Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde.
Godefroy de la Côte-Rôtie n’avait pas eu une enfance heureuse. Il y a des âmes qui, pour des raisons obscures qui nous échappent, ne sont pas faites pour le bonheur. Jusqu’au jour où une rencontre improbable, alors que vous aviez baissé les bras, vous persuade du contraire.
Pourtant, les choses n’avaient pas été simples. Adolescent, Godefroy était toujours en quête de ce Graal inatteignable. Il était effrayé par ce monde décadent qu’il ne comprenait pas et il ne pouvait se suicider car pour cela il devait obtenir la corde de ses parents.
Il avait longtemps pensé que le bonheur était une chimère, une illusion. Il était parti à sa recherche mais les journées d’échecs se succédaient. Il avait cru pouvoir le trouver dans la vallée du pognon, sur le territoire des hommes-bourses, mais le bonheur n’était pas dans l’argent. D’ailleurs, il avait eu un ami au Q.I. impressionnant, qui avait fait de brillantes études et obtenu un poste très bien payé pour un travail fictif. Il en avait démissionné après avoir gagné le gros lot à l’Euromillion. C’est alors que cet ami commença à se demander si la vie ne finirait pas par lui faire payer cet insolent bonheur, et cela devint si obsessionnel qu’il termina ses jours en hôpital psychiatrique.
Godefroy vivait dans une inquiétude permanente et cherchait vainement des raisons d’être content de son sort. Il était convaincu que l’ile du Bonheur devait se trouver très loin, au milieu de l’océan de la quiétude, inaccessible pour lui. Les années passaient. Il allait devoir s’habituer tout doucement à la vieillesse et à la solitude. Il allait devoir faire l’amour au néant, ne plus voir les femmes ouvrir leur peignoir pour faire jaillir leur poitrine insolente, oublier les filles aux yeux de braise toujours en quête de nouveaux jeux érotiques. Il est toujours pénible, pour un homme chevaleresque comme l’était Godefroy de la Côte-Rôtie, d’être obligé d’éloigner la coupe du bonheur des lèvres de la beauté…
Il devrait progressivement s’acclimater au fantôme qu’il allait devenir, se détacher du commerce et des passions, prendre la route du pas-grand-chose, laisser sa porte ouverte à la mort, se résigner au vide et au désespoir, sans avoir jamais rencontré ce Bonheur tant espéré.
Il était dans cet état d’esprit lorsqu’il rencontra par hasard le Professeur Piqûre. Le célèbre Professeur était un ingénieur chimiste de génie dont les recherches sur la sérotonine, dans le but de rendre les gens heureux, faisaient autorité dans les milieux autorisés. C’est lui qui retira les mains de Godefroy de la Côte Rôtie de la bassine du désespoir.
Ses recherches n’avaient pas été faciles et il avait du rapidement renoncer à sa première méthode qui consistait à créer d’abord une vive souffrance puis à la supprimer d’un seul coup pour atteindre le bonheur absolu. De plus, ses Bonheuromètres qu’il avait commercialisés sous la marque « Yoopi » n’étaient pas fiables. Leurs capteurs de dopamine étaient défaillants. Mais ses efforts furent enfin récompensés avec la mise au point du Suppositoire du Bonheur.
Une réussite totale. À condition de se l’enfoncer bien profond.