là était bizarre. Il en avait peu vu avec un nez aussi turgescent et une boucle d’oreille. Un curé de quartier ouvrier, se dit-il. Aujourd’hui, on voit des curés à la télé en blouson de cuir et cheveux longs. Les temps ont bien changé. Celui-ci avait l’air jovial.

Paulo s’énervait sur les touches de présélection de son autoradio
- Ah, les infos qui se répètent tous les quarts d’heures, on se lasse au bout d’un moment !

Clic – « vous n’avez pas le montant de la val… crrrrrr… »

- Ce poste marche mal. Je me demande ce qu’il capte. Je pensais qu’il se réglait automatiquement. J’ai encore été volé sur la marchandise.

Clic – « vous propose à présent le troisième mouvement bizzzzzz… »

- Décidément, il n’y a que le canal des infos qui fonctionne à peu près.

Clic – « Sept heures trente, nos rappels de l’actualité… »

- Connaissez-vous l’église du Christ Saint Sauveur, mon fils ?
- Naturellement, mon Père, je passe devant pour aller au travail.
- Alors, vous connaissez le raccourci en passant par la rue des Moufetards ?

« …pête accompagnée de fortes pluies et de violentes rafales a traversé vendredi la Fran…"

- Ah, tiens, non, ça. La rue des Moufetards, dites-vous ?
- Oui, une rue tranquille qui n’est certainement pas engorgée de voitures. On pourrait gagner quelques minutes.
- Ah, ben, c’est pas de refus. Dites-moi où elle est, dès qu’on l’aperçoit.
- Et bien, justement, vous pouvez la prendre, là, à cent mètres sur votre droite.
- Parfait ! exulta Paulo avec un certain soulagement.

« Un flash de dernière minute. Patrick Bourdayanne, dit « Le curé de campagne » s’est effectivement évadé du Centre psychiatrique de Saint Ylie. Nos correspondants nous le confirment »

- Mince, qu’est ce que fout ce camion de livraison en travers. Il y en a qui ne s’embêtent pas.

« … Le curé de campagne est un psychopathe extrêmement dangereux souffrant de troubles graves de la personnalité en cas de contrariétés… »

- Mais regardez, mon fils, on ne va pas y arriver. Regardez-moi ce con ! Mais c’est pas possible. Est-ce qu’il va dégager, nom de Dieu.
- Mon père, je vous en prie, ne blasphémez pas !

L’abbé tourna la tête vers Paulo. Ce dernier n’avait jamais vu un visage humain passer plus subitement du plaisant au sévère. L’abbé devint subitement un être antipathique au dernier degré, patemment hargneux et un répugnant furoncle qu’il avait sur le front se mit à mûrir brusquement.

« … L’homme a des tendances anthropophagiques perverses qui l’ont amené à commettre par le passé toute une série de meurtres particulièrement atroces. Sa maladie est incurable à ce jour et la récidive est à craindre fortement… »

Le faciès de l’abbé continuait de se déformer au point que cette fois la simple vue de son regard aurait mille fois suffi à jeter l'épouvante dans les rangs d'un bataillon de légionnaires parachutistes.

« …Après avoir assommé ou poignardé sa victime, il la dévore immédiatement… »

L’éclair d’une lame surgie de nulle part brilla dans la main de l’abbé.

« … l’individu est d’autant plus dangereux qu’il est intelligent et courtois et se dissimule sous l’habit du prêtre… »

Elle disparut entièrement dans l’abdomen de Paulo qui dit : « Ho ! »

« … la population est donc invitée a observer la plus grande vigilance et à prévenir la gendarmerie si elle aperçoit cet indiv… ».


Qui suis-je ?

Contribution à Littéméraire

Le thème : Vous êtes assis(e) sur un banc dans un parc, soit en train de fumer, soit un livre à la main, mais dans les deux cas l'esprit ailleurs (à quoi pensez-vous ?). Une personne vient s'asseoir près de vous et vous demande soudainement "Qui êtes-vous ?" Libre à vous de répondre comme vous prenez cette question, simplement ou philosophiquement..."



J’étais là, tranquille. Assis sur un banc. Oui, c’est ça. J’étais assis sur un banc, dans un parc. Je ne me souviens plus du nom de ce parc, mais c’était un parc. Et j’ajouterai pour les inquiets, les soucieux, les tourmentés, les insatisfaits et les perfectionnistes que le nom du parc n’a absolument aucune importance pour la bonne compréhension de ce qui va suivre. Non, les causes de l’incompréhension seront beaucoup plus profondes. Croyez-moi sur parole. Mais, je n’en dis pas plus à ce stade (Je viens à peine de commencer) pour préserver le suspens de cette histoire qui, je l’avoue bien volontiers, est assez insoutenable. Le suspens, pas l’histoire.

Quoique.

Donc, j’étais là, assis tranquillement, en train de fumer, lorsque… Non, je ne fumais pas. Cette aventure (Car c’en est une. Hou ! La la, oui.), cette aventure, dis-je, m’est arrivée il y a un mois ou deux et voilà quinze ans que je ne fume plus. Donc, je ne fumais pas. C’est impossible. Des fois, je vous jure. Enfin, c’est ainsi et je n’y peux rien.

Où en étais-je ? Si vous cessiez de m’interrompre à tout moment, j’aurais plus de suite dans les idées. Ah, oui. Je ne fumais pas (évidemment), je lisais. Ou, plus exactement, je tenais un livre à la main. Non, ça, je ne lisais pas. C’est impossible. D’ailleurs je ne sais plus lire depuis quelques jours, mois, années. Enfin, depuis pas mal de temps. Je ne sais plus exactement. Et je me demande encore pourquoi je tenais ce putain de livre. Parce que pour un putain de livre, c’était vraiment un putain de livre. Incompréhensible. Enfin.

Donc, charmantes lectrices et lecteurs perspicaces, je pense qu’à présent, vous situez bien la scène, le banc, le parc, le (putain de) livre… Je vous ai brossé le décor, faute de mieux. Je continue.

Dans toute cette histoire, la seule chose absolument certaine (quand j’y repense), c’est que j’avais l’esprit ailleurs. La tête dans les étoiles, si vous préférez. Ce terme est plus approprié car je pensais précisément à ces astronautes que l’on entraîne actuellement en Russie et aux zussas pour voyager dans l’espace. Imaginez qu’on les entraîne pour vivre plusieurs années dans l’espace ! Si, si, il faudra plusieurs années pour aller sur Mars. Moi, j’y étais déjà.

Pour faire court – j’en vois qui baillent – mon cul était sur le banc mais ma tête était sur Mars. Et si quelqu’un me parle ici du champ de Mars, je le sors ! Faut suivre un minimum, car c’est là que l’inimaginable s’est produit. Tenez-vous bien.

Une personne est venue s’asseoir près de moi et m’a demandé qui j’étais.

Inouï. Je vous avais prévenu.

Evidemment, j’étais très absorbé. Contrairement aux apparences, j’étais très loin du banc. Je n’ai pas vu arriver cette personne. Elle m’a eu par surprise. Je ne sais pas non plus combien de fois elle m’a posé la question avant que je l’entende. J’étais vraiment très très loin. Toujours est-il qu’à un moment donné j’ai distinctement entendu « Qui êtes-vous ? ».

J’en vois plus d’un qui écarquille les yeux et n’en croit pas ses oreilles, mais je jure que je n’invente rien. Ca s’est passé exactement comme ça et je ne fais présentement que brandir la torche de la Vérité.

D’ailleurs, vous dire que cette personne, en me posant la dite question, me serra la main, serait demeurer bien en dessous de la Vérité. Il fit de ma main je ne sais quelle purée sanguinolente.
Bien qu’il fût un peu plié en zigzag sur le banc, je lui prêtai bien deux mètres avec les intérêts qui vont avec. Oui, certainement plus de deux mètres drapés dans une longue blouse blanche qui lui arrivait jusqu’aux pieds. Et encore, je ne suis pas sûr que vous appelleriez cela des pieds. On avait l’impression que la Nature avait eu l’intention de faire un gorille et avait changé d’avis au dernier moment.

Mais attention, en vous décrivant cette personne comme un gorille, vous allez peut-être penser à un gorille de taille normale. En fait, j’avais là, assis à côté de moi sur le banc, le modèle super-économique.

Il interrompit donc mes rêveries avec cette brutalité grossière qui est la caractéristique principale des gorilles humains.

Je dois également sacrifier sur l’autel de la Vérité que cette personne avait dans son regard un pouvoir hypnotique aux effets apaisants.

Je ne vous cacherai pas, en effet, que dans un premier temps (très bref) j’ai été pris d’une forte envie de lui faire passer la colonne vertébrale à travers son chapeau, mais j’ai senti dans son regard que mon tonnage était tout à fait insuffisant pour me permettre de le défier et que mes organes internes étaient susceptibles de se transformer rapidement en macédoine ou en hachis parmentier.

J’ai par conséquent décidé de lui répondre, d’autant plus que j’avais toute liberté pour lui répondre simplement ou philosophiquement. C’était au choix. J’ai immédiatement opté pour la simplicité et je lui ai dit « Qui êtes-vous vous-même ? ».

Il m’a dit qu’il était l’infirmier et qu’il me ramenait à l’asile.

mardi, novembre 28, 2006

J'ai fait un rêve

49ème contribution à Impromptus littéraires

Le thème : J'ai fait un rêve (le texte doit comporter 200 mots exactement)

La nuit dernière, j’ai refait le même rêve. Encore et toujours. Je sais bien que l’on ne se souvient pas de ses rêves, mais celui-ci fait exception. Il est éreintant, désespérant et angoissant. Il me fait courir et chercher sans fin, jusqu’au réveil.

Quand je dis que c’est toujours le même rêve, je ne veux parler que de son thème. En revanche, l’action change. Le lieu aussi.

De grâce, si vous savez interpréter les rêves et connaissez la signification de celui-ci, parlez.

Une fois, cela se passait dans un village très pentu, avec des tas de petites ruelles qui se ressemblaient toutes. Une autre fois, l’action se situait dans un garage sous-terrain. Un immense garage, vieux et compliqué, avec de nombreux étages.

La nuit dernière, j’étais à l’étranger. Dans une grande ville pleine de gens pressés et fatigués dont je ne parle pas la langue. A Moscou, peut-être. Il s’agit toujours d’un endroit que je ne connais pas. J’étais dans le tramway et je manquais mon arrêt. Il me fallait faire demi tour à la prochaine correspondance sans savoir exactement où cela allait me conduire.

Je cherche ma voiture, ne sachant plus où je l’ai stationnée.

mercredi, novembre 22, 2006

De l'utilité des secrétaires.

15ème contribution à Paroles plurielles

La consigne 34 : Vous écrivez un texte court ( entre 1200 et 1700 signes, espaces compris) dont la dernière phrase sera: "Désormais c'est son problème, plus le mien"
Du fond du passé arrivent parfois de brusques tempêtes. De funestes secrets que l'on croyait morts et qui émergent des marécages de l’oubli.

Elle était venue me dire que j’avais un sérieux problème. Rendez-vous compte ! Moi, qui n’ai jamais perdu une occasion de rester tranquille !

Je déplore de ne pouvoir rapporter précisément les termes exacts de ma réponse. Ma mémoire est particulièrement réticente et capricieuse actuellement.

Il est regrettable qu’il n’y ait eu personne pour prendre mes propos en sténo, car je n’exagère pas en affirmant que je me surpassai.

Une ou deux fois, au cours de banquets ou ripailles, il m’est arrivé de parler avec une éloquence qui a forcé les applaudissements de l’assistance ébahie, mais je ne crois pas avoir jamais atteint les sommets que j’atteignis alors.

Je me souviens cependant lui avoir précisé que je ne disposais que de mille deux cents à mille sept cents caractères, espaces compris, pour satisfaire à la consigne et qu’elle devrait s’en contenter aussi.

Elle m’a répondu que dans ce cas, les espaces étaient bien les seuls à être compris dans cette déplorable affaire.

Après ça, il n’y avait plus grand chose à dire. Peut-être ai-je dit : « Ah ?» ou quelque chose dans ce genre – je ne sais plus très bien - mais si je l’ai dit, mes commentaires se bornèrent là. Et puis « Ah ?» est pratique. « Ah ? » est un de ces mots auxquels il n’est jamais facile de trouver une réponse.

Je l’ai vue quitter le château par les allées. Elle est repartie comme elle était venue. Sans se retourner et sans faire le moindre signe supplémentaire qui eut été inutile.

Désormais, c’est son problème, plus le mien.

samedi, novembre 18, 2006

La mère Michelle

4 ème contribution à Obsolettres

Le thème : Sur le toit. Le personnage principal se trouve sur le toit de sa maison. Racontez pourquoi il est arrivé là.

Il faisait une chaleur torride. Les ondes rythmiques des cigales – clamant leur allégeance indéfectible au roi soleil – envoûtaient la campagne.

Comme à son habitude, la mère Michelle se rendit avec une lenteur de gastéropode ankylosé jusqu’à la grange où l’attendait une bicyclette qui faisait la convoitise des brocanteurs.

Tous les mercredis, elle se rendait au village pour aider son gamin aux travaux des champs. Le petit allait sur ses soixante quinze ans et peinait à l’exploitation de ses quelques hectares.

Elle enfourcha son vieux vélo rouillé avec d’infinies précautions et à une allure quasi onirique.

Son déplacement sur cette monture grinçante était un véritable défi aux lois de l’équilibre.

Tout serait bien allé, les lois de l’équilibre en ayant déjà vu d’autres, si Joseph ne s’était pas trouvé là.

Joseph était pourtant d’excellente humeur. Il n’avait pas de raison particulière pour cela, mais c’était une bonne nature malgré un visage ingrat, des yeux surplombés de verres épais, des boutons, une haleine horrible, des épaules en carafe, un problème insoluble d'aisselles dégoulinantes, des fesses plates et des oreilles en portes de grange.

L'essentiel de sa capillarité broussailleuse émergeait de ses oreilles et de son nez constamment agacé par les poils de sa moustache grillés par l'éternel mégot de gitane maïs mille fois rallumé.

Il soulageait ces horripilantes démangeaisons en frottant son nez couperosé comme un champignon vénéneux avec le revers de sa main.

Ce geste lui avait valu de nombreux revers, chiens, chats, poulets et autres animaux écrasés par son volumineux camion, mais de mère Michelle, jamais. C’était une première.

Il jura, immobilisa tant bien que mal son véhicule dans un nuage de poussière et vint contempler sa victime.

Il ne trouva qu’un vélo tordu et sans animosité dont seule une roue paraissait encore vivante et couinait faiblement.

Il sursauta et se signa rapidement lorsque tomba du ciel une voix chevrotante dont l’intonation faisait penser au mouton appelant ses petits à l’époque de l’agnelage.

La mère Michelle était sur le toit de sa maison et semblait lui faire signe.

lundi, novembre 06, 2006

Le vendeur de temps

48ème contribution à Impromptus littéraires

Le thème : Le vendeur de temps.

Il était une fois un petit village perché sur les falaises du Temps dont tous les habitants étaient joyeux, aimables et riches, alors que l’on n’entendait monter de la vallée que plaintes et gémissements.

Cette curiosité attirait naturellement les foules et l’on voyait serpenter jusqu’au village de longues colonnes de gens pressés et tourmentés qui se bousculaient pour rentrer et repartaient détendus et souriants.

Tout ces gens étaient passés chez le vendeur de temps, un homme sans âge qui habitait le village depuis la nuit des temps. Le bruit circulait qu’il était horloger mais avait vendu son âme au Diable avant de vendre du temps. Il semblait surfer sans la moindre éclaboussure sur l’invisible torrent des siècles et des jours qui entraîne le commun des mortels dans la tombe.

C’est que le torrent dont il s’agit passait dans sa mystérieuse boutique et il lui était donc facile d’en puiser à sa guise et de le vendre à un prix très raisonnable, puisque ces liquidités placées à quatre pour cent pouvait encore fructifier et faire le bonheur de gens qui en manquaient.

Il y avait très peu de mécontents. Les sales quart d’heure étaient rares mais, bien sûr, il pouvait arriver de rentrer avec un temps pourri ou alors, de perdre son temps au retour.

Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’au jour où la Martine vint au village et, tombant à genoux, s’exclama « Ô temps, suspends ton vol, respecte ma jeunesse ! » Elle fut exaucée. On se demande encore pourquoi.

Le temps s’arrêta et le Diable vint chercher le soir même l’âme qui lui était due.

Il semble que le temps ait repris son cours dès le lendemain matin.

Moralités : Le temps est un don de Dieu et ne peut être vendu. Méfie-toi des vendeurs de temps, ils ne vendent que du vent.

samedi, novembre 04, 2006

C'est décidé, elle vivra centenaire

14ème contribution à Paroles plurielles

La consigne 33 : Phrase finale : "C'est décidé, elle vivra centenaire".

─ Professeur, nous sommes heureux de vous accueillir parmi nous à Buenos Aires pour ouvrir cette nouvelle série d’émissions sur le futur. Nous l’avons baptisée Définition d’une frontière entre l’humain et l’androïde.

─ Je vous sais gré de l’honneur que vous me faites. Il y a tant à dire sur les nouvelles perspectives de la programmation prénatale.

─ Professeur, vous nous avez affirmé que désormais, tous les nouveaux-nés seraient identifiés au moyen de puces électroniques sous-cutanées. Nos téléspectateurs s’inquiètent. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

─ Certainement, il s’agit d’un suivi de chaque individu par radiofréquence dont la fiabilité a déjà été prouvée chez nos amis les animaux et dont l’intérêt va bien au delà des impératifs sanitaires et sécuritaires.
J’ajoute que les implants électroniques ou transpondeurs sous-cutanés sont parfaitement indolores, ne risquent pas de casser, de s’abîmer ni de s’estomper, que l’enregistrement des données est instantané et qu’ils ne connaissent pas d’erreur de transcription. Au demeurant, les individus ignoreront l’emplacement de leur détecteur électronique.

─ Mais cela ne présente-t-il pas des risques en termes de traçabilité et d’atteintes potentielles à la vie privée ?

─ Rendez-vous compte, vous disposez là d’une identification électronique qui permet de situer à chaque instant l’individu, de contrôler les passages aux frontières, de lutter contre la fraude et d’assurer une traçabilité alimentaire et sanitaire ! Que demander de plus ?

─ Oui, mais tout de même…

─ Au demeurant, ces puces électroniques peuvent avoir de multiples utilisations pour le suivi de l’état de santé des individus, la gestion de leur traitement, la transmission automatique d’informations sur leur poids, leurs habitudes alimentaires, leur fréquence urinaire, défécatoire, sexuelle… elles comportent un détecteur électronique de coït, de fumée, d’odeurs, de transpiration, d’impulsions nerveuses, de mensonge… et peuvent conditionner leur durée de vie.

─ C’est tout à fait impressionnant, Professeur. A présent, passons, si vous le voulez bien, aux exercices pratiques : quel âge pour le spécimen que l’on aperçoit à l’image ?

─ Vous voulez parler de cet amas de peaux de bêtes haut de trois pieds et demi d’où sortent de petites mains maigres, sèches et noires comme celles d’un singe ?
Le professeur fut secoué d’un rire qui, bien qu’argentin, fit l’effet du grincement d’une craie sur un tableau noir.
Vous remarquerez, continua-t-il, cette petite figure plissée, ratatinée, rugueuse, basanée, pareille à un cuir de botte. Et bien, ce spécimen a été programmé pour cent trente ans.

─ Et, plus loin, la femme au foulard, en haut de cette espèce de tour de Babel ?

─ C’est décidé, elle vivra centenaire.

mercredi, novembre 01, 2006

Les plages de l'automne

47ème contribution à Impromptus littéraires

Le thème : Les plages de l'automne.

Les plages de l’automne ! Laissez-moi pouffer.

Je pouffe.

Ah oui, elles sont belles, les plages de l’automne ! Si j’osais un conseil, ce serait de les éviter. Parlez-moi plutôt d’halloween et des cauchemars qui l’accompagnent.

Chaque fois qu’il m’a pris l’envie de me baigner sur une plage d’automne (comme ils disent), j’ai été accueilli par un vent d’est particulièrement aigre, un tapis de cailloux pointus et quelques kilos de varech.

Quel que soit l’endroit de cette satanée plage où mon pied se posait, il rencontrait un de ces petits cailloux invisibles, spécialement aiguisé à mon intention pour me faire danser la danse de saint Guy.

Puis commence le supplice de l’eau glacée. Oh ! Juste un peu d’eau, vingt centimètres, pas plus, car la mer qui ne connaît pas mes horaires se trouve à trois kilomètres de là. Le froid me pénètre, remonte par l’intérieur des jambes et je me bats la chair de poule pour essayer de chasser la poule.

Je puise dans mes trésors de persévérance pour avancer dans l’eau en écartant le varech rapporté par les vagues.

Je n’en ai pas encore à la ceinture lorsqu’une vague sortie de je ne sais où m’enlève dans un hurlement et m’emporte comme un fétu de paille avec de gros paquets de varech qui se collent sur ma figure.

Je suis transi et j’entame un retour frénétique vers la côte qui me paraît de plus en plus éloignée à mesure que je me débats dans l’eau plus que je ne nage.

Je commence à perdre tout espoir de revoir ma famille. Je regrette de n’avoir pas été meilleur avec les miens et dans les exercices d’écriture imposés par les impromptus littéraires lorsque je parviens enfin à poser un pied sur le fond et me rend compte que je nageais dans moins d’un mètre d’eau.

Je reviens sur le rivage, sporadiquement, au gré des vagues qui me poussent régulièrement.
Après avoir oté tous les petits morceaux d’algue qui me recouvrent, m’être séché et rhabillé, je rentre, crâneur.

C’est qu’il convient de faire croire que rien ne saurait remplacer un bon bain vivifiant sur une plage d’automne.

mardi, octobre 31, 2006

La vieille photographie

3 ème contribution à Obsolettres

Le thème : La vieille photographie. Un détail sur une vieille photographie révèle un secret de famille. Racontez.

Lorsque la vieille photographie tomba du portefeuille, Roland ne remarqua rien de particulier. Il la plaça à côté de lui et poursuivit l’inventaire du sac à main.

Ce n’est que lorsqu’il posa dessus, par le plus grand des hasards, sa puissante loupe de philatéliste, que son attention fut attirée par un imperceptible détail.

Il approcha son œil, mit l’objet à bonne distance afin d’obtenir la plus grande netteté possible.

Un frisson lui parcourut l’échine. Etait-ce possible ?

Ce qu’il voyait était invraisemblable. Il n’aurait jamais imaginé une chose pareille, surtout de tante Odette. De là à avoir des pratiques douteuses ou illicites, il n’y avait qu’un pas !

Le contour était incertain, à peine marqué, mais semblait bien présent. Et puis là, sur l’épaule, rien. En revanche, là, il semblait bien que…

Ca alors ! Roland n’en revenait pas.

Il devait en avoir le cœur net. Cette photo était un aveu. Elle levait le voile sur un secret que l’humanité entière aurait jugé inviolable.

C’est que n’importe quel individu, fut-il maladroit, vous aurait confectionné une femme plus aimable que tante Odette avec une bouteille de vinaigre et une pelote d’épingles. Personne ne l’avait jamais vu jouer avec un enfant, même pubère.

Aussi, le doute n’était-il pas permis, il s’imposait.

Au demeurant, l’intégrité morale de Roland lui interdisait de condamner sans certitudes. Le matériel photographique de l’époque ne possédait pas tous les perfectionnements actuels. La photo était très ancienne, un peu jaunie et avait subi les outrages du temps. On discernait même, par endroits, quelques auréoles.

Il décida, par conséquent, de porter la photographie au laboratoire afin de l’examiner plus attentivement et de supprimer toute ambiguïté.

Le verdict du microscope fut sans appel.

On distinguait même l’ombre de l’aréole sous la soie. Tante Odette ne portait pas de soutien-gorge.


dimanche, octobre 29, 2006

Page blanche, écran vide et autres miroirs.

46ème contribution à Impromptus littéraires

Le thème : Page blanche, écran vide et autres miroirs.


Une course folle à la poursuite du monstre les amena dans ce lugubre manoir aux allures de cathédrale.

La bâtisse était perdue au milieu des marécages et cette fois, il en était sûr, la bête ne pouvait plus se dérober.

Il était sur ses talons et entendait même le fer claudiquant de son pied-bot sur le marbre des couloirs.

Ayant aperçu à la faveur d’un éclair, l’ombre fantomatique de sa bosse disparaître dans l’entrebâillement d’une porte, il se précipita.

Un rapide coup d’œil circulaire lui fit prendre conscience de l’immensité de la salle dans laquelle il se trouvait. Elle aurait pu accueillir cent cavaliers et leurs palefrois. Les murs étaient recouverts de blasons disposés en alternance avec de gigantesques portraits de familles.

Dans un angle, tout un arsenal de matériels informatiques et d’écrans diffusait un grésillement de ligne à haute tension et une lumière blanchâtre. Ce modernisme contrastait avec le chandelier dont la lueur blafarde éclairait une feuille blanche sous un encrier. Il s’en dégageait un fort relent de siècles passés.

Son attention fut alors attirée par une psyché posée près d’une fenêtre ogivale. Son léger tremblement trahissait le passage du bossu.

Il crut entendre des ricanements. Un corbeau s’éloignait dans la lumière de l’orage en croassant.
Une fois encore, l’odieuse crapule Halloween s’était échappée.

Il aurait sa revanche et jura de la traquer jusqu’au bout du monde.

Suite au prochain épisode.

Oncle Dan referma le livre, déposa un tendre baiser sur le front de la petite Laurence qui dormait paisiblement, et quitta la chambre sans bruit.

Demain, ils iraient sur les plages de l’automne


vendredi, octobre 27, 2006

L'abstinence

2 ème contribution à Obsolettres

Le thème : L'abstinence.

Je suis, comme on dit, un bon vivant et, sans me vanter exagérément , je ne manque pas d’un certain courage. L’éverest, oui. La lune, oui. Mais l’abstinence ! Voilà donc cette fameuse « limite » à ma volonté !
On m’a loué les vertus de l’abstinance. On m’a prêché l’abstinence. On a exigé de moi l’abstinence.

L’abstinence me fascine.

Ils s’y sont tous mis, m’infligeant une overdose de Saintes Ecritures, le plein de chants grégoriens, de messes en grandes pompes et de sermons exotiques faits par des Pères missionnaires en permission. On m’a asséner retraites et séminaires. Rien n’y a fait.
Je ne dis pas que dans les premiers temps, ces lavages de cerveaux à la grâce divine ne faisaient pas vasciller mon esprit vulnérable. Je suivais ces retraites avec de grands sentiments de piété, un soin extrême de ne point pécher et une vive crainte de Dieu.

La voix du prédicateur, aux profondeurs océanes, faisait courir le long de mon échine, le frisson sacré. Je sortais de ces retraites plein de bonnes intentions et de résolutions définitives, aveuglé par mon enthousiasme juvénile exacerbé qui m’en masquait le caractère utopique.
L'illusion règnait en maîtresse dans mon crâne balayé par les vents de la passion. La Passion du Christ naturellement.

Qui n'a pas visité ces monastères sur fonds de grisaille, ne peut se faire une idée des âpres solitudes qui s'écoulent en ces lieux austères, où le temps a perdu toute signification. La mélancolie suinte de ces murs dépouillés où seul un crucifix, ici ou là, accroche le regard.
Ces êtres silencieux qui avaient choisi de consacrer leur vie à la prière et au travail me fascinaient. Ces "fous de Dieu" qui avaient tout sacrifié, tout abandonné, à commencer, semblait-il, par leur raison, recherchaient l'absolu dans le renoncement et vivaient une obsession de sainteté.

Pénétrer dans leur univers était en soi un privilège exorbitant, et notre emploi du temps était soigneusement contrôlé afin qu'il n'interfère pas avec celui de nos hôtes. Le jeu consistait par conséquent à échapper à cette surveillance pour surprendre les moines dans leurs tâches quotidiennes, leur poser des questions pour s'assurer qu'ils ne violaient pas la Loi du silence, et leur offrir des bonbons qu'ils ne pouvaient accepter sans commettre un péché de gourmandise. Abstinence. Abstinence. Quand tu nous tiens !

Avec mes compagnons de récollection, nous aimions fréquenter également les généreuses bibliothèques de ces lieux de silence. Elles avaient toutes en commun d'être atteintes d'une épidémie d'épîtres et d'épatantes épitomés. Ces hauts lieux de l'hagiographie recelaient des ouvrages dont nous étions friands, les biographies de Saints tenant plus du roman d'aventures, émaillé de miracles qui justifiaient les plus folles invraisemblances, que d'une quelconque théologie ésotérique et rébarbative.

Outre l'évasion intellectuelle qu'elle procurait, cette lecture de la vie des Saints et des missionnaires offrait l'occasion, dans la plus parfaite impunité, de se repaître de passages très hardis, pour ne pas dire osés, décrivant le parcours difficile de ces élus de Dieu qui n'étaient que des hommes avant de pratiquer l’abstinence et devenir des Saints. Ces lectures méphitiques, qui faisaient dériver nos imaginations galopines, auraient pu creuser des trous fumants dans nos orbites larmoyantes de fatigue. Mais quel régal, la nuit, à la Wonder, sous les couvertures du lit.

Prenez Saint Ignace de Loyola. Dans sa jeunesse, ce saint là s'adonnait davantage aux jeux, aux rixes et aux femmes qu'à la prière. C'était un habitué des endroits malfamés, hantés de rôdeurs, de pillards et de paillards. Etudiant, il vivait dans un véritable labyrinthe de ruelles infestées d'immondices, de bordels et de petite vérole. Finalement, ce Loyola était un bien mauvais sujet. Comment a-t-il pu épouser l’abstinence après cela ?

Tiens, c'était comme ce bon Père Charles de Foucauld. Encore un Saint à classer dans la catégorie « Cachez ce saint que je ne saurais voir ». Cela suffisait pour me le rendre sympathique. Cet officier fatigué d'avoir fait des frasques avec les femmes de mauvaise vie, lassé de s'enivrer de champagne qu'il buvait dans leurs chaussures, s'était fait missionnaire malgré les objurgations de son ami le général Laperrine. Quel est donc ce pouvoir de l’abstinence ?

Et j’en passe. Saint André et sa croix, Saint Sébastien et ses flèches, Sainte Hure et ses jeûnes étaient de trop grands classiques pour exciter encore notre curiosité. J'avais un faible, cependant, pour ce prophète du nom de Daniel, qui n'avait jamais pris un bain de sa vie et dont l'odeur de sainteté coupa l'appétit des lions les plus affamés. Non, notre imagination perverse trouvait davantage son compte avec les tortures infligées aux malheureux jésuites qui sont allés évangéliser le Canada, le Japon ou l'Ethiopie aux XVI° et XVII° siècles.

Plus de deux cents d'entre eux sont morts martyrs pendant cette période. Les indiens du Canada les suspendaient par les poignets à la cime de jeunes arbres, choisis en fonction de leur poids, pour que leurs pieds viennent frôler le sol préalablement recouvert de braises rouges. L'arbre faisait ressort et ramenait toujours le supplicié vers le feu, jusqu'à l'épuisement et l'asphyxie. Combien de membres coupés, d'ongles arrachés, de crânes scalpés, de corps écorchés vifs puis brûlés a-t-il fallu offrir à Dieu pour bâtir son Eglise ? Elle s'est édifiée sur la souffrance de ces hommes, massacrés pour avoir voulu imposer une religion qu'ils croyaient être la seule qu'un être humain pût admettre.

Trouvaient-ils leur force dans l’abstinence ?

Je doute encore.

N’est-ce pas fascinant ?


mercredi, octobre 25, 2006

C'est pas des farces !

13ème contribution à Paroles plurielles

La consigne 32 : Vous allez vous mettre dans la peau du sexe opposé et raconter quelque chose, de drôle ou de tragique, peu importe
Si vous êtes UN participant, votre texte se placera du point de vue de la femme ou de la fillette.
Si vous êtes UNE participante, votre texte se placera du point de vue de l'homme ou du garçon.
De plus, il y a des mots absolument interdits: valise, départ, vacances, femme, mari, fils, fille, attente, retard, et lunettes...



C'est pas des farces !

Je rappelle à celles et ceux qui ne conserveraient pas un souvenir précis de cet événement qui a défrayé la chronique familiale en 1927, que cette année là, mes parents ont quitté leur terre natale, la France, pour s'installer à Montréal P.Q.

Par un petit matin calme d'un automne particulièrement pluvieux, alors que les derniers rayons de lune faisaient briller les pavés luisants des quais du Havre, ils embarquèrent avec l'imprescriptible intention de faire fortune, toutes affaires cessantes.

C’est ainsi que nous fûmes richement dotés de la triple nationalité canadienne, française et québécoise, puis de quelques cousins germains en Europe.

Le croirez-vous, mais il est vrai que les tribulations de Michel Strogoff, James Bond et Indiana Johns réunis ressemblent à de pâles divertissements pour jeunes filles poitrinaires à côté des aventures de mon frère Roland, le garçon à l’écharpe jaune.

Or donc, apprenez que très tôt, il montra des dispositions particulières pour la musique, le dessin et la bagarre.

Une sévère éducation dans une école anglaise lui donna la maîtrise de la langue de Shakespeare. Mon père attendait de lui une parfaite maîtrise de la langue de Victor Hugo. Il lui offrit en prime une parfaite maîtrise de la parlure québécoise.

Nanti d'une solide réputation de blagueur, bluffeur, bonimenteur, gouailleur, esbroufeur et hâbleur, Roland appartient à la race de ceux qui n'ont pas besoin d'être là pour être présents.

C'est pas des farces !

Labor ipse voluptas* ou l’éloge des fonctionnaires

1ère contribution à Obsolettres

Le thème : Faire l'éloge des fonctionnaires.


Alors que nos dirigeants s’emploient à réduire le nombre des fonctionnaires au prétexte de diminuer une monstrueuse dette publique, je voudrais ici les mettre en garde.

Le fonctionnaire n’est plus cet herméneute à bretelles, chargé de l’interprétation des textes sacrés et condamné par des stéréotypes caducs à plier les heures sur les heures jusqu'à obtenir la somnolence la plus réglementaire possible.

Ces clichés ont la vie dure. Servis par une tradition papelarde millénaire, ils sont ancrés dans les mentalités depuis la nuit des temps, bien avant l’invention de la photographie.

Nos plus grands écrivains ont eux-mêmes contribué à faire de l’usager une victime du fonctionnaire. Le ministère est le lieu, disait Courteline, où ceux qui partent en avance croisent dans les escaliers ceux qui arrivent en retard, et Balzac écrivait qu’un fonctionnaire de troisième rang, pour peu qu’il soit débrouillard et qu’il veuille sincèrement se désennuyer, pouvait sans gêne ni effort prendre un décret et même le faire publier au journal officiel.

Pas étonnant, dans ces conditions, que lorsque tout se passe bien, l’usager se demande avec mépris à quoi les fonctionnaires peuvent bien servir, et quand tout va de travers, se demande avec indignation à quoi les fonctionnaires peuvent bien servir.

Ainsi, pour l’usager, que les choses aillent bien ou mal, les fonctionnaires ne servent à rien.

Et bien, je ne félicite pas l’usager qui profère une telle ineptie et je lui retourne la question : A quoi servent les usagers si ce n’est à contrarier le bon usage des services ?

Je n’irai pas jusqu’à demander la suppression des usagers, mais force est de constater qu’ils sont la plaie de la fonction publique. Les voyageurs se plaignent des chemins de fer. Les contribuables se plaignent des impôts. Jusqu’aux chiens qui mordent les facteurs !

L’usager devrait, bien au contraire, bénir le fonctionnaire, l’aimer et le payer abondamment.

Car, ne l’oublions pas, le fonctionnaire qui a réussi des concours difficiles pour obtenir son poste, et se lève tous les matins d’un bon à faire frémir ceux du Trésor pour assurer la permanence du service public, est mal payé. Chaque année, l’inflation transperce son pouvoir d’achat comme une vrille chauffée à blanc dans une demi-livre de beurre.

Et pourtant ! Que ferait l’usager sans le fonctionnaire ? En vérité, en vérité, je vous le dis, sa vie ne serait plus qu’une longue suite de cauchemars sans fin.

Il ressemblerait à ces misérables qui errent sur les chemins mal entretenus de la vie comme les mouches se promènent, des existences entières, sur des in-quarto sans comprendre un traître mot aux textes les plus simples.

Ne se lasserait-il pas rapidement de se faire agresser par les bandits de grands chemins (et même de petits) alors qu’il se rend chez son percepteur pour payer une amende ou ses impôts ?

Tous ces pauvres usagers deviendraient vite neurasthéniques et il ne leur resterait plus qu’à engourdir leur peine à petites gorgées, l’usage du tabac étant d’ores et déjà interdit.

Or l’abus d’alcool est dangereux pour la santé.

Aimons nos fonctionnaires pendant qu’il en reste encore. Je suis moi-même fonctionnaire et j’aime qu’on m’aime quand même.

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* Le travail est le plaisir même


Quelques notes d'Erik Satie

45ème contribution à Coïtus Impromptus

Le thème : Quelques notes d'Erik Satie.


Erik Satie apparut dans son éternel costume de velours gris, souleva d’un doigt son « chapeau ron’ » en guise de salut, s’assit au piano et entama un prélude flasque.

Pour un franc cinquante la soirée, ils ne méritaient guère mieux.

Il y avait cependant ce soir-là quelques habitués du Chat Noir : Gabriel de Lautrec, Vincent Hyspa, Raoul Ponchon et Alphonse Allais. Les conversations allaient bon train et personne ne lui prêta la moindre attention, même à un taux usuraire.

Est-ce le crâne de Voltaire enfant, posé sur le piano pour faciliter son inspiration ; est-ce le tableau unicolore suspendu au fond de la salle et baptisé « Récolte de la tomate par des cardinaux apoplectiques le long de la mer Rouge » qui lui fit monter le sang à la tête ?
Toujours est-il qu’il était tellement en colère que s’il était rentré dans l’eau à ce moment là elle se serait mise à bouillonner.

Le capitaine Cap’ l’avait bien dit : ce vieux pirate a un point d’ébullition très bas !

Le regard coagulé sous des paupières en forme de fer à cheval, il se releva, se retourna, salua de nouveau et déclara péremptoirement « Les pianos, c’est comme les chèques : ça ne fait plaisir qu’à ceux qui les touchent ».

Heureux de son bon mot, il commença alors à jouer un morceau en forme de poire.

Il en servait toujours une tranche comme dessert musical aux clients de ce foutu cabaret !


mardi, octobre 10, 2006

Elle regardait les flammes détruire les derniers vestiges de son passé.

44ème contribution à Coïtus Impromptus

Le thème : Le texte doit commencer et/ou finir par "Elle regardait les flammes détruire les derniers vestiges de son passé".


Elle regardait les flammes détruire les derniers vestiges de son passé.

L'incendie avait pris des proportions inimaginables. Le vent attisait un feu qui se nourrissait de bonnes poutres bien sèches et de tout le bric-à-brac en bois qu'elles abritaient depuis des siècles.

Les flammes claquaient derrière les vitres cassées qui vomissaient de gros nuages de fumée noire. De longues gerbes d'étincelles zébraient le ciel de leurs sinistres étoiles filantes.

Les pompiers des casernes avoisinantes arrivaient en renfort dans la cour d'honneur du château. La température particulièrement basse de cette nuit là créait des difficultés inattendues.

Soudés à leurs échelles par l'eau de leurs lances que le vent glacial gelait instantanément, ces courageux soldats du feu étaient aveuglés par d'épaisses nuées, farcies d'étincelles, qui s'abattaient sur eux au gré des bourrasques sibériennes.

Vingt degrés en dessous de zéro les avaient transformés en statuts de glace. Leur efficacité était amoindrie. L'un d'eux, le visage noirci et les cheveux roussis, cherchait en vain à fuir le brasier.

Le vent avait poussé l’incendie jusqu'à l'extrémité de l’aile droite du château, à tel point qu’il s’était propagé aux écuries et que la jument grise était morte, asphyxiée.

La Marquise était accourue à l’appel de James, son fidèle valet, malgré les propos rassurants qu’il lui tenait. « Tout va très bien, tout va très bien », disait-il…

Ils étaient ruinés et son imbécile de mari avait renversé des chandelles en se suicidant.

Madame la Marquise était pensive.

dimanche, octobre 08, 2006

La preuve


12ème contribution à Paroles plurielles

La consigne 31 : Dans la forme qui vous convient (poésie, prose poétique ou prose) vous écrivez un texte à couleur surréaliste comme la photo nous y invite...
Incipit : Au matin, le verre était vide.

La preuve

Au matin, le verre était vide.

Il n’y avait donc plus de doute possible : Il était passé.

On s’était moqué de moi. On m’avait affirmé qu’il n’existait pas, mais j’avais raison et je tenais une preuve tangible et irréfutable : le verre était vide !
Il avait bu le verre posé sur le rebord de la cheminée à son intention. Ensuite, il était reparti sur son traîneau après avoir distribué les cadeaux autour de ladite cheminée…

Bon. Je tenais la preuve qui me manquait. Il existe. Je l’avais bien dit.

Alors, je vous en prie, ne niez plus que les étoiles soient les pâquerettes de Dieu, que les lapins soient les gnomes au service de la reine des fées.

Ne riez plus lorsque je vous affirme qu’un enfant naît chaque fois qu’une fée se mouche et que les montagnes saluent les colombes qui passent.

jeudi, octobre 05, 2006

Les messages du répondeur téléphonique

43ème contribution à Coïtus Impromptus

Le thème : Les messages du répondeur téléphonique


- Jo ! C’est Kevin. T’es pas là ? C’est la cata. J’ai pas commencé les maths pour demain. Rappelle-moi. Ca urge !

- Qu’est-ce que tu fous ? Où es-tu ? Je te laisse l’énoncé du problème et tu me rappelles avec la solution. Tu me rappelles, hein Jo ? Déconne pas. Ecoute : « Deux trains, séparés de 200 km roulent l'un vers l'autre. Chacun avance à 50 km/h. Une mouche part de l'avant de l'un d'eux et vole à la vitesse de 75 km/h jusqu'à ce qu'elle rencontre le second train. A ce moment, elle fait demi-tour, jusqu'à… (Clic… Biiip…biiip…biiip……)

- Merde, il est court ton répondeur. J’en étais où la mouche fait demi-tour…..
Attend !…..
Heu…
Ah oui : elle fait demi-tour, jusqu'à ce qu'elle rencontre le premier train, puis fait demi-tour jusqu'à ce qu'elle rencontre le second et… (Clic... Biiip…biiip…biiip……)

- Rappelle-moi, Jo ! Pitié ! C’est pas possible. On va pas y arriver…
…elle fait demi-tour, jusqu'à ce qu'elle rencontre le premier train, puis fait demi-tour jusqu'à ce qu'elle rencontre le second et ainsi de suite, jusqu'à ce que les trains la tuent en se croisant. Quelle distance totale la mouche a-t-elle parcouru pendant…. (Clic... Biiip…biiip…biiip……)

- C’est de la merde ton téléphone, Jo. J’vais péter un plomb si tu me rappelles pas ! J’y tue tout !
Quelle distance totale la mouche a-t-elle parcouru pendant ce vol ?
T’entends : Quelle distance ?
Rappelle, Jo. Rappelle. J’en peux plus. C’est une question de vie ou de mort…

De retour avec ses parents de leur résidence en Floride, Jo alluma sa télévision comme il le faisait chaque fois qu’il pénétrait dans sa chambre. Une habitude, un réflexe. Le présentateur d’un journal commentait l’actualité : « Une véritable tuerie au lycée de Columbine : Kevin K. a tué sept de ses camarades de collège, un employé de la cafétéria et un professeur… »

vendredi, septembre 29, 2006

La semaine infernale

1ère contribution à Littéméraire

La consigne : "La semaine infernale" : Dans la semaine, il y a immanquablement un jour qui nous chipote, qui nous taraude, qui nous gonfle. Racontez une histoire à partir de ce jour noir qui revient – inéluctablement – chaque semaine. Suspense, tragédie, embrouilles…

Anet G. compensait les centimètres qui lui manquaient par la terreur. Il avait également remplacé les quelques kilogrammes qui lui faisaient défaut par un poids identique de machiavélisme. Le cou décharné de ce héron étique, qui surgissait d’un col de chemise amidonné toujours trop large, lui donnait des allures de Triphon Tournesol. Nous le trouvions cependant beaucoup moins drôle et il nous faisait vivre dans la crainte permanente de la « petite récitance du vendredi ».

La « petite récitance du vendredi » était une courte interrogation écrite, impromptue, aléatoire et improvisée qui nous gâchait le reste de la semaine. Elle ne se faisait pas à main-levée mais au pied-levé.

Aussi, notre estomac se nouait lorsque la frêle silhouette se dessinait sur le chambranle de la porte, glissait le long du mur en montant les marches de l’estrade et disparaissait derrière le bureau dans un grincement d’os. Commençait alors une courte éternité d’anxiété.

Toute la classe attendait dans un silence polaire le verdict du vendredi.

-- "Ouvrez votre livre à la page 42" et c’était un soulagement général, quelque soit, d’ailleurs, le numéro de la page. L’air redevenait respirable. Dans notre cour de récréation, les oiseaux se remettaient à chanter, nous faisant déjà savourer la perspective d’un week-end serein.

-- "Une petite récitance" énoncé sur un air méphistophélique, en détachant chaque syllabe, nous figeait le sang et augmentait notre aversion du vendredi, du poisson et de Robinson Crusoé.

En tirant d’un classeur à anneaux une feuille à gros carreaux qui nous servirait de copie, nous avions le baromètre de l’humeur en chute libre. Les « petites récitances du vendredi ».étaient un condensé de pièges funèbres et de sinistres difficultés de la langue latine, plus morte que jamais. Anet G. avait fait de chacune de ces interrogations un instrument de torture, une dictée façon « Prosper Mérimée » qui nivelait la classe par le bas, rassurant le cancre et désespérant le bon élève.

Il avait les yeux cernés comme la maison d’un fou sanguinaire, et dictait ses questions en balayant la classe de ses félines pupilles qui, par la grâce de fentes palpébrales effilées comme des meurtrières, ne laissaient passer en guise de regard qu’une aveuglante intention de massacre.

La traduction de « La guerre des Gaules », oeuvre de notre ennemi César, n’était pas davantage un exercice de tout repos. Il ne mettait toutefois au supplice que trois ou quatre élèves par séance, et nous gardions toujours l’espoir, naturellement, de ne pas en faire partie.

Anet G. était malingre et maladif. Pâle, le visage crispé, il quittait parfois la classe, plié en deux, un poing serré sur le ventre. Nous recevions ces interruptions de cours comme des oasis de tranquillité. Rien d’étonnant, après tout, à ce qu’un professeur de langue morte ait mauvaise haleine.

Cela est parfaitement monstrueux, mais aucun de nous ne souhaitait une amélioration de l’état de santé du professeur de latin.

samedi, septembre 23, 2006

Le requiem

11ème contribution à Paroles plurielles

La consigne : Vous écrivez un texte court commençant par "Je ne l'aime pas, mais tant pis".
en vous inspirant de cette belle peinture (Guillemard)





Je ne l’aime pas, mais tant pis.

Les sentiments que je nourris à son égard - pour ce qui est de leur température - ne sauraient suffire à faire fondre un centigramme de suif.

Je ne supporte pas sa vie dissolue, ses fêtes incessantes où il s’agite comme un diable sur le piano. Croyez-moi, après une heure ou deux, ses aisselles perdent de leur charme et je ne vous parle pas des effluves de ses sudations pédestres.

J’abhorre surtout sa grossièreté et les propos scatologiques qu’il tient. Même avec sa mère.

Je déteste en particulier sa façon de rire. Il éclate d’un de ces rires exaspérants d’imbéciles bruyants et à pleine mâchoire dont il a le monopole.

Mais ce que je ne lui pardonne pas, c’est cette facilité qu’il a de composer, de jouer et de remporter des succès à répétition pendant que je peine, tendu corps et âme vers l’horizon sans cesse plus lointain de la réussite.

Qu’a-t-il donc de plus que moi ?

J’ai tout de même été compositeur de la cour puis directeur de l'opéra avant de devenir le Maître de chapelle de l'empereur.

Mais que peut valoir ma musique alors que l’on ne jure que par lui ? Que pèse ma carrière quand on répète à l’envi qu’il est génial, le plus grand de tous, l’incontournable, celui que tout le monde s’arrache ?

Allez ! Il est malade. A l’heure où je burine ces lignes lapidaires, il a besoin de moi pour écrire sous sa dictée les notes d’un requiem.

Non, je ne l’aime pas, mais tant pis. Je ne peux rien refuser à Mozart.

Antonio Salieri

jeudi, septembre 21, 2006

Les mauvais génies

42ème contribution à Coïtus Impromptus

Le thème : Les mauvais génies


A ce qu’on dit, il y aurait des mauvais génies partout : dans les cailloux pointus, les puces, les fraises de dentistes, les flatulences, les hémorroïdes et même la gomme à mâcher collée sous mes semelles.

L’important est de savoir leur parler.

Alfred savait.

Nous l’avions rencontré en Indonésie, au fin fonds du Pays Toraja dont il était originaire et il nous avait fasciné par sa double personnalité.

Alfred était notre guide, mais aussi le « Docteur Jekyll et Mister Hyde ».

Un jour, il nous dit sans préambule qu'il était parfaitement capable de provoquer des migraines à une femme qui lui manquerait de respect, et cela, grâce à ce don qu’il avait de savoir parler aux mauvais génies.

(Silence dans le minibus)

Vous me direz qu'en Europe aussi, nous somme tout à fait capables de donner des migraines à une femme qui nous manquerait de respect, une bonne gifle faisant parfaitement l'affaire.

Voilà bien notre côté rustre et sauvage.

Alfred, lui, agit à distance. Aucun contact ne s'impose. Il parle aux génies, pique une poupée ou fait brûler quelques herbes mystérieuses. Il ne reste plus à la malheureuse qu'à aller se coucher en se tenant la tête à deux mains.

Quand il nous a fait ces confidences, nous nous sommes dits qu'il valait mieux être très gentil avec Alfred. S’il nous arrivait de lui déplaire d'une quelconque manière, nous risquions de sérieux problèmes, pauvres touristes perdus au milieu de la forêt vierge et des cochons noirs.

D'ailleurs, nous avions en permanence sous nos yeux effarés un exemple de ce dont il était capable.

Un autre jour, Gana, notre chauffeur, n'avait pu éviter un nid-de-poule et avait brutalement réveillé Alfred. En représailles, celui-ci lui a fait pousser les lobes des oreilles jusqu'au milieu de la mâchoire, l’affligeant d’une laideur embarrassante et définitive.

(Silence dans le minibus)

A présent, j’ai mon idée sur les guides indonésiens.

Et mes idées, reconnaissez-le, sont bien souvent frappées au coin du génie.

samedi, septembre 16, 2006

Erreur d’aiguillage

10ème contribution à Paroles plurielles

La consigne : "Vous écrivez un texte érotique court dans lequel tout est suggéré par métaphores ou périphrases..."


Ievguenia était une splendide gaillarde, à la croupe avantageuse, au teint plâtré de fard, aux yeux charbonnés, aux lèvres sanguinolentes et certainement titulaire de la plus belle devanture de Moscou et de sa grande banlieue. Le tout était véhiculé par une paire de jambes à faire rougir un Père Blanc et capables de provoquer les émotions les plus frétillantes.

Dès que Viktor Ivan Nikitarovitch l’aperçut, l’endroit le plus secret de son anatomie lança immédiatement un défi à Von Karajan.

Il avait un visage rond, un gros nez rouge et des lèvres qui ressemblaient à du pâté de tête. Son crâne bosselé évoquait le capot d’une vieille Lada. et ses yeux bridés ne laissaient filtrer qu’un terrible appétit de vice.

Ievguenia Alekssandrovna qui aimait particulièrement ce genre là tomba immédiatement amoureuse de lui. Il lui plaisait d'avancer vers l'engrenage du hasard, pour être entraînée, malgré elle, aux conséquences les plus fatales.

Bien décidée à plonger rapidement le cosaque dans le vertige de son corsage et les commissures de son intimité, elle lui offrit peu de minutes plus tard l’hospitalité de son hangar à fourrage.

Elle ne fut pas déçue.

Ses mains partirent en balade, glissèrent le long de la splendeur velue du torse de Viktor Ivan Nikitarovitch, s’attardèrent sur les épaules osseuses, descendirent le long des bras, touchèrent les hanches, le ventre plat et encore un peu plus bas.

Là, les mains s’arrêtèrent.

Ievguenia Alekssandrovna ouvrit grand les yeux et toucha encore une fois. Etait-ce vraiment possible ? Avec une précaution infinie elle souleva la couette pour confirmer de visu la découverte de sa main.

Ses ébats connurent alors un surcroît d’intensité dont le ressort lui échappait de temps en temps.

Dans la tempête un port vaut le port voisin et une navigation rendue impétueuse peut inopinément conduire à passer de l’un à l’autre.

Ievguenia Alekssandrovna, à qui il était déjà arrivé d’offrir à quelques indiscrétions viriles le porche de ses excreta, ne s’en émut pas démesurément.

lundi, septembre 11, 2006

La dynamique des verres à pieds

41ème contribution à Coïtus Impromptus

Le thème : La dynamique des verres à pieds


Le vin pétillait dans les verres et dans les yeux, faisant disparaître le « méta » de nos esprits métaphysiques.

C’était un divin bourgogne, fruité, légèrement frais, qui éblouissait tant nos muqueuses que nous avions déjà rangé un certain nombre de flacons à la section des bouteilles vides.

Jean-Pierre, plus que les autres, buvait tel un abîme. Il appréciait le nectar, certes à petites gorgées, mais à des intervalles effroyablement rapprochés et à des doses sans rapport avec la doctrine homéopathique.

Bernard, que le béatifiant liquide lançait toujours sur la voie de la réflexion, lui demanda :

- Vos verres à pieds sont-ils dynamiques, mon cher Jean-Pierre ?

La question plongea Jean-Pierre dans le baquet du très vif étonnement.

- Si mes verres à pieds sont dynamiques ! ? Qu’entendez-vous par là, mon cher Bernard ?

- J’entends le glassharmonica de Benjamin Franklin, ou mieux, le mattauphone de Joseph Mattau.

- ……

- Ecoutez, c’est bien beau d’avoir des verres à pieds, mais encore faut-il les faire chanter de temps en temps…

- Que me chantez-vous là ?

- Vous semblez ignorer qu’il existe des verres à pieds ternes, mous, flasques et ennuyeux et d’autres, dynamiques. D’où la théorie bien connue de la dynamique des verres à pieds.

Jean-Pierre regarda Bernard comme un nombre premier qui s’afficherait tout d’un coup avec une virgule.

- J’ai beaucoup étudié ces derniers temps le chaudron du Dagda, le Saint Graal et le Ciboire, poursuivit Bernard qui était passé aux digestifs et que l’eau-de-vie rendait capable de trancher par troupeaux les nœuds gordiens les plus inextricables, et bien

- Et bien « rien du tout », coupa Jean-Pierre. Apprenez, jeune homme, que ce qui fait la dynamique du verre à pied est ce que l’on met dedans et qu’il vaut mieux prendre son pied avec un verre que de prendre un verre avec son pied…

Bernard glissa tout doucement sous la table, ce que les autres considérèrent comme une conduite, somme toute, normale. Bernard glissait toujours sous la table à un moment ou à un autre.

Jean-Pierre pencha la tête et regarda le dormeur.

- Ah oui ! Elle est belle la dynamique des verres à pieds, grinça-t-il.

mercredi, septembre 06, 2006

La vieille dame et le loup

9ème contribution à Paroles plurielles

La consigne : Terminer obligatoirement par "J'ai terriblement besoin de faire pipi"


Comment pourrais-je oublier cette vieille dame de l’hospice, recroquevillée sur son lit ?

Elle avait retiré ses dents et sa bouche était rentrée pour la nuit.

Ses paupières se soulevèrent péniblement à mon passage, libérant un regard de banquise.

Son visage cadavérique était vide de toute expression et je n’étais pas sûr qu’il se passait quelque chose dans son crâne de zombie comateux.

Le plus calmement du monde, elle sortit de son nez un loup qui aurait fait pâlir de jalousie le vieil homme et la mer.

D’interminables et angoissants points de suspension se glissèrent entre nous, envahissant l’espace de leur perfide silence.

Soudain, ses yeux s’accrochèrent à moi comme du fil de fer barbelé, comme à une bouée de sauvetage.

Je ne pus soutenir son regard implorant.

Tournant la tête, je remarquai sur le mur à la peinture écaillée, la photo d’un enfant jouant sur la plage…

Elle dit d’une voix algide, une voix pâle comme sa face et qu’elle essayait en vain de faire gazouillante : « J’ai terriblement besoin de faire pipi ».

dimanche, juillet 02, 2006

A l'ombre du figuier

40ème contribution à Coïtus Impromptus

Le thème : A l'ombre du figuier


- Oncle Dan, raconte-moi une histoire.
- Petit Pierre, oncle Dan n’est pas venu à l’ombre du figuier pour raconter des histoires mais pour se reposer.
- Alleeeez, oncle Dan, raconte-moi une histoire.

- Il y a très, très, très longtemps, les sages avaient pour habitude de se rencontrer à l’ombre de ce figuier pour philosopher, refaire le monde et jouer aux devinettes. Un jour, l’un d’eux, du nom de Nasreddin, demanda :
- Qu’est ce qui est vert, posé sur la branche du figuier et qui peut parler ?
- Un perroquet répondit son ami Srulek.
- Non, ce n’est pas un perroquet.
- Mais quoi alors ?
- Un poisson.
- Un poisson vert sur un figuier, ça n’existe pas.
- Mais si, quelqu’un l’avait peint en vert.
- Admettons, mais un poisson ne grimpe pas aux arbres.
- Quelqu’un l’avait placé sur la branche.
- Et un poisson ne parle pas. Avoue que c’est d’un perroquet que tu voulais parler.
- Espèce d’idiot, c’est impossible, s’il s’agissait d’un perroquet, je n’en aurais jamais fait une devinette.

Srulek était légèrement agacé bien que sa condition de philosophe le lui interdise

- Et Môôssieur Nasreddin sait peut-être pourquoi il raconte ces inepties à l’ombre du figuier.

- Bien sûr, Srulek, bien sûr, pour répondre à la consigne de Coïtus Impromptus.

Srulek jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus…

L'unique ascenseur est en panne

8ème contribution à Paroles plurielles

La consigne : Commencer obligatoirement par "L'unique ascenseur de l'immeuble est momentanément hors d'usage"

L'unique ascenseur de l'immeuble est momentanément hors d'usage. Une fois de plus !

J’en suis dépité car mes amis habitent au dernier étage d’une tour décagonale, décatie décadente. En montant les escaliers en colimaçon, j’ai tout le temps de penser au fumet qui m’attend là-haut, tapi derrière la porte.

Seul un sportif de très haut niveau (au meilleur de sa forme) est en mesure d’arriver sur leur palier avant la fin de la minuterie. Pour ma part (et Dieu sait si je suis au meilleur de ma forme), j’ai toujours fait l’ascension du dernier étage dans l’obscurité la plus complète.

Vos yeux en chômage technique désespèrent de trouver le moindre petit interrupteur lumineux et salvateur. Point de salut dans ces escaliers dont les ténèbres ont quelque chose de démoniaque et définitif. Les marches se dérobent, et les commutateurs se cachent avec malice. Tout s’ingénie à ralentir votre progression.

Lorsque vous piétinez les premières baskets qui garnissent l’entrée, vous reprenez espoir, mais vous n’êtes pas encore arrivé. C’est qu’il y a autant de chaussures devant leur porte que devant une mosquée. On y rencontre en effet les baskets d’Hassan, mais aussi celles de Yamina, de Foued, de Rachid et de Sana. Ils en ont plusieurs paires chacun, et doivent assurément en changer de nombreuses fois, selon la nature de leurs occupations et le moment de la journée. Leur consommation annuelle dépasse largement mes besoins personnels depuis le jour de ma naissance et jusqu’à la fin du prochain millénaire.

Avant mon arrivée, je présume que toutes ces chaussures sont à peu près rangées, classées et répertoriées, mais lorsque j’ai enfin trouvé le bouton de la sonnette, après avoir tâté les murs, sondé les plinthes et exploré les chambranles, j’imagine qu’il leur faudra certainement réunir un Conseil de famille avant de pouvoir se chausser le lendemain matin.

Alors s’ouvre la porte. Et l’odeur qui était derrière la porte et qui vous attendait, vous accueille. C’est une odeur à nulle autre pareille. Un concentré marocain où se mêlent l’encens, le thé à la menthe, les épices, le souk, le cuir de chameau, la transpiration, le vieux tapis, le tout lié par un léger parfum de babouche défraîchie et de gazelle en chaleur. C’est prenant, inoubliable, maison. Cette odeur n’appartient qu’à eux. Elle n’est pas encore commercialisée et le secret de fabrication en est jalousement gardé (Un brevet a certainement été déposé). Ces gens n’ouvrent jamais leurs fenêtres de peur d’en perdre un soupçon. Chaque parcelle de l’appartement en est violemment et définitivement imprégnée.
L’être humain étant capable de s’habituer à sa propre mort, parvient à s'accommoder de cette odeur.

Naturellement, cela prend un plus de temps quand on est vivant.

lundi, juin 26, 2006

Prémonition

39ème contribution à Coïtus Impromptus

Le thème : Prémonition

Ne me demandez pas pourquoi. Je serais bien incapable de vous apporter le moindre début d’explication. Pourtant, JE SAVAIS.

Je savais qu’il allait se passer des événements curieux dans ce petit chalet perché en haut de la montagne. Je sentais que nous avions rendez-vous avec l’insolite, l’inhabituel et l’inattendu.

Tout le monde était serré autour de l’effronté petit poêle en fonte qui ne cessait de siffler, péter et ronchonner, et qu’il fallait alimenter constamment en bûches bien calibrées.

Pour cela, il était nécessaire de déplacer les casseroles dans lesquelles fondait la neige pour alimenter évier et chasse d’eau. Puis retirer un à un, avec une tige en fer, les cercles de fonte. Pousser la bûche à l’intérieur du poêle en se brûlant. Se rendre compte que la bûche était trop grosse. La retirer. Oter un cercle supplémentaire avec beaucoup d’adresse pour qu’il ne tombe pas à côté du poêle ou ne brûle un des imbéciles autour, qui regardait sans lever le petit doigt. Remettre les cercles un à un en se brûlant à nouveau et replacer les casseroles à leurs emplacements initiaux et respectifs.

Personnellement je n’ai pas levé le petit doigt mais je n’ai jamais cherché à dissimuler mon admirations pour les courageuses personnes qui pratiquaient fréquemment ce périlleux exercice.

Je dois préciser à ma décharge que j’étais beaucoup trop occupé à boire du champagne et à grignoter, déguster et picorer les délicieux entremets qui circulaient abondamment.

Nous parlâmes de la vie de chalet, de ses habitudes rustiques, d’horizons dentelés et de décors à couper le souffle et donner le vertige, puis nous passâmes à table.

Nous fîmes alors un repas pantagruélique et fabuleusement bon au cours duquel les conversations continuèrent à rouler bon train sur des sujets où - le champagne et les bons vins aidant - je m’y connaissais mieux que personne au monde (je m’étonne moi-même quelquefois du nombre de ces choses).

Nous goûtâmes de très nombreux breuvages et les fîmes pleurer dans nos verres. Nous nous consultions ensuite du regard avec des coups d’œil interrogatifs qui commandaient l’admiration.

A la dixième bouteille nous commençâmes à refaire le monde et à trancher sans états d’âmes les nœuds gordiens les plus inextricables.

Ah, si cette nuit-là on avait été le gouvernement, la nouvelle année s’en serait trouvée transformée !

C’est alors que Jeanine a dit qu’elle avait quelque chose à dire.

Bien qu’elle l’eut dit d’une voix presque inaudible, le silence se fit instantanément. Jeanine n’avait pas encore dit grand chose, mais là elle avait quelque chose à dire et à la manière dont elle le disait, on sentait bien que c’était du sérieux.

On est tous tombés de haut lorsque ses lèvres, auxquelles nous étions suspendus, se sont mises à bouger pour dire ce qu’elle avait à dire.

Ce fut très bien dit et personne avant elle ne l’avait dit ce soir là et ce qu’elle disait était bien plus important que tout ce qui avait été dit jusque là. Il est vrai que Jeanine, dont l’esprit n’est pas immergé dans le formol, jouit d’une lynxesque clairvoyance, a étudié le Monde mieux que nous tous, possède une grande sagesse et connaît des tas de choses qu’on n’est même pas capable de prononcer.

Elle ménageait des silences étudiés pour permettre à chacun de s’adapter au sujet et laissa flotter librement sa dernière phrase dans l’air jusqu’à ce qu’elle pénètre nos esprits superficiels.

Elle nous regarda gravement, fixa les visages l’un après l’autre pour laisser à ses mots le temps de bien décanter.

On a tous approuvé et on l’a félicité de nous rappeler combien sont rares, parmi les hommes, ceux qui peuvent s’arracher aux marécages sans fond de l’ignorance.

Christian est sorti en grommelant quelque chose qui concernait le fait d’uriner et de prendre un bol d’air.

Ensuite les conversations normales ont repris jusqu’au moment du « trou savoyard ».

Le « trou savoyard » est une sorte de trou normand en plus profond et en plus fort, une boisson traîtresse qui coupe les jambes, même du plus aguerri.

Maryvonne avait préparé ces trous à l’avance et ils nous attendaient depuis si longtemps qu’il avaient pratiquement perforé le fond des verres.

Cet apéritif chauffa l’ambiance à blanc et alors que nous avions commencé la soirée en échangeant des propos à voix basse sur la vie en alpages et la climatologie, nous commençâmes à nous donner des grandes claques dans le dos.

Seule Maryvonne ne trouvait pas ça très fort. Pourtant ses lunettes se sont fendillées lorsqu’elle a fait cul sec.

Moi, je me suis mis à pleurer alors que je n’avais pas de chagrin particulier et lorsque j’ai voulu féliciter Maryvonne pour son courage, j’avoue que je n’ai pas reconnu ma voix.

C’est alors que tout a basculé.

Nous étions arrivés à ce moment de la soirée où les êtres humains, par distraction, perdent le contrôle d’eux-mêmes et tiennent des propos souvent distrayants et inattendus, mais qui rendent rarement hommage au raisonnable.

Christine qui, de notoriété publique, se laisse engourdir plus vite que les autres par le béatifiant liquide, tint des propos d’une ahurissante saugrenuité.

Elle fit savoir – comme si une telle information pouvait intéresser quiconque – qu’elle était particulièrement frileuse et appréhendait d’avoir à se coucher dans un lit glacé.

Elle fit cette annonce au moment où se produit ordinairement l’explosion des sentiments généreux. Catherine et Denis offrirent avec empressement d’échanger leur matelas situé à l’endroit le plus chaud du chalet avec notre lit réfrigéré.

Après les avoir outrageusement complimentés pour leur grande bonté d’âme, nous dûmes escalader acrobatiquement une échelle pour atteindre un lit niché sous la toiture.

Là, nous découvrîmes une impressionnante quantité de crottes de souris qui laissait à penser qu’une famille nombreuse avait récemment déserté la place, sans doute incommodée par notre vacarme et nos vociférations.

samedi, juin 24, 2006

La teutonne aux tétons titanesques

7ème contribution à Paroles plurielles

Le thème : Terminer obligatoirement par "m'offrir à celui qui ne me voyait pas"

Lorsque le téléphone sonna, Théo était en plein effort physique. C'était fou ce que les gens pouvaient être inconvenants pour oser vous déranger à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, au beau milieu de vos occupations !

Il n'aimait pas le téléphone, et se dit en cet instant précis que c'était l'objet le plus haïssable du monde.

Théo n'était pas extrêmement sportif, mais s'accordait épisodiquement une heure de sport en chambre.

Attention. Pas de méprise. Point d'échelle murale, ni d'haltères ou de vélo d'appartement. Non. Frida, tout simplement. Frida, la culturiste. Frida, la teutonne aux tétons titanesques. Gautier, l'autre Théophile, l'aurait certainement décrite en disant qu'elle avait une "gorge à faire descendre les dieux du ciel pour la baiser".

Théo n'était pas dieu et ne descendait que du singe. Il se sentait cependant capable de faire aussi bien qu'eux.

Sa culturiste, dont il s'occupait précisément de la première syllabe, ne semblait pas faire la différence.

Théo lui faisait l'amour divinement, et chaque inquisition dans la croupe généreuse arrachait à la teutonne des cris de satisfaction qui faisaient la joie des voisins de palier.

Le téléphone, objet totalement dénué de tact, continuait de lancer son appel strident. Il se mêlait à celui de Frida, au bouton bouté par le boutefeu de son boute-en-train.

A quoi tout cela allait-il aboutir ?

Excédé, sa main partit à tâtons vers le téléphone qui tomba en libérant un timide « allô » venu de l’autre bout du monde. Frida ôta le bandeau qu’elle avait mis sur les yeux de Théo.

« Scheise », dit-elle, « depuis le temps que je rêvais de m’offrir à celui qui ne me voyait pas ».

mercredi, juin 21, 2006

Dans les nuages

38ème contribution à Coïtus Impromptus

Le thème : Le texte doit se terminer par "... dans les nuages"

Anet G. compensait les centimètres qui lui manquaient par la terreur. Il avait également remplacé les quelques kilogrammes qui lui faisaient défaut par un poids identique de machiavélisme. Le cou décharné de ce héron étique, qui surgissait d’un col de chemise amidonné toujours trop large, lui donnait des allures de Triphon Tournesol. Nous le trouvions cependant beaucoup moins drôle et il nous faisait vivre dans la crainte permanente de la « petite récitance ».

La « petite récitance ».était une courte interrogation écrite, impromptue, aléatoire, improvisée et imprévue. Elle ne se faisait pas à main-levée mais au pied-levé.

Aussi, notre estomac se nouait lorsque la frêle silhouette se dessinait sur le chambranle de la porte, glissait le long du mur en montant les marches de l’estrade et disparaissait derrière le bureau dans un grincement d’os. Commençait alors une courte éternité d’anxiété.

Toute la classe attendait dans un silence polaire le verdict du jour.

-- « Ouvrez votre livre à la page 42 » et c’était un soulagement général, quelque soit, d’ailleurs, le numéro de la page. L’air redevenait respirable. Dans notre cour de récréation, les oiseaux se remettaient à chanter.

-- « Une petite récitance » énoncé sur un air méphistophélique, en détachant chaque syllabe, nous figeait le sang. Anet G. lâchait ces trois mots en balayant la classe de ses yeux vitreux qui, par la grâce de fentes palpébrales effilées comme des meurtrières, ne laissaient passer en guise de regard qu’une aveuglante intention de massacre.

En tirant d’un classeur à anneaux une feuille à gros carreaux qui nous servirait de copie, nous avions le baromètre de l’humeur en chute libre. Les « petites récitances » étaient un condensé de pièges funèbres et de sinistres difficultés de la langue latine, plus morte que jamais. Anet G. avait fait de chacune de ces interrogations un instrument de torture, une dictée façon « Prosper Mérimée » qui nivelait la classe par le bas, rassurant le cancre et désespérant le bon élève.

La traduction de « La guerre des Gaules », oeuvre de notre ennemi César, n’était pas davantage un exercice de tout repos. Il ne mettait toutefois au supplice que trois ou quatre élèves par séance, et nous gardions toujours l’espoir, naturellement, de ne pas en faire partie.

Anet G. était malingre et maladif. Pâle, le visage crispé, il quittait parfois la classe, plié en deux, un poing serré sur le ventre. Nous recevions ces interruptions de cours comme des oasis de tranquillité. Rien d’étonnant, après tout, à ce qu’un professeur de langue morte ait mauvaise haleine.

Cela est parfaitement monstrueux, mais aucun de nous ne souhaitait une amélioration de l’état de santé du professeur de latin et nous l’aurions tous envoyé dans les nuages.

mercredi, juin 14, 2006

Le jour où la lettre arriva

37ème contribution à Coïtus Impromptus

Le thème : Le texte doit commencer par "Le jour où la lettre arriva"


Le jour où la lettre arriva, au début du mois de mai, les services de la Poste entamaient une grève de plusieurs jours.
Elle ne fut pas distribuée.
Il y eu des manifestations dans les rues, des barricades, et les pavés volèrent.
Les employés de la Poste firent des réunions extraordinaires et occasionnèrent quelques dommages collatéraux tels que déplacements de meubles et de vertèbres. La lettre s’égara.

Elle fut retrouvée trente ans plus tard lors d’un déménagement nécessité par la mise en place d’une nouvelle charte graphique.

Chacun sait le point d’honneur que feu cette administration a toujours mis à distribuer les correspondances à leurs destinataires quelque soit la date d’expédition.

C’est ainsi qu’un petit commis postier, débutant mais ambitieux, se vit confier le soin de se rendre spécialement chez le père François, qui habitait une humble demeure à l’écart du village, pour lui remettre SA lettre.

Le jeune homme tendit l’enveloppe au Père François, la casquette à la main et des excuses plein les yeux.

Comme à l’accoutumée, le Père François offrit un canon de rouge au préposé et pendant que celui-ci apprenait les rudiments du métier, il tournait et retournait cette étrange lettre dans ses mains calleuses et usées par une vie de dur labeur.

C’était bien la première fois de sa vie qu’il recevait une semblable lettre.

L’enveloppe était une enveloppe spéciale pour les envois par avion et était couverte de jolis timbres étrangers.

Mais peu importe. Laissons-les aux collectionneurs.

C’est évidemment à son retard exceptionnel que cette lettre – reproduite ci-après - emprunte son intérêt, avec l’intention évidente de ne jamais le rembourser.

Mon cher oncle…

Et puis non. Tout compte fait, je ne vais pas la réécrire intégralement, d’autant qu’elle était tapée avec une antique machine à écrire dont le ruban exsangue lâchait des lettres pâles comme la mort, parfois très difficiles à deviner.

Elle débutait par des compliments que je passe sous silence, assez capables d’assommer un essaim de rhinocéros adultes, et disait en substance à peu près ceci : Je n’ai pas toujours été un bon garçon, loin de là. Tu m’as élevé à la mort de mes parents et je t’ai causé bien des soucis. Je n’ai jamais travaillé, préférant voler les honnêtes gens. Tu sais que dans les gares, je m’emparais parfois de la valise de certains voyageurs qui, pour des raisons qui leur étaient personnelles, ne tenaient pas à s’en dessaisir. Suivaient quelques explications oiseuses et illisibles. Je poursuis donc. Un jour, en ouvrant l’une d’elles, je tombai sur un énorme pactole. Sans doute de l’argent sale ou déjà volé. Peut-être les indemnités de départ d’un capitaine d’industrie remercié. Je ne l’ai jamais su. J’en ai peu utilisé, plusieurs vies n’y suffisant pas. L’argent ne fait pas le bonheur. Surtout quand on est petit, binoclard et grassouillet. Je te le donne, mon cher oncle, pour me faire pardonner les tracas que je t’ai occasionnés.
La lettre se terminait par une formule admirative et déférentielle à faire rougir une génération de langoustes, et y était joint un billet donnant les renseignements d’un compte numéroté en Suisse.

Le Père François s’écroula, foudroyé par une crise cardiaque, et l’on ne revit jamais le petit commis postier.

lundi, juin 12, 2006

La question

6ème contribution à Paroles plurielles

Le thème : Entre ciel et terre... tomber… ou m’envoler… ?

Entre ciel et terre… tomber… ou m’envoler… ? Interrogea Peter pour donner du relief à son récit et aiguiser, comme s’il en était encore besoin, l’intérêt de son auditoire.

Ils étaient tous suspendus à ses lèvres, fascinés et perplexes. Le vieux Fred ouvrit la bouche sans s’apercevoir que ses dents du haut, qu’il avait depuis maintenant presque deux ans, tombaient par terre avec un bruit sec.
Arthur, comme à l’accoutumée, souriait bêtement en ouvrant sa bouche édentée, au point que les autres pouvaient voir son sourire jusqu’à l’occiput.
Le timide Paulo restait coi, la bouche pleine des questions qu’il n’osait pas poser.
Ludvig, dont la curiosité était à deux doigts de la déflagration, tomba de son tabouret lorsque le balancier de l’horloge lâcha prise et rendit l’heure.
Tous attendirent avec anxiété qu’elle ait vomi ses douze coups de minuit.

Le capitaine qui, depuis quelques instants, hésitait au bord de la conversation, profita du silence qui s’en suivit pour y faire un plongeon péremptoire.

Cela dépend. Affirma-t-il.

Cela dépend, cela dépend… mais de quoi tonnerre ? demanda Ludvig avec circonspection.

Le vieux loup de mer vers lequel tous les regards étaient à présent tournés, se lécha la bouche pour enlever un peu de sauce égarée dans sa barbe, saisit son verre, but lentement, s’essuya méticuleusement, rota discrètement, leva non moins discrètement la fesse gauche pour exfiltrer un gaz intempestif puis contempla attentivement le bois de la table jusqu’au moment où il sentit l’atmosphère sur le point d’exploser.

De la vague… cela dépend de la vague !

Le godillot de Ludvig emporta sa casquette de vieux marinier.

Il ralluma sa pipe en écume et camoufla les soubresauts de son rire derrière la fumée.

samedi, juin 10, 2006

Les lumières dans la plaine

36 ème contribution à Coïtus Impromptus

Thème : Les lumières dans la plaine


Dame Cunégonde souleva la tête l’inconnu.

-- Comment vous sentez-vous beau troubadour ?

La flamme d’une torche faisait danser les ombres et rendait son visage énigmatique.

-- J’ai vu les lumières dans la plaine, réussit-il à articuler, en reprenant conscience.

Son cœur battait la chamade. Il revenait à la vie.

-- Je les avais tant attendues, tant espérées, dit-il d’une voix mieux assurée. Je les avais aperçues au loin. Elles étaient la récompense de moult jours de marche pour les atteindre. Les chemins abrupts. Les moustiques. Les sangsues. La faim. La soif. Surtout, la soif. La peur de la mort. Que s’est-il passé ?

-- Restez calme. Il n’y a pas de danger. Vous avez rejoint les lumières dans la plaine.

-- Je me vois courir à leur rencontre, dévaler la pente de plus en plus vite. Elles étaient mon alut, la vie. Elles faisaient tourner dans ma tête une ronde de fées joyeuses qui effaçaient toutes mes lassitudes et mes tourments. Mon corps retrouvait une énergie qu’il croyait à jamais perdue. Et puis plus rien. Le trou noir.

-- Mon Dieu, Petit Jean, pourquoi as-tu assommé le joli ménestrel avec sa viole de gambe ?

-- J’ai crié « Qui va là ?» … et personne n’a répondu Dame Cunégonde.