vendredi, décembre 22, 2006

Conte de Noël

Contribution à Littéméraire

Le thème : Un conte de Noël

Malgré la morosité ambiante, mille déceptions de toutes sortes et une pollution à faire fondre le pays du Père Noël, je veux bien vous dire un conte de Noël pour sacrifier à la tradition.

Dieu sait que je suis très méritant car mon emploi du temps est si chargé actuellement que je ne trouve plus un moment de la journée pour m’apitoyer sur mon sort.

Je ne puiserai pas dans le stock poussiéreux des vieux contes rabâchés à longueur d’hivers pour faire écarquiller les yeux des petits enfants.

Avez-vous remarqué comme l’écarquillement d’yeux est fréquent chez les enfants à cette époque de l’année ?

Non. Mon histoire – absolument véridique en tous points – ne date que de l’année dernière.

Plus d’un, parmi le public d’élite qui me fait l’honneur de me lire, se souviendra qu’il a reçu cette année-là ses cadeaux avec un certain retard.

Tout a commencé lorsque le Père Noël est arrivé au manoir de Portepleine, un vieux castel presque en ruines, dont le propriétaire, un ancien colon prénommé Ferdinand, broie une quantité assez considérable de noir en constatant quotidiennement les fuites de sa toiture et de sa vessie.

Il était attablé dans la grande salle des banquets, entouré de sa famille constituée de parasites et de pique-assiettes qui attendaient son trépas, ainsi que de sa domesticité composée des congolais Banania, Fetnat et Bienvenue.

Tout le monde avait triste mine devant l’énorme cheminée moyenâgeuse qui dégorgeait plus de vent et de fumée que de chaleur et dont la flamme projetait des ombres suspectes sur les murs suintants du château aux allures de cathédrale. On entendait résonner parfois sur les froides dalles des corridors l’écho lointain de pas qui se rapprochaient d’abord pour s’éteindre ensuite dans le lointain. Même les fantômes étaient tristes et c’était fantastiquement lugubre et désolant.

Aussi, pour que leur réveillon de Noël ne ressemble pas à un repas d’enterrement à l’île du Diable, ils diluaient leurs idées noires et cafardogènes dans le vin blanc qu’ils buvaient par petites gorgées mais à des intervalles effroyablement rapprochés et à des doses qui n’avaient rien à voir avec la doctrine homéopathique.

Lorsque le Père Noël enjamba la haute cheminée mal entretenue, l’atmosphère commençait à se détendre doucement quelques mètres plus bas avec l’énumération de proverbes d’inspiration très en-dessous de la ceinture : Pet d'argent, n'est pas mortel. Qui pisse loin, ménage ses pompes. Quéquette en décembre, layette en septembre. Gourdin du matin, pipi sans les mains etc.

Encore ébloui par les flashs des radars qui bordent actuellement tous les chemins français, le Père Noël glissa sur une pierre mal scellée et arriva en bas de la cheminée dans un nuage de poussières et de suie, bientôt suivi par le contenu de sa hotte.

Aucun ramoneur, même le plus dévoyé, ne fut jamais aussi noir que le Père Noël au moment de son atterrissage au château de Portepleine. Pour sûr qu’on l’avait déjà vu dans des situations plus avantageuses.

Les traits de Ferdinand arborèrent à l’entrée tumultueuse du Père Noël l’expression polie mais réservée de l’antilope en présence du gorille africain. Sous l’effet de la surprise, sa bouche s’ouvrait et se fermait comme celle d’un poisson rouge qui voit un autre poisson rouge lui choper l’œuf de fourmi qu’il s’était destiné.

Il est possible que quelques individus aient pu avoir un air plus idiot que Ferdinand de Portepleine à ce moment précis, mais aucune des personnes présentes n’en avait jamais vu.

Réalisant subitement que ce gorille-là était le Père Noël, il frémit comme un ventilateur électrique, se débattit un moment avec ses cordes vocales qui semblaient tout emmêlées et se précipita à la rencontre de l’animal en bafouillant quelques sirupeuses excuses, la face emmiellée de son plus obséquieux sourire.

C’est que l’on a déjà vu des Pères Noël remporter leurs cadeaux pour moins que cela.

Se sentant responsable de l’état dans lequel sa cheminée avait mis le Père Noël, il accompagna le gorille quelque peu groggy jusqu’à un siège et lui offrit un verre de « réveille-morts », boisson qu’il réservait habituellement aux personnes mortes depuis moins d’un quart d’heure et aux chevaux qui ne tiennent plus à la vie que par un fil.

Tout se passa dans la tête du Père Noël comme si les trompettes de la mort annonçaient un jugement Dernier d’une exceptionnelle rigueur. Des feux de joie s’allumèrent dans tous les coins de sa carcasse. Son abdomen s’emplit de lave brûlante et il lui sembla qu’un grand vent venu de la cheminée balayait le château. Ses oreilles bourdonnèrent violemment, ses yeux tournèrent dans leur orbite et ses épais sourcils furent agités de tics nerveux.

Je ne dirai pas qu’il devint instantanément noir puisqu’il l’était déjà mais il est certain que la distribution des cadeaux ne lui parût plus une priorité absolue.

Tout le monde voulut goûter le « réveille-morts ». Même Banania, Fetnat et Bienvenue.

Ce qui advint, vous le devinez, subtils lecteurs, et vous aussi, lectrices astucieuses.

La grande salle des banquets du château de Portepleine fut rapidement mis dans un état analogue à celui où devait être le monde avant sa création, durant le règne du chaos. Les fioles d’un liquide de plus en plus béatifiant se succédèrent. Les convives se transformèrent en pompes aspirantes et bientôt ils eurent tous les dents du fond baignant dans un détonant mélange d’alcools. On se donnait de grandes claques dans le dos et les explosions de rires et de sentiments généreux fusaient de toutes parts.

Naturellement, tout le monde voulut jouer au Père Noël. On essaya ses habits et on se mit à ouvrir les cadeaux éparpillés sur le sol. On chanta « Mon beau sapin » et « Petit papa Noël » avant de s’endormir brutalement.

Encore conscient de ses responsabilités, Ferdinand, aidé de quelques survivants qui n’avaient pas glissé sous la table, tira le Père Noël jusque sur son traîneau et fouetta les rennes qui le ramenèrent dans sa maison. Je me garderai bien ici de vous dire où se trouve cette maison, de nombreux pays en revendiquant la propriété.

Tard dans l’après midi du vingt-cinq, le Père Noël commença à émerger des vapeurs provoquées par le « réveille-morts » et autres spiritueux.

Il se dit qu’il était temps de finir sa tournée et entama un brin de toilette, ne pouvant rester dépenaillé et noir comme il était.

Mais il eut beau frotter et frotter encore, il restait toujours aussi noir.

Ferdinand s’était trompé de Père Noël.

1 commentaire:

Solange a dit…

Si je me rappelle bien c'est l'année ou je n'ai pas eu de cadeau.