samedi, février 24, 2007

Jardin d'hiver

50ème contribution à Impromptus littéraires

Le thème : Jardin d'hiver.

Il m’invita à rentrer dans son jardin d’hiver, une immense serre aux vitres dépolies. Il était vieux, laid et bien que je n’aie jamais pu le vérifier moi-même, devait certainement faire peur aux enfants.

J’hésitai un instant sur le seuil. Ca sentait la mousse, la moisissure et le pipi de chat.

Il voulait me montrer une orchidée noire rapportée d’un pays lointain et insista tant que je le suivis dans un de ces brouillards poisseux et moites que l’on ne rencontre habituellement que dans les romans où il est question de landes désertiques et de cimetières abandonnés.

Je fus immédiatement oppressé par cette odeur âcre qui me prit à la gorge. Il y avait çà et là des cages pleines d’oiseaux exotiques particulièrement bavards. Surgi de nulle part, un ara sans gêne, aux couleurs de perruque défraîchie, frôla le vieillard et renversa la sienne.

Le vieux brandit le poing et ses injures se perdirent avec celles de l’animal dans l’abondant feuillage de gigantesques plantes grasses que je voyais pour la première fois de ma vie.

La végétation était à ce point luxuriante que je m'attendais à tout moment à être happé par une plante carnivore, étranglé par une liane ou transpercé jusqu'à l'os par le dard d'un insecte géant assoiffé de sang frais.

Au fond de la serre, dans un pot de terre minable, se dressait l’orchidée noire, objet de tant de folies.

J’entendis alors un son semblable au râle d’un canard mourant. Le bruit venait d’une porte en bois au fond de la serre et j’aperçus, sortant d’une chatière percée au bas de celle-ci, une main de femme décharnée, aux ongles longs et crasseux, saisir dans une gamelle posée à proximité une tranche de pain humide et un morceau de sardine morte.

Un frisson me secoua de la semelle des chaussures à la pointe des cheveux, mais je me ressaisis rapidement et à part trembler comme une gelée et laisser pendre ma mâchoire inférieure d’environ vingt centimètres, je ne montrai aucun signe de décomposition.

Le vieux tourna vers moi son regard coagulé et vitreux de fou sanguinaire. Les coins de sa bouche tombaient plus que jamais et son front était plissé comme celui d’un client dans un restaurant qui, attaquant une douzaine d’huîtres, constate que la première est mauvaise.

Il ouvrit la bouche puis, comme s’il sentait qu’aucune parole n’était adéquate, la referma.

Un moment ou deux me furent nécessaires pour refaire surface.

Tout va bien, dis-je, tout va bien.

1 commentaire:

Solange a dit…

Une façon comme une autre de se rassurer.