mardi, décembre 12, 2023

Plus rien ne sera jamais pareil après une telle découverte

 

Les rayons de dix-huit heures trente ne parvenaient pas à traverser l’épaisse couche de nuages qui s’étaient réunis en concile tragique depuis le début de l’après-midi. Ils avaient soigneusement préparé la pluie annoncée par les journaux à leur quatrième page, derrière un article de fond sur le réchauffement climatique, et juste avant la nécrologie de Marie-Thérèse COOPMAN née NICOLET, décédée à l’âge de 102 ans et six mois, précision on ne peut plus inutile pour la suite de ce récit. 


Ce fut assez soudain. Le ciel se zébra subitement d’éclairs, donnant le signal de départ d’un déluge de pluie mêlée d’agressifs grêlons griffus qui se déversèrent farouchement sur la cité. Ils ricochaient sur les tuiles, débordaient des gouttières engorgées, fouettaient les vitres et traçaient peu à peu de larges cercles humides au plafond des chambres de bonnes, sous les combles. Nul n'aurait pu prévoir que la rue affecterait un jour une physionomie à ce point tourmentée parmi le fracas du tonnerre et le crépitement de la pluie.


Les caniveaux se transformèrent rapidement en torrents boueux et tumultueux qui se précipitaient vers les égouts de la ville. De rares piétons, cramponnés à leurs parapluies, continuaient de courir à leurs occupations quotidiennes, sachant bien au fond, qu'il pleuvrait toujours suffisamment pour faire de la boue, mais jamais assez pour nettoyer les trottoirs.


Protégé par l’abri de bus, Stanley attendait le 218 qui devait le ramener, comme tous les jours de la semaine, dans son petit appartement de banlieue. Le 218 avait du retard, ce qui n’avait rien de surprenant compte tenu des conditions climatiques exceptionnelles. De toutes manières Stanley avait fait sienne une grande vertu : il savait attendre. Toute la semaine, il attendait le dimanche. À son Ministère il attendait de l'avancement, en attendant la retraite. Une fois retraité, il attendrait la mort. Il considérait la vie comme une salle d'attente pour voyageurs de troisième classe. Du moment qu'il avait pris son billet, il ne lui restait plus qu’à laisser passer le temps et regarder l’agitation qui l'entourait. 


Quelques fois, pour tromper l’ennui, Stanley bricolait le week-end, et son imagination lui laissait espérer remporter quelques accessits au concours Lépine. On lui devait déjà le protège moustache, le masque anti-gloutonnerie et les pantoufles lumineuses pour ceux qui se relèvent la nuit. Il était particulièrement fier de sa dernière invention, la voiture à eau, qui ferait rapidement oublier la voiture à bras, disait-il.




C’était l’invention de trop. Celle qui contrariait de puissants intérêts à travers le monde.


Une découverte aussi exceptionnelle peut, seule, faire comprendre la suite de ce récit. Nous hésiterions à le poursuivre, si nous n'étions convaincus que nous nous adressons à des gens au cœur solide, habitués aux rudesses de la vie, et non à ces blêmes habitants des villes dont la tête tourne et l'estomac se vide dès la première contrariété.


Mais de quoi s’agit-il donc enfin ?!?! Inutile de s'impatienter, il faudra attendre la chute de l'histoire pour le savoir.


Le gémissement des freins d’un authentique autocar Vulcan, datant de l’après-guerre, sortit Stanley de sa rêverie. Il était rongé par la rouille et conduit par un vieillard au foie rongé par l’alcool. Celui-ci se pencha à la portière sans vitre du véhicule, et après avoir craché le mégot de gitane maïs qui lui brûlait sa moustache nicotinisée (Ah ! S’il avait eu un protège-moustache, pensa Stanley), il cria aux réfugiés de l’abribus qu’il remplaçait le 218 dont le moteur était noyé. Après un mouvement de recul suivi d’un mouvement de panique, un temps d’hésitation puis un temps de réflexion, le flot des abribusiens quitta l’abri pour ce bus hors d’âge, se précipitant sur ses banquettes défoncées pour échapper aux bourrasques diluviennes de la tempête. Sans qu’ils en aient vraiment conscience, tout cela s’était fait en deux temps trois mouvements ! Personne ne fit davantage attention à une femme, tombée à genoux dans la bousculade, qui aurait dû incarner l’incipit de ce récit, mais passons…


L’autocar, vétuste et bringuebalant, s’ébranla pour trimbaler son chargement de victimes, apeurées par cette phase paroxysmique d’un orage supercellulaire à hautes précipitations et à rotation mésocyclonique. La foudre zébrait constamment un ciel couleur d’encre et ne laissait apercevoir que les squelettes d’arbres frissonnants annonciateurs d’un danger bien plus grand encore.


Le véhicule avait pris un chemin inhabituel que le chauffeur alcoolique justifiait par des routes inondées. Il finit par s’immobiliser devant un bâtiment dont les résidents en blouses blanches étaient tous porteurs de masques anti-gloutonnerie. On expliqua à Stanley qu’il s’agissait de masques FFP2 et il fut invité, comme les autres occupants du bus, à se mettre à l’abri.


Stanley ne ressortira jamais de cet hôpital psychiatrique. Fort heureusement, il savait attendre.


1 commentaire:

Wictoriane a dit…

un petit trait de folie, un brin de fantaisie comme autrefois Oncle Dan !