jeudi, janvier 12, 2023

L'inspiration

 

Où je suis allé chercher toute cette inspiration, p’tit mousse ? Mais dans la mer des caraïbes ou encore dans les mers du sud ! Là où la réalité dépasse la fiction. Je n’ai pas eu à la chercher du tout. Elle est venue toute seule. Il m’a suffit de partir sur une frégate ou un galion avec un équipage de cent cinquante bougres qui n’avaient plus rien à perdre, essentiellement composé de boucaniers, de flibustiers, d’esclavagistes, de naufrageurs, enfin tu vois moussaillon, toute une bande de pirates assoiffés de globules rouges et prêts à tout endurer pour faire fortune et rentrer les bras chargés de l’or de leurs pillages.


Et quand je dis prêts à tout endurer, ils ne savaient pas ce qui les attendait, ces buveurs de sang et de rhum. Moi non plus d’ailleurs. Les intempéries, les tempêtes, le pot-au-noir, les maladies, les épidémies, le scorbut, les fièvres, l’anthropophagie… Mais aussi les rixes et règlements de compte de ceux qui jactaient trop, entre les fiers à bras et les marins d’eau douce. S’en suivaient des sanctions, des mises aux cales, des flagellations, des tortures avec le chat à neuf queues, et même des mises à mort et des maronnages. Oui, p’tit mousse, tu n’as pas connu ça, heureusement, l’abandon d’un de ces gueux sur une ile déserte. 


C’est qu’ils ne supportaient pas l’inaction, ces gibiers de potence. Ils voulaient la bagarre, ils avaient soif d’abordages et de combats, ces truands, ces écrevisses de remparts, dans l’espoir d’un trésor à se partager. Et moins ils étaient pour le partage, mieux c’était ! Il n’y en a pas beaucoup qui sont revenus.


Lorsque la vigie annonçait un bateau, de commerce de préférence, c’était la joie. Les gabiers s’activaient, tout le monde était à la manoeuvre, on déferlait. C’était enfin le branle-bas de combat tant attendu. On hissait le pavillon noir et la chasse commençait. Les bordées de canons avec des boulets ramés pour déchirer les voiles de l’ennemi, quand on ne tirait pas à boulet rouge. Puis c’était les grappins, les piques d’abordage, les tirs de mousquets. Ensuite, on passait aux sabres et aux cuillères à pot. Oui, moussaillon, ces sabres d’abordage avec une coquille en forme de cuillère destinée à protéger la main. On tapait, on coupait, les bras, les têtes, les jambes, on énucléait, on éventrait, on brûlait, on déchiquetait, on déchirait, tout cela dans une épouvante infernale, une violence, une hystérie et une brutalité démentielles. Nul besoin d’imagination ni d’inspiration pour décrire ensuite ces strangulations, ces éventrations, ces empalements, ces bouches édentées, ces yeux injectés de sang, ces barbes crasseuses, ces rictus carnassiers, ces lèvres avides et ces hurlements de bêtes fauves…


Il ne restait de l’ennemi, le soir, que quelques fumeroles devant une lune couleur de sang qui diffusait une lumière de fin du monde. Nous, mille millions de mille sabords, on comptait nos morts, on les jetait par dessus bord avant de se saouler jusqu’à devenir plus noirs que notre pavillon.



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