jeudi, janvier 12, 2023

L'émotion de Lajoie

 

L’émotion était à son comble dans le petit village de Castelvecchio di Rocca Barbena. Mato, le curé, avait été assassiné dans son confessionnal à coups de fourche et il ressemblait davantage à une passoire qu’à un cul-de-poule, ustensile de cuisine utilisé pour monter les blancs en neige et les génoises, et que ses paroissiens lui donnaient comme sobriquet, allez savoir pourquoi.


Il fut découvert par Simone de Bavoir qui venait se confesser très régulièrement pour se plaindre avec force détails des hommes qui la harcelaient et auxquels elle succombait systématiquement. Le pauvre curé baignait dans son sang avec ce regard fixe qui semblait être ailleurs et que l’on qualifie généralement de vitreux. Ce type de regard que l’on rencontre parfois chez les gens qui n’ont aucune intention de payer leurs dettes. Le défunt était transpercé de toutes parts, marque d’un acharnement peu commun car il est bien connu que les assassins à la fourche ne piquent généralement qu’une fois pour de multiples raisons qu’il serait trop long de détailler ici.


Compte tenu de la gravité de l’affaire et du caractère particulier de la victime, ce fut l’inspecteur Lajoie que l’on envoya sur place pour mener l’enquête. C’était un excellent inspecteur, très bien noté par ses supérieurs, auquel résistaient peu d’énigmes et dont le palmarès était impressionnant. Ainsi avait-il résolu le crime de Laurent Exprès, un serial killer qui enchainait ses victimes avec entrain, et le hamster des Baskerville qui avait défrayé la chronique en son temps. Légèrement autiste, il bénéficiait de dons particuliers et pouvait identifier n’importe quel objet par son seul QR-Code. 


Ses investigations lui firent découvrir de nombreux secrets qui auraient scandalisé Patachon lui-même, dont la vie dissolue et les écarts de conduite sont une référence absolue dans les meilleures maisons closes. Il alla ainsi d’émotions en émotions et de surprises en surprises. Elles le ramenaient toutes vers Simone de Bavoir qui, ainsi que nous l’avions compris, trompait son mari Jean-Paul Fart, un moniteur de ski, un maître de la glisse.


Le schéma était classique : la femme trompait son mari qui lui-même trompait celle-ci avec un travesti. Ce dernier se trouvait être également l'ami du curé du village, lequel avait pris pour modèle de vie le célèbre abbé Dubois qui fit l'éducation de Louis XV tout en participant aux débauches du régent Philippe d'Orléans. Rien de nouveau donc au fil des siècles, que ce soit dans les alcôves de la ville, de la campagne ou de la cure. Le père Mato — certains connaisseurs ajoutaient « zoïde » — consignait tout cela dans son journal intime qui faisait peu de cas du secret de la confession. Ce brûlot, cette pièce à conviction, en livrant tous les détails de cette vie campagnarde aux apparences si paisibles mais si trompeuses, et en révélant tant de choses inavouables, aurait certainement reçu le grand prix du roman pornographique.


Il y manquait trois pages. Arrachées par l’assassin dont les empreintes digitales furent rapidement identifiées.



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