53ème contribution à Impromptus littéraires
Le thème : Le poisson était sur le dos.
Malgré une mémoire d’attrape mouches où viennent se coller toute une série de faits quelconques et inutiles, je me souviens très bien d’aujourd’hui.
Vous me direz que la difficulté n’est pas bien grande et que j’aurais beaucoup plus de mérite à creuser mon tunnel dans l’épaisse couche du passé.
Si vous cessiez un instant de m’interrompre, je vous expliquerais que je veux parler du MOT « aujourd’hui » et non pas d’aujourd’hui.
Car le fait quelconque que je vous rapporte aujourd’hui et qui a marqué mon esprit à tout jamais, se rapporte à aujourd’hui et s’est passé le vendredi 1er avril 1955, jour du poisson à plus d’un titre.
Alors que nous écoutions religieusement notre institutrice, l’instituteur de la classe d’à côté, l’œil sombre et le front plissé comme une jupe écossaise, entra brusquement et marmonna quelques mots à l’oreille de sa collègue.
Il venait à peine d’achever ses confidences que l’institutrice me désigna du doigt en me demandant de le suivre.
Je suivis l’instituteur bougon et grincheux dans sa classe plongée dans un silence de sépulcre.
Il me fit monter sur la chair, me donna une craie et me demanda d’écrire le mot « aujourd’hui ».
Je commençai à écrire d’une main tremblante aujourd’ puis, après avoir posé l’apostrophe, je marquai une seconde d’hésitation en me demandant s’il fallait mettre un « h » à hui.
Percevant sans doute mon embarras, l’instituteur m’interrompit en disant que c’était très bien, l’essentiel étant que je sache que le mot était coupé en deux par une apostrophe.
Prenant à témoin les sombres crétins de sa classe qui ne connaissaient pas cette règle élémentaire, il leur demanda s’ils n’avaient pas honte de se faire apprendre l’orthographe par un minot.
Le silence de sépulcre atteignit une qualité inouïe.
Echauffé certainement par son énervement, le coléreux ôta sa veste et la classe sous pression éclata d’un énorme éclat de rire.
Le traditionnel poisson de papier était épinglé sur le dos du ronchonneur.
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1 commentaire:
Tel est pris qui croyait prendre.
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