37ème contribution à Coïtus Impromptus
Le thème : Le texte doit commencer par "Le jour où la lettre arriva"
Le jour où la lettre arriva, au début du mois de mai, les services de la Poste entamaient une grève de plusieurs jours.
Elle ne fut pas distribuée.
Il y eu des manifestations dans les rues, des barricades, et les pavés volèrent.
Les employés de la Poste firent des réunions extraordinaires et occasionnèrent quelques dommages collatéraux tels que déplacements de meubles et de vertèbres. La lettre s’égara.
Elle fut retrouvée trente ans plus tard lors d’un déménagement nécessité par la mise en place d’une nouvelle charte graphique.
Chacun sait le point d’honneur que feu cette administration a toujours mis à distribuer les correspondances à leurs destinataires quelque soit la date d’expédition.
C’est ainsi qu’un petit commis postier, débutant mais ambitieux, se vit confier le soin de se rendre spécialement chez le père François, qui habitait une humble demeure à l’écart du village, pour lui remettre SA lettre.
Le jeune homme tendit l’enveloppe au Père François, la casquette à la main et des excuses plein les yeux.
Comme à l’accoutumée, le Père François offrit un canon de rouge au préposé et pendant que celui-ci apprenait les rudiments du métier, il tournait et retournait cette étrange lettre dans ses mains calleuses et usées par une vie de dur labeur.
C’était bien la première fois de sa vie qu’il recevait une semblable lettre.
L’enveloppe était une enveloppe spéciale pour les envois par avion et était couverte de jolis timbres étrangers.
Mais peu importe. Laissons-les aux collectionneurs.
C’est évidemment à son retard exceptionnel que cette lettre – reproduite ci-après - emprunte son intérêt, avec l’intention évidente de ne jamais le rembourser.
Mon cher oncle…
Et puis non. Tout compte fait, je ne vais pas la réécrire intégralement, d’autant qu’elle était tapée avec une antique machine à écrire dont le ruban exsangue lâchait des lettres pâles comme la mort, parfois très difficiles à deviner.
Elle débutait par des compliments que je passe sous silence, assez capables d’assommer un essaim de rhinocéros adultes, et disait en substance à peu près ceci : Je n’ai pas toujours été un bon garçon, loin de là. Tu m’as élevé à la mort de mes parents et je t’ai causé bien des soucis. Je n’ai jamais travaillé, préférant voler les honnêtes gens. Tu sais que dans les gares, je m’emparais parfois de la valise de certains voyageurs qui, pour des raisons qui leur étaient personnelles, ne tenaient pas à s’en dessaisir. Suivaient quelques explications oiseuses et illisibles. Je poursuis donc. Un jour, en ouvrant l’une d’elles, je tombai sur un énorme pactole. Sans doute de l’argent sale ou déjà volé. Peut-être les indemnités de départ d’un capitaine d’industrie remercié. Je ne l’ai jamais su. J’en ai peu utilisé, plusieurs vies n’y suffisant pas. L’argent ne fait pas le bonheur. Surtout quand on est petit, binoclard et grassouillet. Je te le donne, mon cher oncle, pour me faire pardonner les tracas que je t’ai occasionnés.
La lettre se terminait par une formule admirative et déférentielle à faire rougir une génération de langoustes, et y était joint un billet donnant les renseignements d’un compte numéroté en Suisse.
Le Père François s’écroula, foudroyé par une crise cardiaque, et l’on ne revit jamais le petit commis postier.
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6 commentaires:
C'est ce qui s'appelle "être sonné pour le compte" ! :~)
Bouououou j'ai plus d'idées, je ne poste plus rien, snif, snif.
@ Tant-Bourrin : le compte n'est pas toujours bon !
@ Passion de tout : Je ne suis pas inquiet pour toi ;o)
et le père François resta un homme intègre
tu sais, souvent je reve que je reçois des lettres, mais au moment de les ouvrir, je me reveille donc j'ignore ce qu'elles contiennent.
c'est très frustrant!!!
dans ton histoire c'est le coup du père François!!!
Le commis postier n'a pas fait une longue carrière au poste.
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