samedi, janvier 30, 2010

Cimetier's killer

Il se retourna, comme pour me faire signe de le suivre.
J’hésitais car je ne lui faisais pas confiance plus loin que je ne puis jeter un éléphant.

Un vent glacial s'infiltrait partout et on avait l'impression qu'une horde de loups affamés rôdait aux alentours. Je frissonnais.

─ Allez ! Suivez-moi ! Dit-il. Vous vouliez voir le cimetière des bonnes intentions ? Je vais vous le montrer.

Une bourrasque de vent s'engouffra dans sa houppelande aux allures de linceul sur laquelle la flamme jaune et vacillante de sa lanterne faisait remuer des ombres suspectes.

Toujours sur mes gardes, je me décidai à le suivre car il est des devoirs de curiosité qu’on ne peut se dispenser d’accomplir. Après avoir descendu un chemin rocailleux, il poussa enfin la grille grise et grinçante du cimetière.

Il connaissait parfaitement l'endroit et se dirigeait sans hésiter entre les tombes pour s’arrêter bientôt devant une crypte gothique ornée de nombreuses gargouilles cauchemardesques qui s'appuyaient sur des crânes probablement d'origine humaine. L’endroit était fantastiquement lugubre et désolant.

Pourtant, je ne pus retenir un gloussement en lisant l’épitaphe : « Revenez quand vous voulez. Je ne bouge plus d’ici. »

Il sursauta et me lança un regard froid et réprobateur… celui qu’un tatillon qui n’est pas amateur de chenilles adresse à celle qu’il vient de découvrir dans son assiette de salade.

Derrière lui, une ombre fantomatique apparut et je crus défaillir avant de comprendre que c’était la mienne.

─ Il faut redonner vie aux cimetières, sinon un jour les gens refuseront de mourir, lui dis-je, pour me donner une contenance et détendre l’atmosphère.

Je décelai dans son regard l’amorce d’un soupçon concernant la stabilité de mon équilibre mental. De toute évidence, il ne me situait guère au-delà de l’orang-outan sur l’échelle de l’évolution.

Il eût un rire sarcastique intérieur qui m’aurait sans doute impressionné s’il avait été extérieur, mais mon attention était davantage concentrée sur le sourire méchant figé au coin de sa bouche cruelle et ridée.

Il me toisa de haut en bas, suggérant implicitement que c’était des types comme moi qui causaient la moitié des problèmes de l’humanité et susurra entre ses gencives édentées que dans tout vivant il y avait un mort qui sommeille.

Sur ce point, je ne pouvais le contredire, étant donné que nous étions entourés de signes extérieurs de vieillesse, de gens qui avaient passé l’âme à gauche et de champions de l’apnée.

J’approuvai en lui confirmant que même ceux qui ne sont pas des lumières finissent par s’éteindre.

Il partit d’un long rire bas et amer et me faisait penser à ces meurtriers qui se sentent inutiles lorsqu’ils n’ont personne à tuer.

Il regarda autour de lui avec un air de conspirateur et plongea la main dans sa poche.

Je ne souhaitais pas que ce cimetière soit ma terre promise et je n’avais pas envie de faire une croix sur ma vie. Si un homme averti en vaut deux, un mort averti fera toujours moins un.

Je lui sautai dessus avec la ferme intention d’en faire un nœud et nous roulâmes en une masse grouillante sur le sol.

J’avoue que j’étais prêt à lui ouvrir des droits à la charité en le gratifiant d’infirmités supplémentaires. Je lui saisis le bras qu’il venait de plonger dans sa poche avec une telle violence qu’il perdit dans l’instant une fraction non négligeable de sa capacité à traverser l’atlantique à la nage. Il émit quelques protestations inarticulées mais lorsque je suis dans cet état d’énervement, vous ne pouvez pas m’arrêter avec des protestations inarticulées.

Je ne sais si vous avez jamais essayé de faire lâcher sa proie à l’homme des neiges, probablement pas, car peu de gens en dehors de Tintin en ont eu l’occasion, mais, si vous l’avez jamais fait, vous vous êtes sûrement attendu à un geste de mécontentement de la part du migou.

Celui-ci était particulièrement mécontent et son regard prit cet éclat que j’ai parfois entendu qualifier de vitreux. Il réussit à sortir de sa poche un bout de papier qu’il me lança.

C’était un ignominieux parchemin sur lequel était inscrite une liste de péchés épouvantables, une sorte de calendrier du crime.

─ Je vais pouvoir y ajouter le vôtre, dit-il. Et sa voix ressemblait aux soupirs du vent qui errait en gémissant comme une âme en peine.

5 commentaires:

chris a dit…

tu as décidemment beaucoup de talent . un grand bravo ,monsieur !
mon assitte sur le coin du bureau , j'ai pris le temps de lire cette histoire . verdict : ...tu devrais publier

Anonyme a dit…

petit doute sur la rédaction d'un com en voyant les 7 premiers oO chris me fait reprendre courage: super!! allais-je dire, très plaisant à lire^^
ff.

Bouchaud a dit…

Un bien beau texte romancé Amitiés André

Livvy a dit…

Le décor se déplie petit à petit devant nos yeux.
Bravo !

Et j'adooore l'épitaphe.

Solange a dit…

Un cimetière à ne pas visiter le soir avec ce guide. Un texte à frisson.