vendredi, avril 14, 2023

La promenade dominicale

Tous les dimanches Monsieur et Madame March vont se promener avec leurs quatre filles, Margaret, Joséphine, Elisabeth et Amy. Quel que soit le temps. Quand on s’appelle March, on aime naturellement marcher sans se préoccuper de la météorologie. D’ailleurs, cette promenade dominicale est une promenade digestive. Elle est nécessaire, obligatoire et indispensable, car les repas dominicaux chez les March sont chaque fois de véritables banquets. Il y a toujours plusieurs entrées, du gibier ou une volaille, le trou normand, puis les poissons, les fromages et plusieurs desserts avant le café, le pousse-café et les cigares. On sait vivre chez les March. On aime la bonne chère et on prend du bon temps. On profite. Quand arrive le moment des liqueurs, il y a longtemps que les filles ont quitté la table pour aller jouer dans le parc.


Mais au milieu de l’après-midi, elles doivent abandonner leurs jeux et leurs poupées pour la sacro-sainte promenade familiale. C’est que le ventre de M. March porte les stigmates de ses ripailles riches en graisses et en sucres, et il convient autant que faire se peut d’éliminer quelques calories excédentaires. Oh ! Assez raisonnablement. M. March pense qu’une balade de trois mille pas suffira. Avec une marge d’erreur de plus ou moins dix pour cent. C’est la petite Amy qui est chargée de les compter. Elle se fait parfois aider par sa soeur Elisabeth, ce qui provoque des discussions à n’en plus finir en cas de désaccord.


M. March est devant. C’est toujours lui qui ouvre la marche. Il dit en plaisantant que Madame March n’accepterait pas que ce soit quelqu’un d’autre. Plus sérieusement, il dit que c’est normal parce qu’il est le chef de famille, et qu’il doit passer devant en éclaireur pour la protéger. Ses quatre filles trouvent cela ridicule car ils font toujours la même balade. Elles se demandent bien quelle mauvaise surprise cette promenade pourrait leur réserver. Madame March, très soumise à son mari, se contente de hausser les épaules.


Le danger pourrait venir de Monsieur Magloire, car Monsieur Magloire n’aime pas que l’on traverse ses champs, surtout en été, lorsque les blés arrivent à maturité et que l’époque des moissons va commencer. Il a déjà assez de soucis comme ça avec les sangliers. D’ailleurs, il ne se sépare jamais de son fusil de chasse et quelques voisins ont affirmé qu’il avait la gâchette facile. Mais cela n’arrête pas M. March, et ce n’est pas un coup de gros sel qui le fera dévier de son parcours habituel.


Margaret surveille quand même du coin de l’oeil. Elle n’est pas très rassurée. On ne sait jamais. Elle emporte son filet à mouches. Cela lui sert de prétexte pour surveiller de tous côtés. C’est comme un filet à papillons, mais avec une maille beaucoup plus serrée, pour attraper les mouches en été. C’est que M. March, pour se détendre mais aussi pour éprouver son autorité et son pouvoir de persuasion, est dompteur de mouches à ses heures perdues. C’est son loisir. C’est un original, M. March.






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