lundi, janvier 14, 2008

L'homme qui marche

Mon premier exercice d'écriture de l'année 2008. Proposé par Les Impromptus Littéraires et dont le thème est "L'homme qui marche"...


Epuisé par un voyage de plusieurs jours sur des chemins escarpés et mal entretenus, j’étais heureux de pouvoir faire étape au château du comte Dragmzk.

Je l’avais rencontré par hasard, alors qu’il venait de faire une mauvaise chute de cheval qui lui avait fait perdre pratiquement toutes les voyelles de son nom. Je tenais à l’époque une officine, et dans ces cas-là, c’est toujours là qu’on sonne.

Le château du comte Dragmzk était particulièrement lugubre. Perdu au fin fond du temps, il fallait traverser une terrifiante et fabuleuse forêt pour le trouver enfin au milieu de marécages nauséeux desquels émergeaient, ça et là, quelques pierres tombales oubliées des dieux.

Après un frugal repas devant une gigantesque cheminée qui dégorgeait plus de vent et de fumée que de chaleur, un gnome bossu et unijambiste me conduisit à la lumière d’un chandelier et à travers un dédale de corridors et de galeries jusqu’à ma chambre aux dimensions de cathédrale. Elle était tapissée d’armures et de trophées de chasse qui semblaient me surveiller de leurs yeux morts.

De l’extérieur me parvenait le chuintement des arbres sépulcraux seulement interrompu par le hurlement caractéristique du loup affamé avant qu’il vienne vous déchiqueter les chairs et vous énucléer les orbites.

Je ne sais pourquoi, mais je ne parvenais pas à trouver le sommeil dans ce lit à cinq places et à baldaquin, qui, d’après la légende, avait déjà bercé les rêves de Barbe-Bleue et de quelques unes de ses femmes. J’essayais de rassembler mes esprits tout en surveillant les ombres mouvantes dessinées par les pâles clartés de la lune qui rendaient les objets vivants autour de moi.

Je n’ai pas honte d’avouer que je broyais déjà une quantité assez considérable de noir lorsque j’entendis un bruit de pas dans le couloir.

Mon cœur fit un bond spectaculaire comme seuls savent en bondir les plus grands danseurs de ballets russes. J’avais la gorge plus sèche que le désert de Gobi et je me mis à trembler et chair-de-pouler de tous mes membres.

Un homme marchait dans le couloir. Il semblait qu’il peinait et s’essoufflait. Il s’arrêtait par intermittences puis repartait en trainant la jambe. Le bruit de son pas s’éloignait et s’amplifiait de nouveau.

Un instant, il s’arrêta devant ma porte. Il s’agissait fort heureusement d’une porte massive renforcée de ferrures et munie d’énormes verrous que j’avais tirés avec soin comme me l’avait demandé Dragmzk. D’un air mystérieux, il m’avait d’ailleurs formellement interdit de quitter ma chambre après onze heures et de pénétrer dans la tour carrée.

Alors que j’étais moi-même en état d’apnée depuis plusieurs minutes, me parvenait distinctement le bruit d’un soufflet de forge ou d’une locomotive à vapeur qui devait être la respiration asthmatique du monstre.

Une bulle d’épouvante remonta les sables mouvants de mon estomac et vint crever au fond de ma gorge. Bien que tous les poils de mon corps fussent au garde à vous, je me recroquevillais comme une plume qui prend feu sous mes draps qui prenaient des allures de linceul.

Je regrettais de ne pas avoir emporté avec moi un poison asiatique ou tout autre objet pouvant enrichir les pompes funèbres afin de mettre rapidement un terme à mes tourments.

Finalement, je ne sais si je me suis endormi ou évanoui.


Le lendemain, les yeux bouffis de mauvais sommeil et pochés de fatigue, je rapportai les faits au comte Dragmzk.

Il partit d’un rire indélébile - sans doute un rire de Chine - qui me fit l’effet du crissement de la craie sur un tableau noir.

Je vais vous présenter l’homme qui marche, dit-il enfin, lorsque le tableau fut entièrement recouvert.

« Igor, ici immédiatement » hurla-t-il d’une voix noire stabilotée de jaune.

Igor surgit dans l’instant et dans un bruit de locomotive essoufflée.

Il y avait dans son regard quelque chose de l’hyène, du tigre, du cochon, du cobra, de la sole frite et de la limace qui faisait songer à Jack l’Eventreur mettant au point les détails de son prochain crime.

Il tenait au bout d’une chaine un chien de couleur jaune, qui avait à peu près la taille d’un jeune éléphant. Sans doute un croisement entre la bête du Gévaudan et le chien des Baskerville.

Igor est chargé de la surveillance du château. Son compagnon se nourrit des voyageurs égarés qui se réfugient dans la tour carrée.

Je n’ai jamais revu le comte Dragmzk depuis ce jour-là.

1 commentaire:

Solange a dit…

C'est très difficile de laisser un commentaire avec ces lettres bizarres