mardi, juin 08, 2021

La grasse Mat'


Hier, j’ai tué ma femme. Quel soulagement !


Je ne tolérerai aucun reproche. Nous vivons dans une société où il arrive qu’on nous demande de tuer des gens que nous ne connaissons pas, contre lesquels nous n’avons pas de haine, et l’on nous décore pour cela. Et un autre jour, on nous reprocherait d’avoir égorgé une personne qui nous rend la vie impossible ? Enfin, un peu de bon sens !


D’abord, elle était laide, si laide que lorsque nous nous promenions dans les rues, les passants se retournaient et ricanaient. À dix-huit ans, elle semblait en avoir quarante. Figurez-vous un petit tonneau, planté sur de courtes jambes et surmonté, en guise de visage, d’une tomate rougeoyante et dodue. Le nez, mince à sa naissance, était gros et violet à son extrémité, et une horrible grimace rendait particulièrement hideuse cette tête tomatifère, avec les yeux d’un poisson mangeur d’hommes et une lèvre toujours molle et gluante de salive.


Ah ! Quel malheur ! Pauvre de moi ! J’avais voulu la sauver des lieux de luxure et d’ivrognerie qu’elle fréquentait assidûment. Elle ne se complaisait qu’au milieu de cette écœurante débauche qui rappelait Babylone à l’époque où les mœurs y étaient les plus dissolues.


Mais tout cela aurait encore été supportable si elle n’avait été méchante comme la gale, une erreur de la nature, une limace visqueuse à la langue de vipère, qui coupait le lait du chat avec de l’eau. Aimable comme un panaris, elle me brutalisait et me diffamait comme ne le furent jamais les premiers martyrs chrétiens.


À sa vue, je me suis longtemps roulé en boule en croisant les doigts, mais après avoir souffert mille tortures dignes du purgatoire, traversé de véritables épreuves dont je serai incapable de me souvenir pendant des mois sans me réveiller la nuit en poussant des hurlements, ma résolution d’en finir fut prise. L’un de nous devait disparaître.


Mais lequel ? 


J’ai d’abord pensé au suicide, et finalement, non, j’ai opté pour le meurtre de cette hyène. Ma résolution de l’amener au tombeau se rua dans mes veines comme du feu. J’ai imaginé la tuer en l’enfermant dans un placard et en aspirant l’air qu’il y avait à l’intérieur avec une paille, mais cela aurait pris trop de temps. Il fallait quelque chose de rapide.


Hier, alors que je réparais une chaise à la cuisine et que je m’étais tapé sur les doigts, elle se mit à rire. Ah, ce rire ! Pareil à un réveil-matin qui se détraque. C’est à ce moment-là que j’ai assommé Mathilde avec mon marteau.


Oui, elle s’appelait Mathilde. On l’appelait la grasse Mat’. 

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