Le thème : L'abstinence.
Je suis, comme on dit, un bon vivant et, sans me vanter exagérément , je ne manque pas d’un certain courage. L’éverest, oui. La lune, oui. Mais l’abstinence ! Voilà donc cette fameuse « limite » à ma volonté !
On m’a loué les vertus de l’abstinance. On m’a prêché l’abstinence. On a exigé de moi l’abstinence.
L’abstinence me fascine.
Ils s’y sont tous mis, m’infligeant une overdose de Saintes Ecritures, le plein de chants grégoriens, de messes en grandes pompes et de sermons exotiques faits par des Pères missionnaires en permission. On m’a asséner retraites et séminaires. Rien n’y a fait.
Je ne dis pas que dans les premiers temps, ces lavages de cerveaux à la grâce divine ne faisaient pas vasciller mon esprit vulnérable. Je suivais ces retraites avec de grands sentiments de piété, un soin extrême de ne point pécher et une vive crainte de Dieu.
La voix du prédicateur, aux profondeurs océanes, faisait courir le long de mon échine, le frisson sacré. Je sortais de ces retraites plein de bonnes intentions et de résolutions définitives, aveuglé par mon enthousiasme juvénile exacerbé qui m’en masquait le caractère utopique.
L'illusion règnait en maîtresse dans mon crâne balayé par les vents de la passion. La Passion du Christ naturellement.
Qui n'a pas visité ces monastères sur fonds de grisaille, ne peut se faire une idée des âpres solitudes qui s'écoulent en ces lieux austères, où le temps a perdu toute signification. La mélancolie suinte de ces murs dépouillés où seul un crucifix, ici ou là, accroche le regard.
Ces êtres silencieux qui avaient choisi de consacrer leur vie à la prière et au travail me fascinaient. Ces "fous de Dieu" qui avaient tout sacrifié, tout abandonné, à commencer, semblait-il, par leur raison, recherchaient l'absolu dans le renoncement et vivaient une obsession de sainteté.
Pénétrer dans leur univers était en soi un privilège exorbitant, et notre emploi du temps était soigneusement contrôlé afin qu'il n'interfère pas avec celui de nos hôtes. Le jeu consistait par conséquent à échapper à cette surveillance pour surprendre les moines dans leurs tâches quotidiennes, leur poser des questions pour s'assurer qu'ils ne violaient pas la Loi du silence, et leur offrir des bonbons qu'ils ne pouvaient accepter sans commettre un péché de gourmandise. Abstinence. Abstinence. Quand tu nous tiens !
Avec mes compagnons de récollection, nous aimions fréquenter également les généreuses bibliothèques de ces lieux de silence. Elles avaient toutes en commun d'être atteintes d'une épidémie d'épîtres et d'épatantes épitomés. Ces hauts lieux de l'hagiographie recelaient des ouvrages dont nous étions friands, les biographies de Saints tenant plus du roman d'aventures, émaillé de miracles qui justifiaient les plus folles invraisemblances, que d'une quelconque théologie ésotérique et rébarbative.
Outre l'évasion intellectuelle qu'elle procurait, cette lecture de la vie des Saints et des missionnaires offrait l'occasion, dans la plus parfaite impunité, de se repaître de passages très hardis, pour ne pas dire osés, décrivant le parcours difficile de ces élus de Dieu qui n'étaient que des hommes avant de pratiquer l’abstinence et devenir des Saints. Ces lectures méphitiques, qui faisaient dériver nos imaginations galopines, auraient pu creuser des trous fumants dans nos orbites larmoyantes de fatigue. Mais quel régal, la nuit, à la Wonder, sous les couvertures du lit.
Prenez Saint Ignace de Loyola. Dans sa jeunesse, ce saint là s'adonnait davantage aux jeux, aux rixes et aux femmes qu'à la prière. C'était un habitué des endroits malfamés, hantés de rôdeurs, de pillards et de paillards. Etudiant, il vivait dans un véritable labyrinthe de ruelles infestées d'immondices, de bordels et de petite vérole. Finalement, ce Loyola était un bien mauvais sujet. Comment a-t-il pu épouser l’abstinence après cela ?
Tiens, c'était comme ce bon Père Charles de Foucauld. Encore un Saint à classer dans la catégorie « Cachez ce saint que je ne saurais voir ». Cela suffisait pour me le rendre sympathique. Cet officier fatigué d'avoir fait des frasques avec les femmes de mauvaise vie, lassé de s'enivrer de champagne qu'il buvait dans leurs chaussures, s'était fait missionnaire malgré les objurgations de son ami le général Laperrine. Quel est donc ce pouvoir de l’abstinence ?
Et j’en passe. Saint André et sa croix, Saint Sébastien et ses flèches, Sainte Hure et ses jeûnes étaient de trop grands classiques pour exciter encore notre curiosité. J'avais un faible, cependant, pour ce prophète du nom de Daniel, qui n'avait jamais pris un bain de sa vie et dont l'odeur de sainteté coupa l'appétit des lions les plus affamés. Non, notre imagination perverse trouvait davantage son compte avec les tortures infligées aux malheureux jésuites qui sont allés évangéliser le Canada, le Japon ou l'Ethiopie aux XVI° et XVII° siècles.
Plus de deux cents d'entre eux sont morts martyrs pendant cette période. Les indiens du Canada les suspendaient par les poignets à la cime de jeunes arbres, choisis en fonction de leur poids, pour que leurs pieds viennent frôler le sol préalablement recouvert de braises rouges. L'arbre faisait ressort et ramenait toujours le supplicié vers le feu, jusqu'à l'épuisement et l'asphyxie. Combien de membres coupés, d'ongles arrachés, de crânes scalpés, de corps écorchés vifs puis brûlés a-t-il fallu offrir à Dieu pour bâtir son Eglise ? Elle s'est édifiée sur la souffrance de ces hommes, massacrés pour avoir voulu imposer une religion qu'ils croyaient être la seule qu'un être humain pût admettre.
Trouvaient-ils leur force dans l’abstinence ?
Je doute encore.
N’est-ce pas fascinant ?
1 commentaire:
Bien difficile de comprendre ça.
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