mardi, juin 08, 2021

Grünenwald


Avant que la nuit ne nous surprenne, essayons d’atteindre cette bergerie là-bas, dit Grünenwald à sa petite famille composée de sa femme et de ses deux enfants qui le suivaient péniblement. Ils avaient pris le parti de ne jamais se séparer et de rester toujours ensemble. Cela faisait déjà longtemps qu’ils apercevaient à l’horizon cette pauvre bâtisse qui semblait s’éloigner à mesure qu’ils s’en approchaient.


Peut-être aurais-je dû écrire Grunenwald, sans tréma, ou bien alors Grünewald, je ne sais plus très bien, mais peu importe. Allons-y pour Grünewald. La famille fuyait une administration tatillonne et paperassière qui cherchait à les verbaliser pour des comportements jugés indécents et libertaires. Il est vrai que Grünewald relisait périodiquement Tintin au Congo dans sa version originale en mangeant des têtes de nègre, pendant que sa femme buvait du Banania en écoutant Chaud cacao chantée par Annie Cordy.


Cette famille totalement dévoyée vivait dans une société décadente. Lui était le nègre de quelques écrivains à succès et hommes politiques surmenés ; une activité si envahissante qu’il ne s’était pas rendu compte que sa femme tenait une agence d’aide à domicile essentiellement composée de pauvres émigrées sauvagement exploitées.

 

Ils marchaient vers cette bergerie sans eau ni électricité afin de fuir la dégradation infamante de leur note sociale ainsi que les ardeurs d’un contrôleur fiscal entêté et à la laideur indescriptible, ce qui contrarie l’auteur qui aurait bien voulu décrire à quel point la perversité d’un individu est capable de lui déformer le visage, mais ce qui lui permet de gagner un temps précieux puisqu’il est limité à 3000 signes.


Ils comptaient passer la frontière en traversant les vertes forêts du mont Pourri, pour éviter les regards indiscrets de la douane volante qui fouillaient les poches des contribuables contrebandiers cherchant à échapper aux contributions sans contrition. Cela me revient à présent. Ils ne s’appelaient pas Grünewald mais Verteforet, foret étant écrit sans accent circonflexe, comme cet accessoire pour perceuses et vilebrequins, bien qu’à vrai dire le mystère de la famille Verteforet  était tout à fait impossible à percer. Cela m’est revenu en écrivant « les vertes forêts du mont Pourri », et Dieu sait si cette histoire est pourrie. J’ai du confondre car il me semble que cela se passait à la frontière avec l’Allemagne.


Au point où nous en sommes, permettez-moi d’apporter ici une précision surprenante. Depuis des jours et des jours qu’ils marchaient comme de misérables exilés, il neigeait tous les soirs à la même heure, avant la tombée de la nuit. De véritables bourrasques accompagnées de tremblements, aussi violentes que soudaines. Elles vous mettaient la tête à l’envers, vous faisaient plonger et perdre tout sens de l’orientation. Et la nuit tombait en même temps que les derniers flocons, obligeant la petite famille à s’immobiliser.


ooOoo


Comme chaque soir, le vieux collectionneur maniaque reposait sa boule à neige sur l’étagère d’un placard qu’il refermait avec soin, inconscient du drame qui se jouait là.

 

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