Dictionnaire


Lorsque le mot dictionnaire se présenta à la DicoDanerie pour y être hébergé, il fut accueilli par Albert, le concierge de cette haute Institution, avec circonspection. Mais avant de poursuivre ce récit, permettez-moi de renseigner en quelques mots les rares lecteurs qui ont encore la chance d’avoir à découvrir la DicoDanerie. 


Il s’agit d’un établissement spécialisé qui recueille et adopte principalement les mots rares, blessés, abandonnés ou tus. Des mots inutiles ou foutus, mais qui n'ont pas dit leur dernier mot. Toutefois, précisons tout de suite, afin que le lecteur saisisse toute la complexité de la chose, qu’il arrive que des mots en pleine santé et qui sont toujours en usage, soient admis à la DicoDanerie, par favoritisme ou simplement au bon vouloir du propriétaire des lieux ou de son concierge. Inutile d’ajouter que des tensions se font parfois sentir au sein de l’établissement, mais celui-ci dispose d’un parc somptueux où les mots peuvent se relaxer en toute sérénité.


Que le mot dictionnaire veuille trouver sa place dans ce qui pouvait être considéré comme un dictionnaire n’avait rien de saugrenu en soi, mais sans vouloir dire que « dictionnaire » est un « gros mot », celui qui se présentait devant Albert était plus qu’épanoui ! Il était énorme, voire obèse. Il se justifia en expliquant qu’on ne cessait de le gaver, car il y avait à présent des dictionnaires pour tout et sur tout. Une catégorie était particulièrement à la mode en ce moment, celle des "dictionnaires amoureux". Il en naissait tous les jours. Cela allait du dictionnaire amoureux de la Loire jusqu'au dictionnaire amoureux de la cuisine en passant par celui des Mille et une nuits ou celui de Marcel Proust. Il existe même, précisa-t-il, le dictionnaire amoureux des dictionnaires.


Pire ! Tout le monde se prend l’envie d’écrire à présent le Dictionnaire amoureux de son enfance. Évidemment, je ne m’en plains pas et j’invite même tout le monde à écrire le dictionnaire amoureux de son enfance, qui est une belle manière de rassembler ses souvenirs… Mais comment voulez-vous, dans ces conditions, que je ne grossisse pas ?


Albert fut pris de pitié, ce qui ne lui arrivait jamais. Craignant d’avoir des regrets ou des remords s’il chassait le quémandeur, il préféra se laisser un peu de temps pour la réflexion. — C’est bon, dit-il, laissez au vestiaire le Gaffiot et le Bailly et suivez-moi, c’est par ici



                                                                            Un autre mot ?

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