samedi, mars 18, 2023

Les explorateurs

 

Je hais les voyages et les explorateurs, ces hommes qui sont allés découvrir des terres inconnues et tranquilles, pour en faire des pays d’esclaves qui ne demandaient rien à personne. Pouah ! Des colonies ! Voilà ce qu’ils en ont fait. Ils ont colonisé !


D’ailleurs, leur couvre-chef s’appelle un casque colonial. Vous faut-il une preuve supplémentaire ?


J’abhorre les voyages. Un jour que je m’étais égaré du côté de Courbevoie et que j’étais rentré dans un café pour me renseigner sur la route à suivre, avec le fallacieux prétexte de boire un café, je tombai sur une bande de militaires en goguette et quelques vieillards habitués de l’endroit. Dans ce sanctuaire de l’éthylisme militant, ces caïds du biberon avaient abandonné leur jeu de cartes graisseux ou le comptoir auquel ils étaient amarrés, pour faire cercle autour d’un individu qui parlait fort, et s’imposait par une évidente supériorité dans l’art du commandement ainsi que par une phraséologie solennelle qui devait impressionner cette petite troupe de légionnaires et de marathoniens du pastis. 


C’était un homme à la laideur grasse et luisante, avec des petits yeux ronds, très noirs, une épaisse moustache, une bouche lippue et un triple menton qui me le rendirent immédiatement antipathique. Il était habillé comme un ranger et avait de ces allures arrogantes, caractéristiques des chasseurs de gros gibiers, collectionneurs de trophées de rhinocéros et de cornes en ivoire.


Je reconnus en lui l’ancien explorateur à la retraite, dont les exploits avaient dilaté l’égo jusqu’à lui donner les dimensions d’un zeppelin. Il cherchait à éblouir, subjuguer, pour ne pas dire intimider, un public un peu fragile du côté Q.I. et dont l’essentiel du vocabulaire était à dominante sexuelle et scatologique, mi français, mi patois. Il se vautrait dans ses vantardises avec gloutonnerie, l’âme plus lourde de crimes que celles des vrais conquérants.


Sa logorrhée verbale était farcie de prétentions himalayennes dignes de figurer dans le livre des records. À l’en croire, il ne cessait de trancher par troupeaux les noeuds gordiens les plus inextricables. Ses fanfaronnades atteignaient leur paroxysme lorsqu’il détaillait ses performances sexuelles avec de jeunes ébènes, ses combats titanesques contre des tribus de sauvages coupeurs de têtes, ou bien encore ses pouvoirs hypnotiques hors du commun, capables de stopper net un troupeau de rhinocéros en colère chargeant leur caravane. Il voulait « déniaiser », comme disait avant lui Jules Ferry, les hommes en pagne, en leur imposant la présence et les mœurs de l’homme blanc.


Notre escorte était nombreuse, plastronnait-il devant son auditoire médusé et craintif. Quand on avait trop faim, on abattait un homme de l’escorte. Cela nous permettait de tenir quelques jours supplémentaires. Mais pas un nègre ! Ah ça non ! Ceux qui en ont mangé sont tombés malades. Le nègre n’est pas comestible. Il y en a même qui sont vénéneux…


Ah non ! Ne me parlez pas des explorateurs ! Ce sont des prédateurs.


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