En quittant sa maison pour se rendre au bureau, ce premier lundi de janvier, Monsieur Pierre avait comme un mauvais pressentiment.
Ainsi, lui faudrait-il encore travailler durant cette nouvelle année !
Ce n’était pas ce qu’il avait espéré de mieux, mais avait-il le choix ? Il s’était posé la question devant son miroir, sans se voiler la face, et en toute franchise, il s’était répondu que non. Non, il n’avait pas le choix.
En conséquence, il se rendrait à son bureau, situé à l’autre extrémité de l’avenue, pour aligner une année de plus, des chiffres, des millions, des milliards, de sa petite écriture de pattes de mouches que même les mouches les plus perspicaces n’arrivaient pas à lire.
Mais pour que cette année ne ressemble pas tout à fait aux précédentes, il avait dressé une longue liste de résolutions qu’il s’était promis de respecter à la lettre.
Il allait d’ailleurs mettre à exécution, sans plus tarder, la première d’entre elles puisqu’il s’agissait de se rendre à son bureau en empruntant le trottoir de droite alors que jusqu’ici il n’avait connu que le trottoir de gauche.
Il avait sans doute fait ce choix par prudence, car pour atteindre le trottoir de droite, il lui fallait d’abord traverser l’avenue très fréquentée à un endroit dépourvu de passage pour piétons, mais d’un autre côté (et c’était le cas de le dire) le trottoir de droite était beaucoup plus distrayant et sympathique.
En empruntant le trottoir de droite, il n’aurait plus à longer le cimetière, lugubre malgré son manteau blanc, et ne verrait plus la mine austère des concierges moustachues qui ne le saluaient même pas.
Il s’engouffra donc dans l’avenue comme une puissante bourrasque et rejoignit l’autre côté, transporté par un vigoureux et glacial vent arrière.
Il se trouva ainsi du côté des numéros pairs et se dit qu’il préférait les pairs aux impairs. Il n’aurait plus de questions à se poser sur le vieillard du 341 qui paraissait mort derrière sa fenêtre, mais qu’il n’avait jamais signalé aux pompes funèbres en raison de son altercation avec le croque-mort. Un réunionnais réunioniste au Q.I. à deux chiffres, qui lui proposa un jour de l’enterrer gratuitement, s’il était d’accord pour que cela se fasse le jour même.
Sans parler de Monsieur Thoutmosis, gardien de nuit dans un musée de cire, qui rentrait se coucher à l’heure où lui se rendait à son bureau, le faisant sursauter chaque fois qu’il croisait sa face de momie égyptienne.
En revanche, il avait pu remarquer que le long du trottoir de droite habitaient plusieurs déesses véritables ayant pris forme humaine.
Il pouvait constater aussi que le côté droit de l’avenue était beaucoup plus animé. On y effectuait des travaux d’embellissement et les gens avaient plaisir à y emménager.
D’ailleurs, tout le monde, en cet instant, était fasciné par la délicate ascension d’un piano à queue jusqu’au huitième étage d’un immeuble.
C’est à ce moment précis que Monsieur Pierre, distrait, tomba dans un trou de deux mètres et fut immédiatement recouvert par trois tonnes de ciment bien frais, à prise rapide. Il avait le poing serré sur une liste de résolutions qui ne seraient jamais tenues.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
4 commentaires:
C'est le cas de le dire au sens figuré comme au sens propre, quelle chute dans ce texte.
Bien écrit, bravo.
trainmusical
Tout ça pour ça... sourires.
changer ou ne pas changer ses habitudes ...? pauvre monsieur pierre !
Ce qui prouve qu'on ne doit pas suivre ses résolutions.
Enregistrer un commentaire