mardi, octobre 04, 2022

Une décision difficile à prendre


Cap’taine Mohamed était plongé dans un océan de perplexité. Il passait et repassait nerveusement sa main libre dans les cheveux fantômes de son crâne rasé, tandis que l’autre était très occupée à gratter son menton.

Mohamed n’avait jamais entendu parler de Corneille et se trouvait face à un problème cornélien qui le dépassait.

Es-tu bien sûr Skeduveu ? demanda-t-il une nouvelle fois.

Sûr et certain, cap’taine, affirma Skeduveu sans la moindre hésitation.

Il s’était spécialisé dans la vente des éléphants. Un rêve qu’il nourrissait depuis l’enfance.

Originaire de Lille, il avait rapidement quitté la Normandie où le marché des éléphants ne décollait pas, afin d’exercer son commerce en Provence, sur le mont Ventoux.

Les commerçants l’appelaient le « Ch’ti Ventoux Skeduveu » étant donné qu’il vendait tout et n’importe quoi, mais pas le moindre petit éléphanteau, ayant beaucoup de mal à se faire livrer.

Il avait donc fini par s’installer en Afrique et il était sûr qu’avec le capitaine Mohamed, il allait enfin pouvoir réaliser son rêve. Ils étaient confortablement assis sous une tente, à fumer le narguilé et à boire le thé à la menthe.

— Rendez-vous compte, cap’taine, de la force de frappe de votre police montée si elle dispose d’un bataillon d’éléphants ! Vous ne craindrez plus la moindre manifestation. Nos amis pourront disperser les rebelles en les arrosant de leur trompe. Et si cela ne suffisait pas, ils pourront s’en servir pour les envoyer voler quelques cases plus loin.

— Oui, Skeduveu, je comprends, mais mon budget crie famine, et les chameaux me paraissent plus sobres et beaucoup plus économiques.

— Et que feras-tu, cap’taine, si ta police est attaquée par les lions ? Hein ? Elle aura vite fait de descendre, ta police montée, et je ne donne pas cher de la peau de tes chameaux. Alors qu’avec des éléphaaaants…évidemmeeeent…

Le Cap’taine Mohamed était très ennuyé. Il n’avait pas pensé à tout cela. C’était sûr, son budget fourrage allait exploser et il n’obtiendrait jamais de son chef, qui avait une corpulence d’éléphant et un caractère de chameau, la fourragère tant convoitée. Non, décidément, la décision était trop difficile à prendre.

— Ecoute Skeduveu, je vais en parler à mon chef et demain on fera l’affaire.

Par ces fortes chaleurs, Ch’ti Ventoux Skeduveu craignit que son rêve ne s’évapore à nouveau. Prendre une décision dans ce pays, c’était un peu comme deux éléphants qui font l’amour. Ca se passait à un haut niveau, ça faisait beaucoup de bruit et il fallait attendre deux ans avant d’apercevoir un quelconque résultat.

— Tu aurais bien tort, cap’taine. Il y a longtemps que ton chef préfère les éléphants aux chameaux. D’ailleurs, tout le monde ici l’appelle Babar.

— Bon. Soit ! Dit le capitaine Mohamed, mais pour une première livraison, tu ne m’en mettras pas plus de cent.

Bien qu’il soit difficile de chanceler quand on est confortablement assis, Ch’ti Ventoux Skeduveu  chancela, mais se ressaisit rapidement.

— Cent ! C’est parfait. Tu ne seras pas déçu, cap’taine. On ne saurait faire confiance à un animal hautain et méprisant qui déblatère en blatérant.

— Alors qu’un éléphaaaant, évidemmeeeent…


 

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